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Actuel / Le système de santé et l’éloge du carburateur


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Voilà, les élections fédérales ont eu lieu. Le paysage politique suisse n’a pas vraiment changé et les gros problèmes de notre pays restent entiers. Pendant la campagne électorale, des sondages ont mis en évidence la préoccupation des Suisses au sujet de l’augmentation des primes maladie.



Le plus grand parti suisse ne semble pas s’y intéresser. Le deuxième plus grand propose depuis des lustres les mêmes recettes. On a l’impression que, au lieu de travailler avec les autres, chaque faction ne fait qu’instrumentaliser la question à ses propres fins, en ignorant sa vraie nature. Résultat des courses? Les personnels de la santé ne jouissent pas de la nécessaire considération et sont en souffrance. La crise est là. 

La valeur de la réparation de motos et des soins infirmiers

Il y a des secteurs économiques où on ne peut pas remplacer le facteur humain. De fait, comme beaucoup semblent l’avoir découvert pendant la crise Covid, ces secteurs sont aussi parmi les plus importants. Dans son livre Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail M. B. Crawford – docteur en sciences politiques reconverti dans la réparation de motos – fait l’éloge du travail manuel, dont il défend la dignité, la rationalité et la créativité. Sa critique vise surtout un système éducatif qui donne trop de valeur au travail intellectuel. Cette critique porte certainement davantage aux Etats Unis qu’en Suisse, mais elle a un intérêt qui va bien au-delà de la question de savoir ce qu’est une formation d’avenir. Mémorables sont les pages de l’ouvrage où l’auteur décrit les doutes qui le traversent lorsqu’il se sent en devoir d’expliquer à un client qu’il ne vaut pas la peine de réparer sa moto chérie, car le coût de la réparation serait déraisonnablement élevé et certainement au-delà des possibilités du client. Malgré ce genre de considérations, Crawford n’approfondi pas les aspects économiques.

Pour ça on peut se tourner vers les travaux de l’économiste américain W. J. Baumol, qui depuis les années 1960 s’est intéressé à des secteurs de l’économie où la productivité apparaît stagnante, comme dans les arts, la santé, l’éducation, et – justement – les réparations de voitures et de motos. Le principe qu’il a mis en évidence, et qui est connu comme «la maladie des coûts (de Baumol)» est simple à énoncer: si la richesse globale croît, alors la part relative des coûts de (chacun de) ces secteurs croît aussi. Reprenant ses analyses précédentes, dans un pamphlet de 2012 intitulé The cost diseaseBaumol indique que (pour les Etats Unis) les dépenses de santé pourraient passer de 15% du PIB en 2005, à 25% en 2025, pour arriver jusqu’à 62% en 2105!

Signalons à qui penserait que le principe de Baumol est une trouvaille théorique marginale, qu’il est régulièrement pris en compte dans différents rapports prospectifs comme ceux du Département fédéral des finances ou d’Avenir suisse. Attirons aussi l’attention sur le fait que la (totale) privatisation du secteur de la santé, dans une tentative de le faire bénéficier des supposées vertus du libre marché, n’arriverait pas à soigner la maladie des coûts, pour la simple raison qu’il ne resterait pas libre longtemps. Les pouvoirs publics se devront d’intervenir d’une manière ou d’une autre.

L’augmentation des coûts de santé n’est pas le problème 

Donc, non seulement les secteurs où il y a une importante dimension artisanale devraient avoir une place plus importante dans nos sociétés, mais nous devrions intégrer le fait que nous ne pouvons pas maintenir ces activités sans en payer le coût croissant. Beaucoup d’attention a été portée aux coûts de la santé en Suisse, mais essentiellement pour dire qu’il sont trop élevés. Or, les coûts du système ne sont pas le problème.

D’une part, les primes des assurances maladie augmentent plus vite que les coûts: ces 25 dernières années les coûts ont augmenté de 80%, et les primes de 145%. D’autre part, vu que nous ne sommes certainement pas prêts à nous passer d’un système de santé performant, le principe de Baumol nous dit qu’il faut avoir le courage d’y allouer les ressources nécessaires. Bien sûr il faut aussi tenir compte du développement technologique, du vieillissement de la population, de la particularité des prises en charge de longue durée, et des coûts spécifiques engendrés par les soins aux personnes très âgées, mais tous ces facteurs ne font qu’augmenter la note. Plus fondamental, le principe de Baumol attire notre attention sur un aspect qui est largement passé sous silence: l’importance du facteur humain dans le (bon) fonctionnement du système de santé (comme dans celui de l’éducation, de la culture, et – oui – de la réparation des motos).

Des propositions aberrantes

Le fait de se focaliser sur les coûts porte à des propositions aberrantes. Commençons par la plus injuste: celle de faire payer davantage ceux qui en ont le plus besoin, faisant ainsi fi du principe de solidarité le plus élémentaire.

Vient ensuite la proposition de revenir sur le caractère obligatoire de l’assurance maladie, qui permet à ceux qui pensent qu’elle est trop chère de s’en dispenser; discours qui peut séduire les personnes en bonne santé, et peut-être les jeunes, mais qui pose aussi la question de la solidarité, typiquement la couverture des frais liés à la prise en charge des personnes âgées.

Puis on peut citer l’idée d’augmenter les franchises, qui porterait effectivement à une baisse des coûts, vu que les gens hésiteraient à se faire soigner, mais qui du coup dégraderait leur état de santé. Ce mécanisme est déjà à l’œuvre pour les soins dentaires. Des gestionnaires proposent de compresser la masse salariale des hôpitaux, qui représente de loin la part la plus importante de leurs budgets. Malheureusement, en cohérence avec les analyses de Baumol, il n’y a plus vraiment de marges pour augmenter la rentabilité du travail dans ce secteur: la pénibilité du travail dans les hôpitaux est déjà très grande. Reste le licenciement, qui a en effet déjà été décidé de manière spectaculaire par exemple par les hôpitaux du canton de St-Gall, où 440 personnes sur 9'000 devraient prochainement perdre leur emploi.

Viennent ensuite des propositions «réactives». Les primes augmentent? On propose de les limiter à 10% du revenu disponible, ou de freiner leur augmentation en fonction de différents critères. Les médicaments sont trop chers? On s’insurge contre le principe des négociations secrètes menées par le Conseil fédéral avec les firmes pharmaceutiques. Les caisses maladie s’enrichissent? On dénonce leurs pertes dues à des investissements hasardeux. Il y a trop d’hôpitaux? On promeut la concentration dans de grandes structures. La part des soins stationnaires est trop importante par rapport à la pratique dans d’autres pays? On augmente les soins ambulatoires. La santé est un marché de l’offre? On propose de réduire le nombre de médecins. 

Passons sur les propositions de changement radical du système, comme celle de créer une caisse maladie unique promue par la Confédération, qui d’ailleurs ne ferait pas baisser les coûts, à part ceux de changement de caisse; celle de revenir sur la tarification à l’acte; ou celle du Swiss Medical Network d’un système de soins intégré (Réseau Arc). Toutes ces propositions alimentent beaucoup de discussions, mais ne se préoccupent qu’à la marge des personnels de soins.

La situation est critique

Pourtant la situation de ces personnels est critique. Au niveau national, chaque mois, entre 300 et 400 quittent le secteur. D’après Jobradar ils laissent environ 15'000 postes vacants. La présidente de la Fédération suisse des médecins a encore récemment alerté sur le trop faible nombre de médecins formés en Suisse.

Rappelons que deux tiers de nos médecins viennent de l’étranger. Beaucoup s’accordent à dire que le rôle des médecins de famille devrait être renforcé, mais le système ne leur est pas favorable. Les physiothérapeutes sont descendus dans les rues, et dénoncent des réformes qui mettent en péril leur pratique. L’initiative «Pour des soins infirmiers forts» largement acceptée par le peuple en 2020, devra attendre 2027 pour être mise en œuvre!

Ici n’est pas le lieu pour formuler d’autres propositions, mais il a semblé utile d’attirer l’attention sur l’urgence de (re)créer les conditions pour que les métiers de la santé redeviennent attractifs. Peut-être qu’arrêter de rêver que l’on puisse freiner l’augmentation des dépenses, contribuerait à prendre les bonnes décisions. Pour l’instant seul le canton du Valais semble avoir saisi l’ampleur du problème et a décidé de consacrer 42 millions de francs pour améliorer les conditions de travail du personnel soignant de l’Hôpital cantonal (augmentation des salaires et création de 60 emplois). Un exemple à suivre.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

6 Commentaires

@Apitoyou 10.11.2023 | 06h57

«Bon éclairage, mais…… que faire? reste la question principale »


@Grizm 11.11.2023 | 08h58

«Les travaux de l’étude Scophica sont intéressants pour compléter vos propos
https://scohpica.ch/»


@Chan clear 16.11.2023 | 15h28

«Intéressant! Vaste sujet peut être que dans un futur proche, les êtres humains vont reprendre leur santé en main et réaliser que c'est notre responsabilité que de bien s'occuper de soi .
»


@lorge 18.11.2023 | 15h48

«Comme le système de santé est de plus en plus privatisé et qu'il gratifie de plus en plus des actionnaires qui n'ont pas forcément d'intérêt à ce que les gens se portent bien, au contraire, il est évident que la hausse des coûts ne peut être ralentie sauf si on s'arrange pour que les lieux de soins ne soient pas lucratifs, pour que les rendements suffisent à payer les personnel soignant, la logistique, un équipement moderne, une formation adéquate. Y-a-t-il une autre solution que l'intervention de l'état ? Difficile à en imaginer une autre.»


@RAS 06.01.2024 | 19h58

«Analyse intéressante, mais quelques soient les solutions proposées, si la lutte contre la corruption d‘une grande partie des élus par les lobbys ne se fait pas. Rien ne changera, toutes les caisse maladies ne sont des profiteuses, malheureusement il suffit de quelques brebis galeuses aidées pas certains élus pour fausser le tout. Le passage de M.Couchepin au CF démontre bien que la majorité de ses décisions de changement on profité à certaines caisses, et, que même si le peuple a pu le faire revenir après votation sur sa décision concernant les médecines douces, il a laissé le soin à son successeur de les réintégrér. Pour rappel il y a même eu une période, où les présidents National ou États étaient tous deux employés de la même compagnie d‘assurance maladie. Si on ajoute à tout cela swissmedic financé en partie par la Confédération mais en mains de pharmas, des associations de représentations de assureurs maladies comme par hasard 2 sociétés, qui en toutes libertés pratiquent en toutes libertés des contrôles des plus douteux auprès des médecins.
Donc, il n‘y a pas d’illusions à se faire, tant qu‘il n‘y aura un grand nettoyage au niveau des chambres du CF et de swissmedic and c/o le racket va continuer.»


@RAS 06.01.2024 | 19h58

«Analyse intéressante, mais quelques soient les solutions proposées, si la lutte contre la corruption d‘une grande partie des élus par les lobbys ne se fait pas. Rien ne changera, toutes les caisse maladies ne sont des profiteuses, malheureusement il suffit de quelques brebis galeuses aidées pas certains élus pour fausser le tout. Le passage de M.Couchepin au CF démontre bien que la majorité de ses décisions de changement on profité à certaines caisses, et, que même si le peuple a pu le faire revenir après votation sur sa décision concernant les médecines douces, il a laissé le soin à son successeur de les réintégrér. Pour rappel il y a même eu une période, où les présidents National ou États étaient tous deux employés de la même compagnie d‘assurance maladie. Si on ajoute à tout cela swissmedic financé en partie par la Confédération mais en mains de pharmas, des associations de représentations de assureurs maladies comme par hasard 2 sociétés, qui en toutes libertés pratiquent en toutes libertés des contrôles des plus douteux auprès des médecins.
Donc, il n‘y a pas d’illusions à se faire, tant qu‘il n‘y aura un grand nettoyage au niveau des chambres du CF et de swissmedic and c/o le racket va continuer.»


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