Chronique / Macron, de Gaulle, des réformes à marche forcée
Irréformable, la France? Emmanuel Macron veut rétablir sans attendre la santé économique et financière de son pays. Avec tous les risques d'échouer, en dépit de son écrasante majorité parlementaire. Un précédent a pourtant réussi: la création du nouveau franc français en 1960 par Charles de Gaulle, exemple d'une réforme menée à bien et au pas de charge.
Le franc lourd, reportage réalisé par Les Actualités françaises" diffusé le 6 janvier 1960
Le 10 juin 1958, Antoine Pinay, à peine nommé ministre des Finances de Charles de Gaulle alors tout juste revenu aux affaires, reçoit une note appelant à la «restauration d’une monnaie française». Le signataire est Jacques Rueff, un économiste alors peu connu du public, mais dont l'influence est forte dans les milieux gouvernementaux et la haute administration de son pays, pour avoir piloté plusieurs plans de stabilisation financière dès les années 1920.
Trente ans plus tard, cet économiste libéral – adversaire de longue date de John Maynard Keynes, dont les idées dominaient alors la scène – va piloter un groupe de travail aboutissant en quelques mois seulement à la création d'un nouveau franc, dont la force et la stabilité sera les garantes des succès économiques de la France des quatorze années suivantes.
Lorsqu'il promet aujourd'hui de s'attaquer sans délai aux principaux blocages de l'économie française, à commencer par le droit du travail et la réduction du déficit – chronique depuis 1974 – Emmanuel Macron, tout jeune président surgi de nulle part, se heurte, en dépit du large soutien parlementaire acquis lors des élections législatives, à un large scepticisme. Ses prédécesseurs n'ont-ils pas échoué pendant plus de vingt ans à cet exercice? C'est oublier un peu vite le précédent de 1958.
Une France acculée... déjà
Le 1er juin de cette année-là, Charles de Gaulle est intronisé président du Conseil des ministres. La France est dans une impasse. A cause de la guerre d'Algérie, à cause aussi de la chronique instabilité de la IVe République. Et à cause d'un trou financier grandissant. En cette fin des années 50, alors que le pays au cœur du boom économique de l'après-guerre (la croissance annuelle moyenne du PIB atteint 4,6%), il est affecté d'une forte inflation, jusqu'à 15% en 1958, affiche un déficit important – chronique depuis 1931 – et ploie sous les dettes. Une solution est d'autant plus urgente que l'Union européenne des paiements, le système qui protégeait le pays d'une fuite des capitaux, doit être liquidé à la fin de l'année.
Dans un premier temps, le ministre des Finances Antoine Pinay ne tient guère compte de la note de Jacques Rueff et lance un grand emprunt accompagné de deux dévaluations de 20% en tout face au dollar, suivant une formule qu'il avait déjà appliquée en 1952. Mais même si l'opération est un succès, elle ne peut que colmater une brèche et à la rentrée 1958, le général de Gaulle exige davantage. Deux solutions s'offrent à lui: intervenir davantage dans l'économie ou recourir à une solution plus libérale. C'est cette dernière qui est privilégiée par le chef du gouvernement (il ne devient président qu'en décembre).
Pinay fait de la résistance
Jacques Rueff est nommé le 30 septembre 1958 à la tête d'un groupe d'experts, qui rend son rapport deux mois plus tard. Son plan se tenait en trois points: équilibrer les comptes publics, ouvrir les frontières aux échanges commerciaux, assurer la force de la monnaie. Le point central est évidement ce dernier. Il va déboucher sr la création, une année plus tard, du nouveau franc français, dont la partie la plus visible a été de diviser les montants par cent (cent cinquante francs sont devenus un franc et cinquante centimes...) et une troisième dévaluation de 17,55%!
Charles de Gaulle ne comprend d'abord pas tous les détails, et son ministre des Finances Antoine Pinay menace de démissionner si le projet est adopté. Néanmoins, l'avis de Jacques Rueff et de ses experts est le plus fort et c'est un général séduit mais un brin dépassé qui, en décembre 1958, déclare: «J’adopte le projet des experts… Du point de vue technique, je m’en remets dans l’ensemble aux spécialistes… Mais c’est ce que le projet a de cohérent et d’ardent, en même temps que d’audacieux et d’ambitieux, qui emporte mon jugement».
Le général disposait des pleins pouvoirs. L'opinion était à ses côtés et l'enjeu était partiellement masqué par la résolution de la guerre d'Algérie. Autant d'avantages dont Emmanuel Macron ne dispose pas. Sauf, peut-être, le sentiment auprès de ses électeurs, que l'heure de la dernière chance a sonné.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
0 Commentaire