Lu ailleurs / Les Balkans malades du jeu
Une enquête des «Echos» raconte une des conséquences méconnues de la libéralisation du marché dans les pays d’ex-Yougoslavie et les Balkans depuis la fin des années 90: les jeux d'argent, casinos et paris, font des ravages. La Serbie compte sur cette manne fiscale, l’Albanie, elle, a voulu miser sur la prohibition.
On apprend dans cette enquête que, d’après les statistiques de 2008, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) classe la Bosnie-Herzégovine comme le pays comptant le plus d’enseignes de paris, suivie par la Serbie. Depuis, la Serbie a sûrement repris la première place, selon Jelena Manojlovic, la directrice d’une clinique privée spécialisée dans le traitement des addictions au jeu. «Les experts estiment qu’il y a environ 300’000 accros dans ce pays qui compte 6,7 millions d’habitants.»
Dans le centre-ville de Belgrade, en effet, on trouve beaucoup de ces établissements où tout est fait pour pousser le client à consommer: les boissons y sont moins chères qu’ailleurs; et à passer du temps face aux écrans, roulettes ou machines à sous. Les néons des vitrines clignotent nuit et jour, et malgré une législation qui leur interdit de s’implanter à moins de 200 mètres d’une école, ils se multiplient et ciblent les plus jeunes.
Le phénomène est assez récent et se développe de façon débridée. En Croatie, la libéralisation des enseignes de jeu date de l’an 2000. Cinq ans plus tard, les cas d’addictions et de comportements pathologiques ont explosé, en particulier chez les hommes jeunes. Pour attirer ce public, en Serbie, les marques de paris sportifs envahissent les écrans et les médias de leurs publicités, sont même les sponsors des équipes de football et de basket les plus populaires.
Cela soulève l’inquiétude des mères de famille. En dépit de l’interdiction de principe, les mineurs parviennent assez facilement à entrer dans ces établissements. «Mes enfants doivent passer devant quatre ou cinq bureaux de paris pour aller à l’école ou au parc», déplore Bojana, une habitante de Belgrade.
Toutes les tentatives de régulation échouent devant le dogme de l’économie de marché. Le gouvernement serbe argue aussi des nombreux emplois créés par le secteur, et de la manne fiscale non négligeable que constituent les enseignes de jeu. Plus de 139 millions d’euros de recettes budgétaires ont ainsi été générés en 2022.
En Croatie, pourtant membre de l’UE, la législation sur les jeux d’argent est également très souple, pour les mêmes raisons. Mais les professionnels de santé pointent qu’une personne qui développe une addiction au jeu détruit non seulement sa vie mais aussi celle de son entourage, et à l’issue, coûte bien plus cher à la société par sa prise en charge psychologique, psychiatrique, sa réinsertion sociale, etc.. Pourtant, hors des agglomérations, l’aide médicale demeure difficile d’accès et les structures sont très insuffisantes.
Seule l’Albanie a pris le problème à bras le corps. Depuis 2019, les paris et jeux d’argent sont interdits, à l’exception de 5 casinos de luxe. Les addictions au jeu coûtaient en moyenne 124 millions d’euros à l’Etat albanais, et surtout, le crime organisé se servait abondamment des casinos pour blanchir de l’argent. Le revers de la prohibition: les joueurs se sont massivement tournés vers les paris et casinos en ligne. Ceux-ci étant plus addictifs encore, car disponibles à toute heure du jour et de la nuit. Le Premier ministre albanais Edi Rama envisage désormais de revenir sur l’interdiction, alors que les spécialistes déplorent toujours que l’addiction au jeu ne soit pas un enjeu de santé publique dans la région.
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