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Culture / L’Iran juste avant le point de bascule


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Quand on lui demande quelques indications biographiques, l’auteur des «Chroniques persanes» mentionne son ascension du sommet du Huascaran qui culmine à 6'768 mètres dans les Andes péruviennes, en précisant tout de suite qu’on ne l’y reprendra plus. Le Vaudois Patrick Didisheim indique aussi n’a pas besoin de perdre du temps à se coiffer le matin et qu’il se trouve beaucoup plus jeune que les vieux de son âge, bien qu’il lui arrive de faire des Sudokus.



Cet ancien professeur de maths, d’économie et de droit, membre du collectif d’auteurs les Dissidents de la pleine lune et joueur compulsif de poker, tennis et backgammon a précédemment publié un roman intitulé Poker Blues, prétexte à un regard décalé sur la société américaine, ainsi que de nombreuses nouvelles. Mais il est surtout connu dans le milieu du backgammon pour son titre de champion du monde. C’est avec le même humour qu’il retrace, presque dans l’ordre chronologique, deux semaines de voyage organisé de Shiraz à Téhéran.

Les Chroniques persanes nous parlent donc de l’Iran. Pas l’Iran de la Révolution de 1979 contre le régime autoritaire du Shah, ni l’Iran des récentes émeutes, mais l’Iran de 2022 tel qu’il s’est présenté aux yeux de l’auteur lors d’un voyage organisé. Elles en parlent le plus souvent avec la légèreté et l’insouciance du touriste en goguette, guidé vers les plus beaux vestiges du passé ou vers les spécialités que tout visiteur se doit d’acquérir, comme les tapis d’Orient par exemple. Mais aussi avec le regard plus critique et aiguisé d’un auteur conscient des réalités sociales. 

Si les anecdotes suivent le fil du voyage, le premier chapitre échappe à cette logique. Inspiré par la photo de couverture, l’auteur se glisse dans la tête d’un gardien de la Révolution embarrassé par la présence d’une jeune femme à la tête trop dénudée en train de se recueillir sur la tombe d’un poète du XIIIe siècle vénéré par les Iraniens comme une star ou un sportif d’élite le serait chez nous. Cette brève tranche donc avec les suivantes par le ton et par le point de vue narratif. On comprend que le gardien de la Révolution incarne et subit en même temps l’autorité et que la jeune femme « rebelle » risque de lui attirer des ennuis quoi qu’il fasse, puisqu’il est censé intervenir, mais pas sous l’œil des touristes.

Au chapitre suivant, le lecteur fait la connaissance du groupe de touristes dont l’élément le plus truculent est un poivrot astreint par ce voyage à deux longues semaines d’abstinence. Ce personnage à peine caricatural a choisi la destination en fonction du calendrier, mais seuls les bistrots l’intéressent et c’est toujours là qu’on le retrouve, en dépit du fait que les bistrots iraniens ne servent pas une goutte d’alcool.

Autre personnage important, la guide qui s’est battue contre l’autorité de son frère pour pouvoir exercer ce métier. Elle voue une immense reconnaissance au groupe grâce auquel elle peut enfin reprendre son activité après la longue pause imposée par la pandémie. 

Sans oublier le chauffeur, bâti comme un taureau en plus musclé, mais qui se comporte comme une vraie mère poule avec les étrangers dont il a la charge. Un chauffeur qui accomplit l’exploit quotidien de n’écraser personne dans un pays où « trois voies permettent à cinq colonnes de véhicules de circuler de front et où dix centimètres d’écart entre deux véhicules, c’est neuf centimètres de perdus. »

Ce recueil souligne à quel point un voyage touristique est un instantané qui fige à jamais dans la mémoire des participants la situation d’un pays à un moment bien précis, en l’occurrence deux semaines prises entre la levée des restrictions COVID et le début de la contestation contre le régime déclenchée par le décès de Mahsa Amini le 16 septembre 2022. On sent déjà souffler un vent de rébellion et l’auteur, qui a roulé sa bosse sur les cinq continents, s’étonne de l’absence de précaution dans la transgression des règles. Ainsi, la guide se maquille et laisse son foulard glisser sur ses épaules. Comme tous les jeunes Iraniens, elle utilise des adresses fictives à New York pour contourner le blocage des sites occidentaux.

L’instantané comprend aussi la visite de vestiges de 2500 ans d’histoire, comme le site de Persépolis, capitale des Achéménides fondée en 518 avant Jésus-Christ ou le village beaucoup plus récent d’Abyaneth, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, où tout se monnaie au point que le narrateur a l’impression de faire une bonne affaire chaque fois qu’on le laisse appuyer gratuitement sur le déclencheur de son appareil photo.

Parmi les éléments frappants, il y a bien sûr aussi le cours de la devise qui en dit long sur l’économie du pays. Sur la liasse de billets reçue en échange d’une centaine d’euros, on leur en prélève un demi-centimètre pour un café. Certains billets sont en rials, d’autres en tomans. Ceux qui comportent le nombre 50 valent plus que ceux sur lesquels on lit 200'000. Et par la magie d’un passage au bureau de change, chaque membre du groupe se retrouve instantanément millionnaire.

Bref, à travers ce petit opus, Patrick Didisheim nous offre un portrait sensible, décalé et plein d'humour de l'Iran de 2022 à travers les yeux d'un touriste.


«Chroniques persanes», Patrick Didisheim, Editions Les Cerisiers, 93 pages.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@stef 19.05.2023 | 19h35

«J'adore cette culture millénaire.»