Actuel / Bonnes résolutions et coupables désignés: de l’impuissance en politique
Qui blâmer pour la catastrophe climatique en cours? Les politiques, et plus exactement la puissance politique, qui fait preuve d’une révoltante mais pas inexplicable impuissance. C’est le point de vue défendu dans «"Chaque geste compte", Manifeste contre l’impuissance politique», un essai d’écologie très engagé dans lequel le réquisitoire contre les coupables efface malheureusement les perspectives d’action et de solutions.
Dominique Bourg, universitaire et homme politique franco-suisse, est de longue date engagé pour l’écologie politique. Tête de liste «Urgence écologie» aux élections européennes de 2019, il a récolté 1,82% des suffrages. Johann Chapoutot, historien spécialiste du nazisme, est l’auteur de nombreux ouvrages dont le très remarqué Libres d’obéir (Gallimard, 2020), qui opère un rapprochement entre l’idéologie nazie et la pensée et les pratiques managériales.
Ensemble, ils signent ce «Tract», baptisé du nom de manifeste, exaltant projet pour remettre les pendules à l’heure quand vient la question «qui fait quoi» et surtout «qui peut quoi?»
(Im)puissance publique
Les deux auteurs dénoncent d’abord une contradiction dans les termes: le «pouvoir politique» ne devrait pas mériter ce nom, de même que la «puissance publique», qui se révèle impuissante, diagnostiquée ici comme démissionnaire. Sur le plan écologique, cela nous fait courir, en tant qu’espèce, à la catastrophe: tel est le fond du réquisitoire dressé dans ce texte.
Deux exemples: en Allemagne, la coalition de gouvernement écologiste est entravée dans son action, rendue impuissante, par une minorité de blocage des libéraux FDP, «pro-voitures».
Au Royaume-Uni, la démission de la Première ministre Liz Truss, dans le sillage du débat lancé par les travaillistes autour de la fracturation hydraulique, aurait pu ouvrir la voie à une véritable prise de conscience des enjeux écologiques. Mais l’éphémère Liz Truss a été remplacée par un autre membre du parti conservateur. Statu quo.
En bref, les politiques d’aujourd’hui, le nez rivé sur le calendrier électoral, agissent et réagissent en fonction d’échéances à moyen terme, vivent et parlent avec des œillères qui les empêchent de voir le monde tel qu’il souffre, et en cela, font démonstration d’impuissance.
On en déduit qu’un pouvoir politique digne de ce nom doit «répondre de ses discours et de ses actes devant quelque chose (la Constitution, l’Humanité, Dieu) de plus grand que lui».
Immanence et «illimitisme»
De ce fait, «l’écologie de solutions», c’est-à-dire éteindre ou baisser le chauffage, décaler l’heure de faire sa lessive ou porter un col roulé, paraît bien dérisoire au regard des cataclysmes dont nous sommes de plus en plus souvent les témoins ou les victimes. Est-ce vraiment tout ce que peut la puissance politique?
Les deux auteurs proposent de décrire une «métaphysique de la dévastation», qui lie le social à l’environnemental. C’est la logique de la standardisation, de l’uniformisation générale. La pelle mécanique écrase à la fois les sols, les écosystèmes et les différences entre les lieux, les hommes, les traditions.
En France, chaque année, 30’000 hectares de terres arables sont ainsi «artificialisées», c’est-à-dire recouvertes de pétrole. Cela correspond à la surface de forêts détruite par les incendies de l’été 2022 dans l’Ouest du pays. Une fois cela fait, pas de retour en arrière possible.
A l’échelle mondiale, la globalisation entraine la formation d’un «monde atelier» plat et abstrait. Nous créons ainsi un monde sans transcendance, dénué de sens et de vocation à long terme. Un monde de l’immanence. Il faut entendre par là la confusion avec soi-même (de «idios» en grec). Nous vivons donc dans une «idiotie» au sens étymologique, dans l’ignorance de l’autre et des autres, hors leur aspect utilitaire.
Cette attitude se fonde sur le dogme de l’illimitisme, avancent les auteurs. Il faut remonter au XVIème siècle pour comprendre que la science moderne et ses applications sont conçues comme des moyens de faire «reculer indéfiniment les bornes de la nature», selon le mot de Bacon. La mentalité moderne, dans tous les domaines (science, médecine, mais aussi morale, esthétique, sport) est sous tendue par cette culture du dépassement des limites, de la performance, de la transgression.
Nous vivons depuis deux siècles dans un «capitalocène», où toute action humaine n’a pour seul objectif que l’accumulation d’argent. «Et tout a commencé au XVIème siècle avec le mécanocène et ce mépris du donné naturel qui a permis le déploiement sans mesure du capitalisme».
«Ces gens-là»: portrait des grands méchants coupables
Le climatique et le socio-économique sont donc intimement liés et victimes d’un même bourreau: le capitalisme, ou le néolibéralisme.
S’«ils ne font rien», c’est parce que les «criminels» qui n’agissent pas pour le climat sont les mêmes que ceux qui saccagent le bien commun, le service public. «Criminels» dont la place devrait être devant des juridictions pénales internationales, martèle-t-on. Il n’y a pas à chercher loin pour trouver le nom d’Emmanuel Macron et de son gouvernement dans cette dénonciation tous azimuts, et de près accolé à l’appellation «nazi». Le manifeste contre l’inaction climatique se change brusquement en brûlot politique.
«Ils», «ces gens-là», «les criminels» font partie de ce que l’historien Pierre Serra appelle «l’extrême centre». C’est, pour les deux auteurs, ni plus ni moins que «le règne des forcenés». Il faut ici entendre «centre» non au sens d’un rassemblement, d’une conciliation ou d’une mise en équilibre des forces, mais au sens de concentration, centralisation des pouvoirs. Ce serait la preuve d’une «volonté de pouvoir extrême».
Pire que Trump, Bolsonaro, les gouvernements chinois et russe, pire que les pétromonarchies et les démocraties illibérales, il y aurait donc... le macronisme. Incarnation pêle-mêle de la dévalorisation du langage, du piétinement du bien commun, de la brutalité économique et policière, de l’archaïsme monarchisant et de l’anti démocratie.
On rétorquera que la maladroite (ou cynique, il serait partisan de trancher) formule du Président Macron, «qui aurait pu prédire la crise climatique?» prononcée lors de ses vœux du 31 décembre dernier, corrobore cette vision pour le moins clivante de la responsabilité des politiques dans toutes formes de désastres. Contentons-nous ici d’ouvrir les perspectives et d’examiner les solutions potentielles.
Que faire?
La solution, pour Dominique Bourg et Johann Chapoutot, tient en deux mots: sobriété énergétique. Exit le dogme de l’illimitisme, le culte de la croissance, le désir d’être milliardaire ou la croyance en la technologie pour nous sortir de l’ornière. Cela ne marchera pas. L’écologie impose d’abord une critique globale du néolibéralisme. Cela se tient et se défend avec moult arguments. Mais il est toujours exotique d’énoncer le diagnostic de néolibéralisme brutal et barbare lorsque l’endroit d’où l’on parle est la France...
Que faire, donc? Puisque nos actuels gouvernants sont «des libéraux qui ne comprennent rien au système actuel», la seule chose qu’il faut attendre d’eux, c’est de parer à l’urgence vitale. «On a confiné un pays: pourquoi ne parviendrait-on pas à confiner les moteurs?»
Oui, les solutions «d’urgence» consistent essentiellement à... interdire. La publicité sur écrans lumineux, la circulation automobile, les jets privés, les extensions d’aéroports, les implantations de zones commerciales, les golfs... Interdire, réguler, contrôler, limiter. On pourrait malicieusement ajouter à cette liste l’autre chiffon rouge des anti-Macron: «emmerder». En l’occurence, les plus modestes, qui ne peuvent se permettre de consommer «local» et font leurs courses à l’hypermarché, les ruraux, qui ne peuvent se passer de leur voiture, les petites classes moyennes qui économisent des mois, voire des années durant pour se payer un voyage au soleil, n’en jetez plus.
Sous un certain angle, les dimensions sociales et écologiques ne fusionnent pas, elles s’opposent.
Que peuvent faire les citoyens alors? Les auteurs prônent la désobéissance civile. La vraie. En comptant à moyen terme sur une réforme du Code pénal et du Code civil: afin de hisser le droit à la hauteur des enjeux, il faudrait abolir le caractère sacré de la propriété privée. Celui-ci ne devrait plus tenir lorsque le bien possédé est un quad, un SUV, une piscine ou un avion privé. Cela pour contraindre les «riches» qui font sécession, se croient «tout permis», des «forcenés» eux aussi qui ne peuvent être ramenés à la raison que par la contrainte légale.
Doit-on opter pour un changement de civilisation? La question, qui conclut ce manifeste, ouvre une piste de réflexion intéressante. L’enjeu appelle bel et bien un changement radical: que l’on se défasse de tout un univers mental et du vocabulaire qui y est associé. D’une anthropologie et d’une cosmologie qui en sont les fondements. Aussi faut-il changer de civilisation, si l’on entend par civilisation la «mégamachine qui consomme, consume et détruit». «Mais est-il bien étranger à nos civilisations que de ne pas tuer, de ne pas détruire, de pas semer le mal et la mort?»
L’urgence climatique est l’occasion de se poser la question de ce que nous sommes: des êtres vivants parties d’un tout, capables de voir le caractère sacré de ce qui nous entoure et de respecter notre environnement, malheureusement pervertis par les sirènes de l’argent depuis la révolution industrielle? Ou une espèce par essence malfaisante, porteuse de calamités, dont l’extinction ne ferait alors pas grand mal à la planète?
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