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Actuel / Tueur raciste à Paris: l’extrémisme est-il responsable?


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L’homme qui a tué trois Kurdes à Paris est présenté comme «déséquilibré psychiquement» et déclare vouer «une haine pathologique aux étrangers». La «folie» – si «folie» il y a – d’un tueur raciste exonère-t-elle les boutefeux de l’extrémisme?



Son parcours a été décrit par le communiqué de la procureure de la République de Paris, Laure Beccau sur la base des déclarations du tireur, William M., 69 ans, conducteur de trains à la retraite. 

A la recherche de ses proies

Vendredi 23 décembre au matin, il se rend à Saint-Denis, près de Paris, armé d’un colt 45 de calibre 11,43 avec ses munitions. D’après ses propres dires, son but était de tuer le plus d’étrangers possible. «Sur place, il renonce finalement à passer à l’acte, compte tenu du peu de monde présent et en raison de sa tenue vestimentaire l’empêchant de recharger son arme facilement», ajoute la procureure parisienne.

William M. retourne au domicile de ses parents avec lesquels il vit, dans le Xème arrondissement de Paris. Après s’être changé, il ressort et se rend à pied rue d’Enghien vers le Centre démocratique kurde de France, proche du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan opposé à l’Etat turc). 

Devant ce centre, il tire sur une femme et deux hommes. Deux meurent sur le coup. La troisième victime se traîne dans un restaurant kurde voisin. Elle décèdera un peu plus tard à l’hôpital1.

Le tireur poursuit son chemin vers un coiffeur kurde, tire sur trois hommes qu’il blesse; l’un d’entre eux parvient à le désarmer. L’homme est aussitôt appréhendé par les policiers. Il aurait voulu continuer à tirer jusqu’à la dernière balle; celle-ci devant servir à son suicide.

La mise en examen

William M. avait été mis en examen en décembre 2021 pour avoir agressé à coups de sabre des migrants et lacéré leur tente dans un campement du XIIème arrondissement.

Selon la procureure, «il aurait toujours eu l’envie d’assassiner des migrants, des étrangers depuis un cambriolage à son domicile en 2016» et ne cache pas être habité par une haine pathologique des étrangers. Concernant les Kurdes, il leur reproche de s’être contentés de faire prisonniers les terroristes de Daesh au lieu de les tuer.

L'hypothèse terroriste

Pour l’instant, malgré les insistances des militants pro-kurdes, l’hypothèse d’un acte terroriste téléguidé par Ankara n’est pas retenue. Lundi, le juge d’instruction a mis en examen William M. pour «assassinat et tentative d’assassinat en raison de la race, l’ethnie, la nation ou la religion», ainsi que pour «acquisition et détention non autorisées d’arme», sans l’incrimination d’«acte terroriste». Au stade de cette enquête – en se fondant sur les explications mêmes du tireur – c’est donc la haine raciste qui demeure le mobile le plus sérieux. Même si l’hypothèse d’une manipulation de ce «raciste pathologique» ne saurait être écartée d’emblée. Il reste encore à déterminer l’état psychiatrique de William M. que son père nonagénaire décrit, aux micros tendus sur le seuil de son appartement, comme «fou» et «cinglé».

Quel rôle pour les boutefeux?

Sa «haine pathologique des migrants» – qui serait née, selon lui, d’un cambriolage – aurait-elle été nourrie par les discours racistes qui pullulent dans le champ politique à l’extrême droite et au fil des réseaux sociaux?

On ne saurait déceler un lien direct entre ces discours et les actes perpétrés par le tueur. William M. n’a pas eu besoin des injonctions de boutefeux pour passer à l’acte. 

Cela dit, on ne saurait exonérer les racistes politico-médiatiques de leur responsabilité morale.

Depuis quelques années, s’assumer comme «raciste» ne relève plus du tabou, même chez des personnes apparemment saines d’esprit. Ce racisme décomplexé, nous l’avons vu à l’œuvre, version monumentale avec Trump, version franco-lilliputienne lors de la campagne présidentielle d’Eric Zemmour et version télévisée sur la chaîne française CNews du milliardaire Bolloré. Ailleurs, d’autres politiciens se sont placés sur le terrain raciste, flairant le bon coup électoral.

Le bruit de fond fascitoïde

Par leurs feux de bouche, tous ces acteurs de la scène politique et médiatique ont légitimé les interventions les plus gluantes de vilenies racistes qui ont cours sur les réseaux sociaux: 

«Si les ténors politiques de l’extrême, si la Bollochaîne qui a pognon et pignon sur rue, si l’ancien numéro 1 de la première puissance mondiale se livrent au racisme décomplexé… Je vais me gêner, tiens!»

Il en résulte un bruit de fond fascistoïde qui déborde la sphère médiatique pour submerger la vie quotidienne et renforcer cette déprime générale causée par de multiples facteurs économiques, voire sanitaires.

Une goutte de venin...

Point besoin d’être grand clerc pour constater que les esprits les plus fragiles peuvent être gravement déstabilisés par ce bruit de fond. Il suffit alors d’une goutte de venin supplémentaire pour faire déborder un vase empli de poison.

L’une des fonctions de nos racistes politico-médiatiques ne serait-elle pas de donner de rougeoyantes couleurs aux rêves des fous?


1Les trois victimes mortellement atteintes: Emine Kara, militante féministe kurde qui a combattu contre Daesh au Rojava, Mir Perwer, chanteur engagé en faveur de la cause kurde, réfugié politique en France, condamné à 30 ans de prison en Turquie, et Abdurahman Kizil, militant pro-kurde de longue date.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@LaNomade 30.12.2022 | 09h01

«Quel (terriblement) triste destin pour ces trois personnes »


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