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Culture / Photo Phnom Penh Festival: la Suisse à l’honneur


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La treizième édition du Phnom Penh Photo Festival (PPP) qui se tient au Cambodge sous l'égide de Christian Caujolle a inauguré une nouveauté: un pays invité, la Suisse, avec dix photographes et artistes contemporains à l'honneur.



Le Photo Phnom Penh Festival a vu le jour en 2008, sous l’égide et grâce à la passion de Christian Caujole, et de sa complicité avec Sovan Philong, un des tous premiers photographes cambodgiens à être reconnu sur la scène internationale, professeur au Studio Image, un espace de formation et de créativité, au sein de l’Institut Culturel Français, qui vient de publier en mai 2022 un très beau livre en France intitulé City Night Life, aux éditions Le bec en l'air. 

Christian Caujole, journaliste et photographe français, a été l'un des fondateurs et le directeur artistique de l’agence et de la galerie VU, créées en 1998. Il est le directeur artistique du festival Photo Phnom Penh (Cambodge), et de la galerie du Château d'eau à Toulouse. Il fut, entre autres, rédacteur en chef chargé de la photographie à Libération. Son parcours, long et varié, l’a amené à promouvoir la photo à travers le monde entier.

Le PPP est depuis devenu le festival le plus important d’Asie du Sud-Est, supporté aussi par le ministère de l’Art et de la Culture cambodgienne, avec des milliers de photos, des centaines d’artistes, qui ont pu, à travers différents supports, différents médias, être exposés, vus, publiés, à Phnom Penh mais aussi dans le monde entier, depuis quatorze ans. Contre vents et marées, même pendant la période du Covid, l'événement s'est tenu à l’Institut Français, sous des formats plus numériques et adaptés.

Une première pour cette treizième édition

Si ce festival a toujours eu comme priorité de montrer le travail des artistes cambodgiens et des pays voisins, il a aussi toujours mis en avant des artistes venus des quatre coins du monde. Mais cette année, c’est «tout un pays» qui est invité, à travers dix photographes et des vidéos: la Suisse. Pour en parler, je laisse la parole aux deux commissaires de cette exposition, Marie le Mounier et Beat Streuli – en collaboration avec Marcus Kraft: «Petit pays niché au cœur de l’Europe, la Suisse, renommée internationalement pour son chocolat, ses paysages féériques, ses institutions financières, sa capacité d’innovation et sa neutralité, apparait souvent comme une destination de rêve, un pays où il fait bon vivre. Elle est particulièrement présente dans le cinéma et les séries asiatiques, comme le film grand public indien Switzerland de Sauvik Kundu (2020), la série coréenne Crash Landing on You (2019) ou la comédie romantique philippine Meet me in Sankt Gallen, d’Irene Villamor (2018) pour ne citer que quelques productions récentes (…) 

Moins connue du grand public pour son patrimoine culturel et sa scène artistique contemporaine que pour ses paysages, la Suisse est un pays qui accorde toute sa place à la création. De nombreux artistes y ont trouvé les conditions politiques, culturelles et sociales favorables au développement de leurs idées. Havre littéraire et artistique dans une Europe ravagée par la guerre, le Cabaret Voltaire, fondé en 1916 à Zurich par les poètes Tristan Tzara, Hugo Ball, Richard Huelsenbeck ainsi que les artistes Jean Arp, Sophie Taeuber-Arp et Marcel Janco, fût le siège du mouvement Dada. Meret Oppenheim, qui comme Sophie Taeuber-Harp pratique la photographie, ralliera bientôt le groupe. C’est à cette époque que naît le Werkbund Suisse, une association de créateurs qui prône la collaboration entre les secteurs de l’art, de l’artisanat et de l’industrie. Avec l’école des Arts appliqués de Zurich, elle œuvre à la modernisation du design suisse. Le style suisse, inspirée du Bauhaus et du Constructivisme, caractérisé par une esthétique sobre, une utilisation ciblée des couleurs, des symboles et de la photographie émerge dans les années 1950. Joseph Müller-Brockman, une figure marquante de ce courant, développe tout au long de sa carrière une esthétique basée sur un système de grilles tandis que Max Miedinger crée, en 1957, la police de caractère Helvetica. Un standard du style suisse, elle est aujourd’hui encore l’une des polices les plus populaires au monde.

Tableau suisse réunit cinquante œuvres de dix artistes suisses contemporains travaillant avec la photographie. Son titre renvoie aux expositions que réalise Marcus Kraft à Zurich près de la gare de Stadelhofen, sous le nom de Tableau. Polysémique, le mot «tableau» qui vient de «table» fait référence, selon le contexte, à une œuvre picturale, à une scène ou un paysage qui s’offre à la vue, au tableau noir des salles de classes ou encore à un panneau destiné à recevoir des informations. C’est aussi un clin d’œil à la langue française, une des quatre langues nationales de la Suisse (…). Pensé pour être déclinable dans le monde entier, Tableau, qui exploite les espaces d’affichage du centre-ville de Zurich, vise à promouvoir l’art dans l’espace public. Tableau Suisse est une déclinaison de ce projet, le portant pour la première fois à l’étranger, au Cambodge. 

Les artistes, sélectionnés pour cette exposition, offrent un panorama varié de la photographie artistique suisse contemporaine, tant en termes de générations que de pratiques et rend hommage à sa diversité. Certains travaux donnent à voir des aspects «typiquement» helvètes: c’est le cas de la série Hoselupf de Sabina Bösch dont l’objectif se fixe sur un des sports nationaux : la lutte suisse. Pratiquée par les bergers d’alpage depuis le XVème siècle, c’est un sport traditionnellement masculin qui se joue sur une aire circulaire couverte de sciure de bois. Sabina Bösch a suivi une équipe féminine pendant une saison. Les portraits d’adolescents réalisés par Joëlle Lehman dans le cadre d’une commande pour un magazine montrent une Suisse entre tradition et modernité. Ces deux démarches, que l’on pourrait qualifier de documentaires, contrastent avec une approche plus expérimentale du médium photographique comme chez Bernard Voïta, Beni Bischof ou Magdalena Baranya. Puisant leur inspiration dans les lieux et les objets ordinaires, leurs travaux sont plus proches du montage et de l’installation. Jules Spinatsch présente une œuvre panoramique basée sur le principe de fonctionnement des caméras de surveillance tandis que Jean-Vincent Simonet s’éloigne encore davantage de la photographie traditionnelle en retravaillant des images réalisées lors d’un voyage au Vietnam comme des peintures. Photographe et sculptrice, Marianne Müller procède à des recherches plastiques à partir d’archives d’images accumulées au fil des années. Née à Téhéran, Shirana Shahbazi conçoit des installations spectaculaires alliant photographies individuelles et images traitées de manière plus abstraites, imprimées sous forme de papiers peints. Enfin, Walter Pfeiffer, figure importante de la scène photographique suisse, donne à voir des représentations du corps masculin à la fois sensuelles et évocatrices d’une quête d’identité. 

Une projection d’œuvres vidéo de Pipilotti Rist, du duo d’artistes Fischli/Weiss, ainsi que de Marie-José Burki complète ce bref tour d’horizon de la création contemporaine suisse dans le domaine de la photographie et plus largement des installations et des images animées.»

Cette exposition présentant 50 clichés de ces dix artistes a lieu en extérieur, à la F3 (Friends Future Factory), à quelques mètres du Musée National.

Les autres artistes exposés cette année

Khun Vannak, une figure emblématique du festival, né à Phnom Penh, est de retour avec une série de photos, entre art et documentaire, racontant la période difficile de la pandémie, avec humour, mélangeant l’absurde et le poétique, la souffrance qu’a infligée cette crise au monde entier, et aux artistes. Il est exposé au prestigieux centre Bophana, l’équivalent de l’Institut National de l’Audiovisuel en France, fondé par Rithy Panh, un cinéaste plusieurs fois primés, à Cannes notamment. Jean-Baptiste Phou, artiste Cambodgien pluridisciplinaire et multiculturel, est omniprésent au cœur de cette édition. Il se présente «façon puzzle» avec une série de photos de son visage et de son corps, morcelés, déstructurés, prises par lui-même; puis en collaboration avec Srey Mao, peintre, dessinatrice, révélée entre autres au festival d’Angoulême de la bande-dessinée, mixant photos, vidéos et dessins. Ils sont exposés à la Sra’Art Galerie et à la Java Galerie. Entre ombres et lumières, à cet instant particulier où le jour décline et la nuit pointe le bout de son nez, l’artiste Cambodgien Channal Sean joue avec brio de cette entre deux, de cette passation, offrant aux spectateurs de superbes clichés en «clairs obscurs». Il est exposé à l’Institut Français.

Cette treizième édition fait la part belle au voyage, avec sur les murs de l’Ambassade de France au Cambodge, les formidables clichés de la française Claudine Doury et, à l’Institut Français, celles de l’artiste franco-chilien Enrique Ramírez, dont l’œuvre est hantée par la mer. Notons aussi la présence des Singapouriennes Zen Teh, qui nous invite à reconsidérer notre relation à la nature, et notamment la forêt, et de Sam I-shan, qui a choisi un cycle de court-métrages et de vidéos qui interrogent la relation entre le cinéma et la photographie. 

Pour les cent ans de la naissance du roi Norodom Sihanouk, figure emblématique du Cambodge, des dizaines de photos retracent son histoire sur les murs extérieurs de l’Institut Français.

PPP, un festival à part

Pour conclure cet article, il est impossible de ne pas parler du touk-touk tour: le «touk-touk» est un moyen de locomotion très répandu en Asie du Sud-Est et au Cambodge. C’est une «carriole» tirée par une moto, qui fait office de taxi et de transport de marchandises. Pour cette édition, il sont cent à afficher, à l’arrière du véhicule, des photos des artistes. Et le 29 octobre, ils ont parcouru Phnom Penh, amenant environ 250 personnes, toutes nationalités confondues, à travers la capitale, sur les différents sites d’expositions!

Il est impossible de ne pas parler de la gratuité de cet événement et des dizaines de volontaires, qui durant un mois ont appris, partagé leurs passions, pour que ce festival soit possible, du programme «Intersection», qui porte bien son nom, au concours autour du thème «l’eau en danger», de l’implication pédagogique auprès de la nouvelle génération de photographes et/ou d’artistes œuvrant dans les domaines de la vidéo et de l’art visuel en général, à l’implication et au soutien de l’Ambassade de France, de l’Union Européenne, et de tous les sponsors d’ici et d’ailleurs. 

PPP, c’est l’art à la portée de tous, c’est un travail d’équipe exceptionnel, c’est la magie des énergies qui se rassemblent, et c’est maintenant une complicité entre le Cambodge et la Suisse, deux petits pays tellement différents, qui ont su se réunir à l’occasion de cet événement.

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