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Analyse


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Pour une fois unanimes, les sinologues portent un jugement impitoyable sur Xi Jinping qui s’est solidement installé cet automne 2022 en un «Mao» d’une «super-Chine». Même si personne en Europe ou aux Etats-Unis ne souhaite voir la Chine se fragiliser, voire se fracturer, comme ce fut si souvent le cas dans sa longue histoire, les raisons des inquiétudes occidentales sont multiples. Résumons.



L’immense pays est bouclé depuis trois ans. 

Le parti communiste chinois (PCC) regroupe certes la plupart des élites du pays. Mais plus une tête ne doit dépasser en dehors de celle du Leader Xi Jinping.

Cinquante-six ethnies sont passées à la moulinette d’un aplatissement culturel et religieux1, alors que deux d’entre elles seulement (les Hui et les Mandchou, 19 millions de personnes) ont le Chinois comme langue vernaculaire.

Les entreprises privées, qui représentent 60% du PIB chinois et 90% des exportations, sont fragilisées par le credo inflexible du pouvoir: la loi du marché passe après celle du pouvoir. Le management des cinq cent entreprises publiques, gigantesques et opaques, a été décapité, au profit d’idéologues inexpérimentés.

D’un point de vue communiste et chinois cependant, le constat est tout autre. Car la dynastie est aujourd’hui forcée de se réinventer pour survivre. Après l’unité centralisatrice du territoire incarnée par le maoïsme (1949-1976) et ses folies meurtrières2, la mutation de Deng Xiaoping et de ses émules (1977-2012) fut celle du tonitruant «Enrichissez-vous!», période durant laquelle le peuple chinois, courageux et opiniâtre, propulsa le pays au second rang mondial des puissances économiques. 

L’océan paysan chinois, horizontal, calfeutré derrière de Grandes murailles, est ainsi devenu en quarante ans une jungle hérissée de millions de tours vertigineuses et colorées, un espace sillonné d’autoroutes à huit voies et de trains-fusées, dans lequel on ne paye plus son addition au restaurant qu’avec un téléphone portable.

C’est de cette Chine dont s’empare Xi Jinping en 2012, jusqu’à bétonner son pouvoir en ce mois d’octobre 2022. 

Comme Poutine, il voit sa dynastie menacée par toutes sortes de révolutions multicolores, et l’effondrement des autres régimes communistes. Au moment même où les années glorieuses des croissances annuelles à deux chiffres touchent à leur fin, des pans entiers de l’économie chinoise s’effritent (la bourse est très volatile; l’immobilier aligne des faillites abyssales). Les années 2020-2030 seront difficiles en Chine. Car le contrat implicite du PCC vis-à-vis de son peuple – prospérez tranquillement, mais ne vous mêlez pas de politique! – est en passe d’être rompu. 

Pour les communistes chinois, un changement idéologique radical s’impose donc. Xi Jinping s’en imagine l’architecte. Pour sauver le régime, il se donne tous les pouvoirs, en humiliant même son prédécesseur3.

D’abord en renforçant la surveillance des individus. Le budget de la sécurité intérieure dépasse celui de l’armée, les caméras de surveillance (600 millions) couvrent les moindres recoins, et les jacqueries (800'000 par an) sont réprimées sans merci. L’épidémie de Covid permet de boucler des mégapoles entières, comme la turbulente Shanghai. 

Le Centre (Pékin), qui n’a jamais su s’imposer au-delà de régions même limitrophes (200 km), a désormais le prétexte pour imposer sa loi partout, en prétendant protéger la santé des populations. Pour la même raison, les passeports ne sont plus accessibles, les cent millions de voyageurs chinois qui découvraient le monde chaque année se retrouvent enfermés dans leur pays. Ces contraintes font fuir les coopérants et les hommes d’affaires étrangers. C’est voulu. Le régime Xi Jinping referme le pays comme une huître4.

Une autre logorrhée complète cet isolement. Grace à la propagande (la censure du PCC est totale sur l’information et l’internet) le régime exalte nationalisme et chauvinisme, en cultivant la vieille fable d’un homme chinois différent du reste de l’humanité. Différent car supérieur, puisqu’en un demi siècle, il est passé de la misère et du colonialisme à l’exploration spatiale high tech. Un homme qui peut donc, légitimement, devenir arrogant. Xi Jinping, en conclusion du dernier congrès, intime à ce Chinois inédit qu’il lui faut maintenant «oser se battre!»

C’est la véritable rupture Xi Jinping: le maître de la Chine ne cache plus ses ambitions impérialistes. A longueur de parades, il défile devant des millions de soldats qui ressemblent à des robots multicolores.

Jusqu’au XVIIIème siècle, la Chine a réparé sa Grande Muraille. C’est dire qu'elle n’a jamais eu l’âme d’une nation guerrière et expansionniste. Longtemps isolée, elle a accumulé un retard technologique considérable, et n’avait pas les moyens de faire la guerre. Du moins en dehors de ses frontières, puisque – comme la France par exemple – elle s’est construite depuis son centre, agrégeant de nouvelles provinces au fil des siècles.

La conquête de Taiwan, qui jamais n’a été chinoise, relève d’une volonté originale, guerrière et impérialiste, comme l’appropriation de la Mer de Chine, en faisant fi de toutes les règles internationales. L’image de la Chine, d'harmonieuse et pacifique, est devenue celle d’un pays aussi arrogant que ses diplomates, rusé, dont la parole ne vaut rien. D’une nation qui construit six porte-avions en catimini et parie sur un déclin supposé de l’Occident, en rêvant de remplacer les régimes démocratiques par le totalitarisme communiste.

Xi Jinping, pour sauver son parti, mise sur le nationalisme et la confrontation. En Chine, la politique extérieure a toujours été la résultante des problèmes internes du PCC. Les guerres de frontières passées avec l’URSS, l’Inde ou le Vietnam réglaient, comme au billard, des différends entre généraux chinois et leurs maîtres communistes.

Cette fois c’est différent: avec Xi Jinping, c’est le communisme chinois, en difficulté malgré l’étau qu’il resserre sur la société chinoise, qui joue son va-tout en guerre contre l’Occident. Pile ou face? Xi Jinping sera-t-il le héros d’un communisme triomphant dans le monde entier, ou le dernier empereur de la dynastie rouge?


1Les Tibétains, les Ouigours, les Mongols surtout. 

2Lire La Récidive de Lucien Bianco (NRF, 2007) qui compare les révolutions russes et chinoises, Mao l’emportant largement sur Staline en terme de victimes.

3Le respect des anciens fait partie de l’ordre confucéen. Pourtant, en expulsant publiquement son prédécesseur Hu Jintao du dernier congrès du Parti communiste chinois, le 22 octobre dernier, Xi Jinping s’est permis d’humilier ce vieillard de 89 ans, une grossièreté insigne dans la culture chinoise.

4Ce balancement entre ouverture et fermeture vis-à-vis de l’étranger caractérise l’Histoire chinoise depuis des millénaires. Dès que les Chinois se sentent assez forts, ils se replient sur eux-mêmes, quelles que soient les dynasties.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Christophe Mottiez 07.11.2022 | 16h21

«merci pour ce résumé pertinent.»


@rogeroge 07.11.2022 | 19h25

««L’océan paysan chinois, horizontal, calfeutré derrière de Grandes murailles...» belle expression!
»