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Nous ne nous y trompons pas. Avec la PMA, nous sommes face à un phénomène qui est en train de changer l’humanité dans ses fondements essentiels. «Le Monde» du 1er août 2022 nous apprend que sur 5'126 premières demandes de consultation en PMA, au premier trimestre 2022, 53% provenaient de femmes seules. Un phénomène «qui n’avait pas été anticipé».



Un autre article publié le même jour indique qu’à la suite de la dernière loi de bioéthique, les donneurs de gamètes devront consentir à la communication de leur nom, prénom et date de naissance. Exactement ce qu’investigue le livre Sexualités, sociétés, nativités, d’Emmanuel Désveaux qui paraît ce mois-ci chez Champ Vallon, ouvrage très riche en exemples et en noms propres que nous ne pouvons ici qu’effleurer. 

Montaigne est misogyne et Lévi-Strauss puritain, une foultitude de rapports à la procréation et au plaisir sont possibles et ont existé: à chaque page on découvre une ethnie ou un penseur, une nouvelle perspective sur le modèle végétal ou le modèle animal, les chasseurs-cueilleurs ou les éleveurs. 

Voilà, à présent, nous pouvons engendrer un enfant sans avoir pris ou donné le moindre plaisir mais en feuilletant des magazines pornographiques et pour tenter de comprendre comment nous en sommes arrivés là, l’auteur nous retrace, passant des Na aux Dayak, et des Muria au Akha, d’Athènes à Rome, du Moyen Age à aujourd’hui, une histoire de la reproduction. L’Occident a envisagé la procréation tantôt comme une faveur divine, tantôt comme une pratique hyper rationnelle, type élevage. Et à présent nous voici donc entrés dans une nouvelle phase d’eugénisme light ourlée de pornographie, nous dit-il. L’Occident, c’est un mode de production agropastoral, qui impose une astreinte procréative «qui reste sans équivalent dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, comme celles de l’Australie ou de la plus grande partie de l’Amérique du Nord, ou de chasseurs-horticulteurs comme celles d’Amazonie. L’Extrême-Orient semble également en être épargné en vertu de la puissance de son complexe cosmico-échangiste.»

L'Australie, la Chine, le Japon

En Australie, la faune ne comportant que des marsupiaux et des monotrèmes (Mammifère ovipare), ne pouvait servir de modèle à la reproduction humaine. N’y était donc pas connue la nécessité de l’acte sexuel pour obtenir la fécondation et était ignorée la paternité biologique. On considérait que les deux sexes appartenaient à des espèces distinctes. 

En Chine traditionnelle, pendant la période Han, des manuels illustrés, détaillant des rapports sexuels, font partie du trousseau des jeunes mariés. L’homme doit se marier à 30 ans et la femme à 20 ans. L’homme s’initie auprès des courtisanes qui sont plus âgées que lui et ensuite, il initie son épouse. La différence avec notre XIXème siècle bourgeois est que la jeune femme, lettrée et savante, est parfaitement avertie de ce qui l’attend et s’y est préparée. Tous les échanges se font dans l’affection et le respect. Il s’agit d’être des égaux dans la recherche du plaisir. Des textes très précis détaillent les différentes phases de la jouissance féminine, enseignent la satisfaction mutuelle et le coitus reservatus, technique censée prolonger la vie de l’homme. Tranchant avec notre sens commun, pour les Chinois de l'ère Han, le flux émanant de la femme est nettement plus puissant que celui émanant de l’homme. L’acte sexuel doit être pratiqué jusqu’à un âge avancé, au moins jusqu’à 70 ans.

Les Chinois, en prisant ainsi avant tout la notion de longévité, ne se conforment pas aux lois communes de la reproduction sexuée physiologique, régie, elle, par la discontinuité. La diversité du monde animal est pour eux une source de remèdes visant à garantir la longévité. D’où la vente de chauves-souris sur les marchés de Wuhan... 

Les Japonais, quant à eux, sont persuadés qu’allaiter est une des jouissances physiques les plus vives qu’une femme puisse ressentir et que le bébé apprend à partager cette jouissance. Il dort dans un lit distinct mais dès qu’il a acquis l’autonomie du mouvement, il est accueilli sans réserve dans le lit maternel pour autant qu’il en exprime le désir. Pour les Japonais, les enfants sont un peuple à part, relevant à la fois du sacré et du funeste. Ils sont les médiateurs privilégiés avec le monde des esprits et des fantômes. Une légende urbaine contemporaine rapporte que les mères japonaises seraient enclines à coucher avec leur fils à la veille d’un examen crucial. Le père, quant à lui, fréquente les maisons de thé et les geishas. 

Rome et Athènes

En Grèce, une logique d’éleveur prime. Aristote confère un rôle prépondérant à la semence masculine, le corps féminin n’étant qu’un contenant. Le sperme est logos, il y a continuité entre lui et la matière grise du cerveau. A Sparte, un mari âgé peut introduire dans son lit un jeune homme bien né et qu’il aime pour avoir un enfant qu’il reconnaît comme sien. De même, Plutarque permet de demander à une femme féconde mariée à un autre homme, d’avoir avec elle «de bons enfants d’un bon sang et d’une bonne race». Il compare cela à chienne ou jument et meilleurs mâles. Platon aussi dans La République mais à propos de l’allaitement, «selon des préceptes dont pourrait se prévaloir n’importe quel éleveur». 

A Rome, la virilité se définit par le fait de pénétrer, et «lèche-vagin» est l’insulte suprême. Le droit romain introduit le consentement mutuel des époux qui n’existait pas en Grèce. 

L'Occident

Le christianisme tend à rééquilibrer les rôles masculins et féminins et ceci en faisant face au dilemme des Pères de l’Eglise: multiplier les enfants de Dieu en s’abstenant de l’acte sexuel. Le sauveur de l’humanité n’est-il pas né d’un père perpétuel dépourvu de sexe et d’une mère ponctuelle ignorant tout commerce charnel? C'est ainsi que l’Eglise régule la fréquence de l’acte charnel, soit 93 jours par an, sous réserve que la femme ne soit pas «impure», car il convient de soustraire aussi ces jours-là. Le péché le plus grave consiste dans la pratique du coïtus interruptus ou de la sodomie. Au fond, la fonction secondaire du mariage, après la fécondation, est l’une des trois vertus théologales, la charité, exercée au niveau du désir sexuel, tantôt de l’un, tantôt de l’autre. 

Buffon intègre la femme dans les espèces animales, les juments portent le fœtus pendant onze mois, les femmes, les vaches, les biches, pendant neuf mois, les louves pendant cinq mois, les lapines pendant trente-deux jours. 

Sade retourne le libertinage. Pour lui, la jouissance de l’homme, c’est avant tout la non jouissance de la femme. Elle doit s’occuper de l’homme et c’est tout. Il instaure un ordre à proprement parler patriarcal et se fait le chantre absolu de la sodomie. 

La Révolution est tout autant misogyne. L’égalité véritable ne peut exister qu’entre semblables et la différence des sexes fait obstacle à son instauration. Le Code civil avalise un statut diminué pour la femme. Le Code dit Napoléon autorise le mari à demander le divorce pour cause d’adultère et dans le cas de la femme, uniquement si le mari a amené la maitresse dans le foyer conjugal. La topologie de la vie bourgeoise au XIXème siècle est en place: l’épouse au foyer, l’homme au bordel. Le modèle animal triomphe. Dans La Terre, Zola décrit la première rencontre entre les protagonistes quand la jeune héroïne mène la vache au taureau. Et après une scène de viol, l’acmé de la narration réside dans la mise au monde simultanée d’un enfant et d’un veau. 

Avec le succès de Darwin, la primatologie détrône la référence à l’animal domestique. 

Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, une déferlante puritaine s’abat sur la société occidentale. Suite à cela, au début XXème, l’Eglise tente d’humaniser les rapports conjugaux. Les guides de sexologie maritale écrits par des spécialistes catholiques se multiplient. Le mariage parfait de T. H. Van De Velde se vend à des millions d’exemplaires. Le but ultime de l’union charnelle? Que les époux atteignent l’orgasme en même temps, parce que ce serait le plus sûr moyen de concevoir. 

Bolchévisme et nazisme

Par ailleurs, les deux grandes alternatives en manières de sexualité au XXème siècle seront le nazisme et le bolchévisme. La Révolution russe veut détruire le mariage bourgeois. Alexandra Kollontaï demande que l’Etat prenne directement en charge les tâches domestiques et les intègre à l’économie globale: faire la lessive, le ménage, la cuisine, raccommoder les vêtements doivent devenir des activités équivalentes à travailler dans les mines ou dans les hauts-fourneaux. Le nouveau Code civil supprime toute différence entre enfants légitimes et enfants illégitimes. 

L’Allemagne nazie possède un programme eugéniste qui confère à l’hérédité biologique la place centrale de tout l’édifice social. En 1935, sont adoptées simultanément la loi préconisant la stérilisation des personnes atteintes de maladies génétiquement transmissibles et les lois raciales condamnant les mariages des Aryens avec les individus jugés de sang impur. 

«Avec le recul, comment ne pas se dire que, si les nazis n’ont pas eu le temps de réaliser leur programme d’amélioration de la race grâce à la sélection de super-géniteurs, les banques de sperme américaines qui prétendent vendre de la semence de prix Nobel ont repris le flambeau. Plus largement, on s’aperçoit que nombre de questions qui agitent aujourd’hui les partisans de l’insémination artificielle des femmes sont déjà formulées à l’intérieur du double délire nataliste et eugéniste des nazis, par exemple l’insémination post mortem, le risque de consanguinité ou encore la sélection du sperme donc du donneur.»

Des années 1970 à aujourd'hui

En un laps de temps extrêmement bref, la révolution sexuelle renverse tous les codes de l’ère puritaine. Une multiplicité de pratiques hétéro et homosexuelles gagne en visibilité. L’espace public est érotisé et un consumérisme hédoniste se répand partout. Des cours d’éducation sexuelle sont introduits à l’école. Le mariage perd l’essentiel de ses anciennes significations. Les femmes entrent massivement sur le marché du travail. 

A présent, les greffières d'hier sont devenues des juges, les réceptionnistes des architectes, les infirmières des médecins. Les cercles éclairés, proches du pouvoir, envisagent une parité absolue dans tous les domaines. Ce qui a pour corollaire une exigence de parité absolue dans le cercle domestique. Il n’y a plus de complémentarité économico-fonctionnelle entre les sexes. #MeToo est un séisme. L’Occident avalise la disjonction de la femme et de l’univers domestique et entérine le fait que la scène professionnelle doit atteindre un degré de neutralité absolue d’où la séduction doit être totalement bannie. Les sites de rencontres gérés par des algorithmes permettent le libre choix d’un partenaire pour tout un chacun. 

L’autorisation de la pornographie est synchrone avec le mouvement de libération de la femme. Ensuite vient la légalisation de la contraception hormonale, de l’avortement et du divorce par consentement mutuel, qui rendent la femme seule responsable de son corps. La mutation majeure restant la PMA appelée à devenir une procédure banale. Eugénisme à bas bruit donc, vu que dans le cadre des dons de sperme, les services hospitaliers éliminent les échantillons qu’ils jugent défectueux.

Les différentes utopies, de Platon aux nazis, ont toujours envisagé un monde où les femmes seraient fécondées par un nombre restreint de géniteurs sélectionnés. Les partisans de la PMA raisonnent pareillement. A l’hôpital, les services dédiés au recueil de sperme fournissent à discrétion des images explicites d’actes sexuels afin de mieux stimuler l’ardeur des donneurs volontaires. La pornographie produit ainsi l’engendrement de l’enfant destiné à naître par PMA et permet la multiplication à l’infini, comme dans une toile cauchemar de Salvador Dali, des Vierge-Marie.


«Sexualités, sociétés, nativités», Emmanuel Désveaux, Editions Champ Vallon, 396 pages.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@simone 11.08.2022 | 09h47

«Extrêmement intéressant. Merci beaucoup.
Suzette Sandoz»


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