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«Rip It Up and Start Again» («Déchire tout et recommence») de Simon Reynolds raconte l’histoire de la musique post-punk de la séparation des Sex Pistols à l’explosion de MTV et à l’arrivée du walkman de Sony.



Les membres de cette mouvance informelle sont des artistes comme PiL, Devo, Joy Division, Siouxsie and the Banshees, Wire, Magazine, Public Image Ltd, Devo, The Birthday Party, Gang of Four, Joy Division, The Fall, ou Cabaret Voltaire. Cette histoire, c’est l’histoire d’une Angleterre où émerge, après la tornade punk de 1977, une multitude de groupes qui veulent à tout prix s’écarter du chemin «rétro-rock» pour s’ouvrir aux musiques noires et électroniques. C’est aussi l’histoire de villes américaines en résistance: New-York, San Francisco ou Cleveland, où les musiciens viennent souvent des milieux artistiques d’avant-garde et envisagent leur travail comme un instrument de lutte contre l’idéologie culturelle et esthétique qui domine leur pays.

La musique post-punk et les avant-gardes artistiques

Tout au long de ses sept ans d’existence, de 1977 à 1984, la musique post-punk a entrepris une remise à neuf du genre en s’inspirant de l’art et de la littérature modernistes. Le groupe The Art of Noise, baptisé ainsi en hommage au manifeste du futuriste italien Luigi Russolo, a mis les techniques du collage et du cut-up au service de cette musique. Les graphistes post-punk se sont inspirés du constructivisme russe et de John Heartfield. Le groupe Cabaret Voltaire a emprunté son nom au lieu zurichois où fut fondé Dada, Pere Ubu à la pièce d’Alfred Jarry, les Talking Heads ont transformé un poème sonore de Hugo Ball en morceau de disco tribale. Inspirés par les procédés de distanciation de Bertold Brecht et de Jean-Luc Godard, imprégnés de la littérature expérimentale de William S. Burroughs et de la science-fiction de J.G. Ballard et Philip K. Dick, les paroliers de ces groupes ont tenté un renouvellement complet du genre.

Le style post-punk

Le post-punk se différencie du punk rock par un son arty, abrasif, maigre et sombre, frôlant l'atonalité et par des textes agressifs, décalés, cherchant à choquer, à scandaliser et n’hésitant pas à parler du chômage, de la vie urbaine, de l’état du monde et de l’éternelle trahison des politiques. Poursuivant la révolte entamée par le punk, en explorant les nouvelles possibilités sonores offertes tant par l’électronique et les techniques issues du reggae que par la production disco, le jazz et la musique contemporaine, cette version rock’n’roll des avant-gardes historiques était décoiffante et l’est restée! Anti tout, et spécialement anti spécialisation, anti guitare et anti batterie, anti bourgeois, 100% lutte des classes, enfants des situationnistes et de Fluxus, non musiciens faisant de la musique, fans de Jacques Derrida et de la si décriée aujourd’hui déconstruction, cette génération a un sens aigu de l'autodérision et en même temps, la ferme conviction que la musique peut et doit changer le monde.

DIY

Condamné en quelque sorte à un exil intérieur, le post-punk a tenté de bâtir une culture alternative en se dotant de sa propre infrastructure, faite de labels, de disquaires et de réseaux de distribution. Les disques sont faits très très vite et coûtent le moins cher possible. Le principe DIY (Do It Yourself) donne naissance à des multitudes de cassettes enregistrées. L’exigence de contrôle total est à l’origine de labels indépendants pionniers comme Rough Trade, Mute, Factory, Cherry Red et Subterranean. La culture est samizdat: des groupes sortent leurs propres disques, chacun produit son propre fanzine, des organisateurs locaux montent des concerts et se créent de nombreux collectifs de tous genres.

Ce type de valeurs collectivistes vient de la culture radicale du milieu des années soixante-dix. Enormément de gens vivent dans des squats et à cette époque Libération et le guide londonien hippie-branché Time Out sont des coopératives, sans hiérarchie ni échelles de salaires. En Grande-Bretagne, on compte environ trois cents coopératives, constituées de magasins d’alimentation diététique, de librairies radicales et de boutiques d’artisanat.

Le contexte historique

1979-1980, ce sont les années de la révolution iranienne, de l’invasion soviétique de l’Afghanistan et de la victoire aux élections de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan qui incarnent, après des sixties merveilleusement révoltées et des seventies hyper permissives, un archi sévère retour de bâton.

Oui, en Grande-Bretagne, les années soixante-dix semblèrent n’être qu’une longue crise: grèves interminables, coupures de courant, supermarchés pris d’assaut par des mères de famille venant faire leurs réserves, émeutes raciales et, dans les rues, résurgence des violences fascistes. Quand certains regrettent la disparition de l’empire et refusent d’accepter la mixité culturelle de la Grande-Bretagne moderne, d’autres, – le pouvoir syndical connait son apogée au milieu de la décennie –, préparent la révolution et voient chaque mouvement de grève victorieux les rapprocher du Grand Soir. Le chômage est partout et Manchester qui fut l’une des plus grandes villes industrielles du monde est également l’une des premières à entrer dans l’ère de la paupérisation post-industrielle.

La victoire de Margaret Thatcher aux élections générales de 1983 avait représenté un tournant, notamment pour les groupes post-punk du nord du pays, où le chômage de masse s’avérait le plus dévastateur. Pour beaucoup, le premier mandat conservateur était passé pour un coup de chance en faveur de Thatcher et de son parti. Mais lorsque celle-ci fut réélue à une large majorité, toutes les vieilles illusions se dissipèrent.

Les mœurs et la politique

Beaucoup de drogue mais deux poids, deux mesures. D’un côté, il y a la drogue officielle, admise, 250'000 cachets de Valium sont distribués par an à l’époque à Manchester, – et de l’autre, les amphétamines par exemple, qui en plus de permettre au sujet d’ignorer ses besoins corporels, tels que manger, dormir ou faire l’amour, et de se focaliser sur son travail, présentent un autre avantage pour les artistes: elles renforcent leur confiance en eux. 

Quant à ce qui est du politique, le post-punk participe aux manifestations et aux festivals de la Ligue Anti-Nazie, aux concerts organisés par Rock Against Sexism et aux rassemblements contre le stationnement de missiles de croisière sur le sol britannique. 

Le livre fétiche du radical chic de l’époque était Leaving the 20th Century, une anthologie de textes et de productions graphiques de l’Internationale situationniste. Les membres de Gang of Four avaient eu aux Beaux-Arts de Leeds comme prof un authentique situationniste, l’auteur d’un livre génial sur Courbet, T. J. CLarks! Leur autre influence dominante était certainement J. G. Ballard qui lui aussi dressait, dans ses nouvelles, une psychogéographie de la Grande-Bretagne, décrivant inlassablement les restes d’un urbanisme qui s’était voulu visionnaire et de l’architecture dite brutaliste en vogue dans les années soixante: tours gigantesques, souterrains obscurs, passerelles et passages en béton, aérodromes désaffectés, champs de tir abandonnés, réservoirs asséchés, villes fantômes.

Le retour du marché

En 1979, le rap débarque dans les charts avec le tube «Rapper’s Delight» du Sugarhill Gang. 

Et aux débuts des années 80, la New Pop se renouvelle en attirant le meilleur des synthés et des boîtes à rythmes, des clips, et du retour du glamour. Couleurs vives, danse, fun et style se voient à nouveau adoubés par tous. Grâce à l’ouverture d’esprit engendrée par l’ecstasy, les tendances électroniques les plus extrêmes du post-punk et de l’industriel trouvent un public de masse: les raves donnent à entendre des textures et des sonorités directement venues de DAF ou de Cabaret Voltaire. Mais le contexte, un hédonisme collectif et frénétique, et l’émotion, une euphorie teintée de mysticisme, n’ont en revanche plus rien à voir. L’acid-house consiste essentiellement en une fusion du futurisme post-punk et du délire dionysiaque des années soixante.

La culture rave donne à son tour naissance à une multitude de nouveaux labels indépendants et fait proliférer des centaines de structures autogérées. L’idée même que des adolescents fassent leurs propres disques sur des ordinateurs, dans leur chambre, pour ensuite les sortir, représentant la forme ultime du do-it-yourself.

La fin

Le coup de grâce au post-punk est donné en décembre 1983 par le concert et le single caritatif, Do They Know It’s Christmas, interprété par l’élite New Pop anglaise – Duran Duran, Spandau, Culture Club et les autres. Puis apparaît U2. La récréation était finie. Les petites salles de contestataires vont être remplacées par de grands stades peuplés de foules de consommateurs passifs. L’industrie du disque reprend les rênes de la scène musicale. «Like a Virgin» de Madonna fait un carton planétaire et les niaiseries de Wham! et autres Duran Duran viennent remplacer les espoirs et désespoirs post-punk. Michael Jackson, Eurythmics, Prince, Culture Club occupent dorénavant et pour longtemps toute la scène.


«Rip it up and start again», Simon Reynolds, Editions Allia, 688 pages. 

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