Lu ailleurs / Les journalistes russes contre Poutine
Le média web russe d’orientation libérale «Ekho Moskvy» publiait hier des témoignages de journalistes en désaccord avec la politique de Vladimir Poutine. Anton Dolin, critique de cinéma, y affirme notamment avoir «honte de son président» et qualifie d’impardonnable l’intervention militaire en Ukraine. D’autres évoquent une «marche funèbre» et exhortent l’Occident à réagir plus fermement.
«Jamais de ma vie, en paroles ou en actes, je n’ai soutenu le pouvoir de Poutine, je n’ai jamais voté pour lui, et malgré cela, j’ai honte, j’ai la nausée», écrit Anton Dolin, avant de s’adresser directement au peuple Ukrainien: «Je ne vous demande pas pardon, il est impossible de pardonner cela.»
Sur leurs blogs respectifs, hébergés comme celui de Dolin par Ekho Moskvy, d’autres voix s’élèvent.
Le journaliste Alexandre Nevzorov évoque la «Marche funèbre» de Chopin pour résumer les récents événements. Et son dégoût: il n’y aura aucun «miracle militaire», les opérations vont s’enliser «devenir un désordre sanglant et désagréable, pendant une longue période» prédit-il. Cependant, «la force de l’Ukraine ne se trouve pas là où les missiles russes frappent aujourd’hui». Les raisons de la guerre, le révisionnisme historique agité par Vladimir Poutine, entraineront tôt ou tard son issue, poursuit-il, et il accuse: «La guerre se terminera à La Haye pour tous ceux qui l'ont fomentée, approuvée, rédigée, créée, exécutée. Il est inutile de chercher ses raisons dans la politique, la géopolitique, la constitution, le droit international ou ailleurs. Et il n'y a pas besoin de chercher. Les raisons ne s’y trouvent pas. N’importe quel manuel de psychiatrie peut expliquer les causes de la guerre. (...) Les événements les plus terribles viennent de là où personne ne les attendait, même pas les manuels de psychiatrie, encore moins les auteurs de théories du complot historique minables».
C’est aussi la colère contre l’Occident qui peine à «reprendre ses esprits» qui dicte sa tribune à Nevzorov. Il en appelle à une saine indignation envers son propre pays, lequel constitue «un problème trop grave pour l’humanité» qui ne sera pas résolu en «privant les diplomates russes de faire leur shopping à Milan».
L’acteur et danseur Sergey Lazarev évoque lui son fils de 7 ans effrayé par la guerre et s’insurge: «Je veux vivre et créer en temps de paix!»; «Laissez les gens vivre! Personne ne soutient la guerre!»
La honte des adultes devant les questions des enfants revient régulièrement dans les différentes tribunes. «Comment expliquer que des adultes décident qui va mourir et où?» s’indigne Ksenia Rappoport.
Dans une vidéo face caméra, le prix Nobel de la Paix et rédacteur en chef de Novaya Gazeta, Dmitri Muratov, annonce que le dernier numéro de son journal paraît aujourd’hui en ukrainien et en russe en signe de solidarité, et que sa rédaction est «en deuil». D’après Muratov, il faut lire dans le discours matinal du président russe rien de moins qu’une menace nucléaire à l’encontre de l’Occident. Un président qui «joue avec le bouton nucléaire entre ses doigts comme avec les clés d’une voiture de luxe».
Depuis une ville de province ukrainienne, le reporter Vitali Taranenko décrit quant à lui les rayons d'un supermarché dévalisés en farine, sucre, sel et céréales, les distributeurs de billets vides et les habitants, qui avant-hier faisaient des projets pour le week-end, cédant dès jeudi matin à la panique. Cette dernière pourtant est «la pire ennemie de l'Ukraine», et fait partie des armes de guerre, affirme-t-il. «Nous, à l'arrière, devons accomplir notre devoir: rester calmes.»
Un nombre impressionnant de billets de blogs fleurit, de plus en plus nombreux à mesure que la journée avance et que les salves de missiles sont annoncées par les médias et les témoins. Les appels à la paix y côtoient les malédictions lancées à Vladimir Poutine, et unanimement, ces opposants attendent à la fois une réaction occidentale proportionnée – militaire ou pas – et avant tout un sursaut de l’opinion publique russe.
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