Culture / Un père à la recherche du temps perdu
Semezdin Mehmedinović, «My Heart: a novel», traduit du bosnien par Celia Hawkesworth, Catapult, 240 pages.
Cela commence par une scène quasi originelle. Semezdin, quinquagénaire et incorrigible fumeur, sort de la douche et est pétrifié par une douleur dans la poitrine et un goût de ciment dans la bouche. Une crise cardiaque. La suite du malaise, l’intervention des médecins, l’hôpital, l’opération, est racontée depuis l’esprit embrumé, à travers les obsessions bizarres qui se forment dans le cerveau d’un corps malade. Semezdin, sa femme Sanja et leur fils Harun ont quitté la Bosnie peu après le siège de Sarajevo, en 1995, et se sont installés à Phoenix puis à Washington. Le reste du récit est une tentative d’anamnèse, non des faits mais des souvenirs en tant que tels, avec leur flou et leur décalage, celui que crée l'impression incurable d'être un étranger. Parce que ses médicaments risquent de lui causer des pertes de mémoire, Semezdin tente d’imprimer des images et des mots profondément en lui. Il part avec son fils pour un road trip d’est en ouest sur la route 66. Le journal qu’il tient de ce voyage relie le passé au présent avec naturel et se change en lettre au fils d’un père humble et fier. Après leur retour, c’est Sanja qui perd finalement la mémoire, à cause d'une attaque cérébrale. Renversement des rôles. Semezdin Mehmedinović, avec My Heart, dont on espère voir bientôt la traduction en français, réalise un peu de la quête de l’absolu, la recherche du temps perdu. Le passé détruit par les bombes a la même consistance que le présent piétiné par la maladie.
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