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Lu ailleurs

Lu ailleurs / Le rêve polonais de la grandeur passée

Jacques Pilet

12 août 2017

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Une anecdote qui en dit long sur les cicatrices encore irritées de l’histoire. Pour les 100 ans de l’indépendance, le gouvernement polonais prépare un nouveau passeport. Il soumet le choix de l’illustration à un sondage par internet. Deux propositions font grand bruit: des monuments qui se trouvent aujourd’hui en Ukraine et en Lituanie. Tensions révélatrices des sensibilités est-européennes.



On peut en sourire mais la polémique vaut le détour. L’une des images choisies est la Porte de l’Aurore à Vilnius. La dernière qui reste de ses remparts, devenue un lieu de pèlerinage catholique. C’est un rappel du passé: du milieu du XVIe au XVIIIe siècle, la Pologne et la Lituanie ne faisaient qu’un, sous l’appellation de la République des Deux Nations. Elle fut dissoute par l’Autriche, la Prusse et la Russie qui occupèrent ces territoires. Mais la sensibilité nationaliste des deux Etats est restée vive. Le gouvernement s’est fâché et a enguirlandé l’ambassadeur polonais. 

Néanmoins cela ne dégénérera pas si l’on en croit le journal lituanien Delfi: «Il est toujours bon de répondre avec humour à la bêtise de ses voisins (...). Mais comme nous ressemblons comme deux gouttes d’eau à nos frères polonais, la Lituanie a fait preuve d’une absence totale de sens de l’humour dans sa réaction au choix de la Porte de l’Aurore par les Polonais (...). Une absurdité conçue par des radicaux a mobilisé des radicaux dans le camp adverse – selon un mot d’ordre auquel ils sont autant réceptifs les uns que les autres "Enfourchez vos montures et dégainez vos épées!"»

Souvenir douloureux

La tension avec l’Ukraine est plus sérieuse parce que l'incident s’ajoute à d’autres. L’image contestée est celle du Cimetière des défenseurs de Lviv. On voit dans cette nécropole dite de Lyczakowski de grandes personnalités polonaises d’autrefois, admirablement statufiées. Rappel de l’époque où une partie de cette région appartenait à la Pologne. Souvenir douloureux: pendant et aussitôt après la Seconde guerre mondiale, la population polonaise a été massacrée et chassée par les nationalistes ukrainiens, avec l’aide des nazis d’abord, des Soviétiques ensuite. De surcroît, les Polonais s’étaient récemment émus des hommages tonitruants du gouvernement de Kiev à des héros indépendantistes fascisants précisément impliqués dans ces horreurs.

Mais la Pologne, l’Ukraine et la Lituanie auront tôt fait de baisser le ton de ces polémiques… au nom de leur aversion commune envers la Russie. Sûrement pas au nom de la vocation réconciliatrice de l'Europe d'aujourd'hui.

Mais à propos, où diable prendra place l’image choisie sur le passeport européen standard en vigueur en Pologne comme chez les autres membres?


L'article de Delfi: «Lenkijos noras pasuose pavaizduoti Vilnių ir Lvovą supykdė ir Ukrainą»


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