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Actuel / Le jeu pervers des sanctions internationales

Jacques Pilet

3 août 2017

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Faut-il punir le Venezuela pour le coup d’Etat d’institutionnel en cours? Comment doit réagir l’Europe aux nouvelles sanctions décrétées à Washington contre la Russie, l’Iran et la Corée du nord? S’y joindre? Les refuser? On n’entend aucune réponse claire à ces questions. Le bilan historique de ces mesures impose pourtant une réflexion critique.



On ne voit guère que deux cas où l’embargo international, décrété par les Nations Unies, eut des effets positifs. En Afrique du sud au temps de l’apartheid et en Rhodésie. Ces deux régimes racistes sont tombés en raison de ces mesures. De bien d’autres facteurs aussi.

La liste est longue des pays ainsi frappés qui n’ont pas plié, sinon plus tard sous les bombes. Le cas le plus extrême est celui de l’Irak entre 1990 et 2003, l’année de l’intervention qui renversa Saddam Hussein et créa le chaos que l’on sait. Pendant plus d’une décennie, tout commerce avec la nation diabolisée avait été interdit. Il en résulta une crise humanitaire dont on a peu parlé: manque de nourriture, manque de soins de santé, prolifération du marché noir et de la spéculation.

La formule à graver dans les annales

La Corée du nord? Depuis plus de dix ans, elle est sous le coup d’un large embargo, décrété par le Conseil de sécurité de l’ONU après un premier essai de bombe nucléaire. Ce programme n’a nullement été freiné. Il est vrai que la Chine continue de commercer abondamment avec ce pays. Même dans la mauvaise humeur face au dictateur mégalomane.

L’Iran? Les sanctions – d’ailleurs largement détournées – ont peut-être joué un certain rôle dans son évolution politique de la dernière décennie qui a permis la signature de l’accord sur la suspension des programmes nucléaires. Mais c’est bien davantage l’aspiration du peuple à une normalisation des relations internationales qui a permis la décrispation. Et aujourd’hui? Le Département d’Etat affirme que l’Iran a respecté l’accord «à la lettre mais pas dans l’esprit»: une formule diplomatique à graver dans les annales! Néanmoins, le Sénat vient de durcir encore les sanctions et les ouvertures commerciales prévues lors des négociations ont passé aux oubliettes. Résultat: même le président modéré Rohani, bien élu, soutenu par le «guide suprême», doit muscler son discours et donner des gages aux durs de durs, les «gardiens de la révolution» qui ne rêvent que de castagne. 

Dans ce cas, il est patent que les sanctions gênent d’abord les alliés des Etats-Unis. Les entreprises européennes qui souhaitent commercer et investir en Iran, marché d’avenir, se trouvent interdites d’activité outre-Atlantique. Les personnes qui ont fait le voyage de Téhéran doivent s’expliquer avant de recevoir un visa US.

L'UE s’opposera-t-elle au diktat de Washington?

Cet effet collatéral – ou recherché? – est encore plus patent avec les nouvelles mesures contre la Russie récemment décidées par le Sénat américain et signées, à contre-cœur, par Trump. Il s’agit de pénaliser les sociétés qui travaillent avec les Russes à la construction des nouveaux pipe-lines amenant le gaz et le pétrole en Europe occidentale. A commencer par le Northstream, ce tube sous-marin qui doit relier la Russie à l’Allemagne au large de la Pologne et des pays baltes. Ceux-ci s’en offusquent bruyamment. Cette décision américaine suscite la grogne à Berlin. Mais l’Union européenne surmontera-t-elle ses divisions sur le sujet et s’opposera-t-elle au diktat de Washington? Pas sûr.

Si les Européens acceptaient de se priver des hydrocarbures russes, se tournant vers le gaz de schiste américain pour les remplacer – ce que souhaitent les Etats-Unis – ce serait sans doute un coup sévère pour la Russie. Mais celle-ci a plus d’une carte dans son jeu. Elle l’a démontré en développant son agriculture après la première vague de sanctions qui lui interdisait l’importation de produits européens. Plusieurs pays, membres ou non membres de l’UE, feront tout pour garder leur approvisionnement traditionnel en pétrole. Au plan géostratégique, Moscou s’active pour renforcer ses liens avec l’Iran et la Chine. L’Amérique interventionniste est en train de marquer un auto-goal.

Marasme humanitaire

Et le Venezuela? Le coup d’Etat institutionnel en cours suscite la réprobation en Amérique latine – à quelques exceptions près –, en Europe et aux Etats-Unis. Ceux-ci parlent de «mesures» contre le régime de Nicolas Maduro. Le mot de sanctions n’a pas encore été lâché. Il est évident que si Washington hausse le ton, cela ne peut que servir l’apprenti-dictateur qui retrouverait la sympathie de bien des Vénézuéliens qui ne lui sont pas favorables mais «anti-impérialistes» par nature. Cependant Trump n’ira pas trop loin. L’économie américaine apprécie l’apport du pétrole extrait de la plus grande réserve du monde. Une de ses compagnies pétrolières vient même de signer un contrat (1,6 milliard de dollars) pour la rénovation de quelques puits.

L’Union européenne a dit aussi sa réprobation. Mais elle se garde bien d’évoquer des sanctions possibles. Elle sait que celles-ci durciraient plus encore l’affrontement intérieur et, surtout, plongeraient la population dans un marasme humanitaire pire encore qu’aujourd’hui.

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