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Actuel / La votation qui en cache une autre

Yves Genier

10 février 2021

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Alors que l'interdiction du port de la burka va capter l'essentiel du débat sur les votations fédérale du 7 mars prochain, il en est une dont le titre ne correspond pas du tout au contenu: celle qui prétend «stopper l'huile de palme».



Les citoyens-électeurs auront du boulot le 7 mars prochain: une partielle au Conseil d'Etat genevois, des communales dans les cantons de Vaud et Fribourg, trois sujets de votation fédérale dont un, chargé de stimulus identitaire: la proposition d'interdire aux femmes de s'habiller comme elles veulent en leur défendant de se voiler le visage. Les deux autres disparaissent dans le brouillard des questions apparemment trop techniques pour attendre une réponse du peuple. Et pourtant.

Et pourtant, le référendum sur l'huile de palme demande aux gens de répondre à une question qui ne leur est pas posée. Ce référendum s'intitule «Stop à l'huile de palme» et entend combattre les importations de cette denrée alimentaire en provenance d'Indonésie en appelant le peuple à rejeter un accord de libre-échange conclu entre ce pays et la Suisse. En gros, votez non, et la Suisse n'importera pas de cette huile de ce pays. Simple, apparemment.

Deux grandes puissances économiques

La question effective est: voulez-vous faciliter le commerce entre la Suisse, ses 8,5 millions d'habitants et son PIB de 740 milliards de francs environ (21 puissance économique mondiale) et l'Indonésie, 4e pays le plus peuplé au monde avec ses 275 millions d'habitants, son PIB de 1119 milliards de dollars (17e rang mondial) et ayant prouvé la vivacité de sa démocratie?

Ces échanges avoisinent le milliard de francs annuel. Ce chiffre ne fait pas du vaste Etat d'Asie du Sud-Est notre principal partenaire commercial, mais montrent tout le potentiel de développement. Or, ces échanges sont actuellement des plus classiques: la Suisse exporte principalement de la chimie, des produits pharmaceutiques et des machines, et elle importe, en retour, des chaussures, des vêtements, beaucoup d'or... et pratiquement pas d'huile de palme. Cette dernière ne correspond qu'à 0,004% du commerce bilatéral, quelque 35 tonnes par an. Une proportion en baisse.

Une obsession...

Le référendum veut combattre la déforestation, notamment sur l'île de Bornéo, au profit de nouvelles plantations de palmiers à huile. Elle veut aussi combattre la concurrence qu'exerce l'huile de palme face aux productions de colza et de tournesol indigènes. Et, tout simplement, le recours accru de cette huile dans l'industrie agro-alimentaire.

Ces préoccupations, particulièrement la première, sont légitimes. Mais ce n'est pas le vote sur l'Indonésie qui y répondra. Le principal fournisseur de la Suisse est un archipel que personne n'est capable de situer sur une carte: les îles Salomon, dans le Pacifique ouest. Le numéro deux est le Cambodge. Qui se soucie des conditions de production dans ces pays?

Les importations d'huile de palme, tous fournisseurs confondus, est en baisse ces dernières années: pas loin de 20%. Parallèlement, la production d'huiles indigènes n'a cessé de progresser ces 20 dernières années. Qui aurait constaté une disparition progressive des champs de colza ou de tournesol dans nos campagnes? Cela se serait quand même fait remarquer!

L'huile de palme, enfin, serait mauvaise pour la santé? Les  nutritionnistes sont partagés mais s'accordent à dire qu'elle n'est, dans l'ensemble, pas pire ni meilleure qu'une autre. Du reste, elle est très employée, pour les usages quotidiens, dans les pays producteurs. C'est sans doute pas pire que toute la graisse saturée que l'on met dans nos plats industriels. Et si c'était ces derniers, en fait que combattent les référendaires?

... Et une vraie question

Reste, enfin, une dernière question soulevée par certains référendaires: faut-il faciliter encore les échanges commerciaux alors même que se dessine la crise climatique? Ceci est une vraie question, la vraie. Dont le rejet éventuel d'un accord de libre-échange n'offre qu'une réponse très partielle, mais pertinente. Mais diable, pourquoi les référendaires ne la posent-il pas haut en fort plutôt que d'égarer les esprits avec leur obsession sur l'huile de palme?

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

5 Commentaires

@yvesmagat 10.02.2021 | 23h05

«Intéressant de voir que l'ONG Public Eye préfère ne pas se prononcer sur cette votation. Elle admet que l'accord avec l'Indonésie devrait imposer des normes plus strictes de contrôle de la production d'huile de palme s'il est accepté. Et du même coup son importation en Suisse, déjà infime en provenance de ce pays, concurrencerait encore moins les producteurs suisses de colza que la situation actuelle qui se maintiendrait si l'accord est rejeté. Le principal bémol reste la capacité d'un contrôle sérieux sur place. Mais là aussi, le statu quo semble encore pire. L'enfer est souvent pavé de bonnes intentions...»


@Bacchus sur léman 12.02.2021 | 15h23

«Ce n'est pas tous les jours qu'on peut donner son avis sur le libre échange, religion d'État en Suisse, les "protestants" sont facilement voués au bûcher. Dans un monde fini ou la biodiversité est en péril, continuer à accélérer dans le mur n'est pas vraiment raisonnable. Certes, il y aurait des accords plus intéressants à débattre mais il se trouve que celui-ci était soumis à référendum. Alors, en refusant cet accord, on ira toujours dans le mur, mais moins vite et peut-être que ce signal réveillera quelques consciences, s'il en reste sous la Coupole, ce qui n'est pas sûr.»


@Lagom 13.02.2021 | 08h48

«La campagne pour cet objet du 7 mars n'a pas commencé alors que les bulletins de vote sont reçus et dans mon cas j'ai déjà voté. J'ai voté NON, pour protéger les producteurs suisses des autres huiles, qui souffrent déjà des prix bas. Je ne pense pas avoir bien voté mais aucun regret. »


@ArnaudVS 14.02.2021 | 11h13

«Alors que l’Indonésie vient de signer le plus grand accord accord commercial de l’histoire avec la Chine ( qui profite du ralentissement de l’Europe empêtrée dans le COVID) qui va jusqu’en Australie, un accord avec l’Indonesie risque bien de n’être qu’une nouvelle porte d’entrée pour le marché chinois en Suisse... qui est déjà , à mon sens, beaucoup trop présent chez nous. Ne soyons pas naïfs : face au bulldozer chinois, nous ne pesons rien du tout...»


@Nataly 28.02.2021 | 10h17

«Merci pour cet article qui m’a donné une meilleure compréhension de cet objet de votation. La remarque suivante je la fais tout en ayant conscience que je ne me rends pas compte de ce qu’impliquerait pour une structure telle que « Bon pour la tête » d’avoir une relecture des articles en voie d’être publiés ... Ma remarque est que je trouve que les fautes de français ont un impact sur le plaisir de lecture... (espérons qu’il ne s’en glisse pas ci-dessus »


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