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Lu ailleurs

Lu ailleurs / Le vaccin pour tous? Patience...

Marie Céhère

30 décembre 2020

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Enterrer 2020 et enfin tourner la page... Les attentes sont immenses, en ces derniers jours de l’année. Et il est permis de rêver. La réalité est plus prosaïque: il faudra du temps. Le vaccin est porteur de tous les espoirs mais son déploiement à l’échelle planétaire présage déjà des tensions, souligne les inégalités et perpétue les injustices entre les riches et les pauvres du monde. Revue de presse.



Edward Carr, rédacteur en chef adjoint de The Economist, fait pour 2021 un pronostic imagé. Il faut s’attendre, dit-il, à une année-sandwich. Deux fines tranches de bonnes nouvelles accompagnées d'une épaisse garniture de frustration, de déceptions et de conflits. 

La première bonne nouvelle, c’est le triomphe de la science. Là où un vaccin met d’ordinaire 10 à 20 ans pour être mis au point (avec la méthode, désormais ancestrale et éprouvée, de l’inoculation d’un virus atténué, «désactivé»), le vaccin Pfizer-BioNtTech à ARN messager est déjà prêt. Et cette technique, dont les scientifiques les plus compétents répètent qu’elle n’a aucunement lieu de susciter les craintes qu’elle suscite ces jours-ci, est porteuse de beaux espoirs pour l’avenir de la recherche médiale, en particulier dans le traitement des cancers. 

Seconde bonne nouvelle, les vaccins à ARNm sont également plus faciles et plus rapides à fabriquer, et dans la lutte qui oppose le monde à l’épidémie, le temps joue contre nous. 

Si tout va bien, d’ici la fin de l’année 2021, les laboratoires seront en mesure de fournir suffisamment de doses pour ralentir significativement la progression de l’épidémie. Pas l’éteindre...

Mais les choses n’iront pas aussi bien, avertit Edward Carr. Une campagne de vaccination à l’échelle mondiale, dans l’urgence absolue, cela ne s’est encore jamais vu. La tâche est colossale. Le Serum Insitute indien (l’un des plus gros producteurs de vaccins au monde) a fait le compte. Il n’y aura pas assez de doses de vaccin pour tout le monde avant, au plus tôt, 2024. Les conditions de conservation et de transport du vaccin Pfizer en particulier (-70°) sont un défi logistique, même dans les pays les plus développés. Il faudra encore du temps, et il n’y aura pas de vaccin pour tout le monde, tout de suite.

La Northeastern University de Boston appuie ces projections: si les 50 Etats les plus riches de la planète reçoivent 2 milliards de doses d’un vaccin dont l’efficacité est estimée à 80% (un peu moins, donc, que les performances revendiquées par les fabricants à l’heure actuelle), cela n’aura permis d’éviter que 33% des décès imputables au coronavirus. Un petit pas, seulement. 

Il faut donc s’attendre à voir s’affronter les Etats dans la course à la livraison des vaccins. Et pour éviter que les plus riches ne se servent les premiers, l’UE a dégainé l’arme de la coopération, avec l’initiative COVAX. 

C’est la présidente de la Commission Européenne qui en parle le mieux. Dans le même numéro prospectif de The Economist, Ursula von der Leyen définit la suite du combat contre le virus comme un sport d’équipe. En résumé, nous ne gagnerons pas seuls. C’est l’esprit de l’Union européenne qui le veut. Ainsi, le programme COVAX regroupe désormais 170 pays et est piloté localement par des ONG, des philanthropes et des leaders économiques. Le but: s’assurer que tous les pays reçoivent à temps et dans de bonnes conditions les doses nécessaires à la population. «Tandis que nous sommes engagés dans des pourparlers avec six laboratoires pharmaceutiques pour acquérir des vaccins destinés aux citoyens européens, écrit la Présidente de la Commission, nous œuvrons aussi à réserver et à financer l’approvisionnement des pays moins développés, à travers le programme COVAX. Par exemple, quand nous avons signé un accord de pré-achat avec Sanofi et GSX, nous avons accepté qu’ils mettent de côté une part non négligeable de la production pour alimenter COVAX.» 

Seth Berkeley, directeur de l’organisation Gavi (Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation) rappelle que les pays riches ont tout intérêt à céder la priorité aux régions et aux Etats défavorisés. «C’est purement et simplement indispensable. (...) Tant que d’importants foyers de contamination persisteront dans le monde, la menace d’un retour de flammes planera sur le quotidien et l’économie des pays riches.»

De belles et bonnes intentions, qui se heurtent bien vite à la réalité: la course à la couverture vaccinale est aussi la course au déconfinement et au redémarrage de l’économie.

Dans les faits, en novembre, l'organisation britannique Global Justice Now relevait que 80% de la production du vaccin Pfizer-BioNTech était déjà vendue aux gouvernements des pays les plus riches (de quoi vacciner leur population entière trois fois...), qui ne représentent que 14% de la population mondiale. 

2021 ne sera assurément pas l’année du retour à la normale. Elle pourrait même s’avérer plus agitée, plus violente encore. La route vers la sortie de crise est pavée de pièges. Ne nous laissons pas emporter par les (nobles) instincts de la lutte pour la survie — sanitaire et économique. A problème global, solution globale. 

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@CEDKEL 30.12.2020 | 07h02

«Vous présentez les nouveaux vaccins à ARN messager comme un triomphe de la science, avant de doucher tout enthousiasme excessif en raison de la difficulté de vacciner rapidement l’ensemble de la population mondiale. Quelques réflexions:
En considérant les défis de production et de logistique, il semblerait logique de cibler en premier lieu la vaccination des personnes à risques sur la base de leurs antécédents médicaux. En parcourant le papier de la Northeastern University de Boston que vous mentionnez, il semble que ce ne soit pas l’approche qui a été modélisée - les vaccins y sont distribués de manière aléatoire pour un groupe d’âge donné, ce qui semble très inefficient si le vaccin est en quantité limitée et que l’on cherche à réduire la mortalité.
D’autre part un vaccin arrivant donc bien sûr toujours trop tard, un triomphe de la science ne serait il pas de prévenir et éviter la propagation à l’homme de nouveaux virus? Le fait que la science soit aujourd’hui totalement soumise à des contraintes d’innovation et de retour sur investissement à très court terme, n’est-ce pas là au contraire un échec ?»


@Gamuret 30.12.2020 | 19h57

«Votre dernière phrase va à l'encontre du vieil adage : "penser global, agir local"! »