Média indocile – nouvelle formule

Actuel

Actuel / Cette guerre perdue d’avance

Amèle Debey

28 juillet 2020

PARTAGER

Dans sa nouvelle mini-série, «The Business of Drugs», Netflix explore les facettes économiques et politiques des différentes drogues illégales. Six épisodes d’un voyage aux quatre coins du monde afin de comprendre les enjeux des trafics, taclant au passage le manichéisme des législations qui entrave une réflexion de fond pour lutter efficacement contre un fléau, autant que pour utiliser intelligemment le potentiel curatif des drogues.



Ancienne espionne de la CIA spécialisée dans la lutte contre le terrorisme, Amaryllis Fox s’est progressivement dirigée vers un combat qui supplante tous les autres en termes d’implication mondiale, de victimes et d’argent brassé: le combat contre les drogues. Dans cette série, la désormais journaliste est allée à la rencontre de tous les maillons de ce trafic et les a suivi dans leurs activités, sous la menace d’un risque quasi-constant. Au-delà d’un message censé ouvrir la voie à une réflexion de fond sur la légalisation de certaines drogues, Amaryllis Fox s’évertue surtout à nous sortir des clichés qui opposent les «méchants» aux «gentils» et nous démontre à quel point la réalité est bien plus complexe que cela. Pour avoir une chance d’aboutir à des avancées concrètes, la guerre contre la drogue doit absolument être abordée en dehors du carcan moral destiné davantage à donner bonne conscience aux décisionnaires qu’à réellement se débarrasser d’un juteux business aux multiples pendants. Doit-on s’obstiner à interdire et ignorer des substances bien présentes, d’une manière ou d’une autre, dans la vie de tout un chacun?


Sur le même sujet: La Suisse dans la course mortelle contre la douleur


Cocaïne

Des soirées branchées de la jeunesse dorée américaine aux ruelles de Buenaventura, en Colombie, où 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté national, il n’y a qu’un trait. Le trafic de cocaïne reste le moyen le plus rapide et le plus facile de se faire un peu d’argent et les dealers et leurs mules (passeurs) craignent davantage la loi des mafias que celles du gouvernement.
Lorsque Pablo Escobar régnait sur le marché, il en contrôlait tous les échelons, ce qui lui permettait d’absorber les profits sur chaque aspect du trafic, mais le rendait également bien plus vulnérable, car il concentrait tous les pouvoirs. Depuis sa chute, on assiste au phénomène de l’hydre et divers producteurs ont repris le flambeau un peu partout en Amérique du Sud, profitant d’exploiter un produit dont le prix reste stable et se voit fixer en fonction des risques encourus pour le livrer. «Ce n’est pas un marché compétitif sur le plan du prix, mais sur celui de la fiabilité (de l’approvisionnement, ndlr)», explique Rodrigo Canales, professeur de Sciences comportementales à l’université de Yale.
Pour endiguer le problème, les autorités colombiennes ont d’abord essayé de pulvériser du gaz toxique sur les champs de coca, jusqu’à ce qu’on découvre que cette méthode était à l’origine du développement de cancers. L’armée, largement financée par les USA, traque donc les producteurs dans la jungle, sans grand succès puisque ceux qui sont arrêtés sont immédiatement remplacés par d’autres.

Drogues de synthèse

L’intérêt thérapeutique des drogues de synthèse, telles que le LSD ou la MDMA, est méconnu du fait de son illégalité. Des études menées par des scientifiques dans les années 70 ont dû être brutalement interrompues, ce qui a provoqué le développement de dérivés chimiquement modifiés qui séduisent les noctambules et les fêtards du monde entier, reléguant les vertus médicales du produit au second plan.
Mais les études autour des drogues de synthèses se sont poursuivies à l’échelle mondiale, en dépit des différentes législations et de plus en plus de vétérans américains peuvent, dans l’ombre, suivre un traitement sur ces bases afin de soigner leurs troubles de stress post-traumatique.
Puisque c’est la recette chimique à proprement parler qui est interdite, les producteurs s’amusent à en modifier les composants afin de flirter avec la légalité, dans un jeu incessant du chat et de la souris.

Méthamphétamine

Ses cristaux ont été rendus célèbres par la série Breaking Bad, mais c’est en Asie du sud-est qu’est massivement produite cette drogue, en forme de pilules appelées Ya Ba.
Développée à la fin des années 1890, pour stimuler les travailleurs japonais, elle a ensuite été massivement consommée pendant la 2nd Guerre mondiale, puis utilisée pour soigner l’asthme, la dépression ou encore la perte de poids avant d’être rendue illégale dans les années 70.
C’est désormais à Myanmar que les fermiers autrefois cultivateurs de pavot se sont changés en dealers faisant du pays, en plein boom économique, le producteur principal de Ya Ba, avec un rythme annuel de plus de 2 milliards de pilules produites.
Le pays d’Aung San Suu Kyi, qui a longtemps été l’un des plus pauvres du continent, se réveille et ses échanges internationaux sont plus que jamais nécessaires à son essor. Pas question donc, pour les autorités, de prendre le risque de les ralentir en faisant du zèle sur la contrebande.
Les fermiers, en plus de leur production, doivent payer des impôts aux différents groupes armés qui contrôlent les différentes zones. Parmi eux, les WA (armée indépendante du pays) règnent du côté de la frontière chinoise et la mainmise du géant de Xi Jinping sur ces soldats birmans est aisément traçable: ils utilisent la devise, le signal téléphonique, la langue et les armes de la Chine.

Cannabis

La légalisation du cannabis à des fins récréatives dans plusieurs Etats américains n’a pas résolu le problème de la contrebande. Loin de là. Les lois qui réglementent ce business désormais légal (du moins sur le papier) sont si contraignantes et contre-productives que le marché noir représente toujours 80% de la production. En Californie, celui qui veut se lancer dans l’industrie de la Weed doit obtenir plusieurs licences et débourser des centaines de milliers de dollars en impôts, sans pouvoir y soustraire ses frais généraux de production et de salaire. Toutes les transactions doivent avoir lieu en cash et il est interdit de déposer le fruit de son labeur à la banque, ni de contracter un prêt.
Si la dépénalisation du cannabis et sa légalisation dans certains Etats ont amélioré le quotidien des consommateurs de cette drogue douce, la plus utilisée au monde (200 millions de consommateurs à l’échelle de la planète), elle a rendu le travail des producteurs plus difficile encore. Sans compter que la loi fédérale n’a toujours pas changé et que des gens sont condamnés à perpétuité pour avoir participé à un business qui enrichit simultanément d’autres vendeurs d’Etats voisins.

Opioïdes

Au XIXème siècle, les opioïdes étaient utilisés pour soigner tous les maux, de la rage de dent à la tuberculose. On finit par s’inquiéter de leur caractère addictif et on réserve alors ce traitement aux maladies graves. A la fin des années 90, des laboratoires pharmaceutiques mettent sur le marché l’OxyContin, censé traiter n’importe quelle douleur. Selon une ancienne lobbyiste de Purdue Pharma, interviewée dans le documentaire, son ancienne entreprise, entre autres, n’hésitaient pas à user de techniques marketing mensongères et de pratiques commerciales trompeuses en ciblant les médecins les plus potentiellement corruptibles. On a mis tellement de pilules sur le marché que l’offre a fini par créer la demande. En 2010, lorsque les autorités mettent un terme à cette valse de sur-préscriptions et que bon nombre de professionnels de la santé finissent en prison, il est déjà trop tard. Des millions d’Américains sont dépendant de ces cachets, dont le prix au marché noir explose du fait des difficultés à s’en procurer. Les malades se tournent alors vers l’héroïne - bien meilleure marché - créant la pire crise sanitaire que le pays a connu jusqu’à ce jour. Tandis que les industries pharmaceutiques à l’origine de ce fiasco échappent encore, pour la plupart, à leurs responsabilités.  

Héroïne

Rien qu’en 2017, la production mondiale de pavot a augmenté de 65%. Du pavot est extrait l’opium, dont on obtient la morphine, puis l’héroïne. Avec les conflits au Moyen-Orient, l’héroïne (qui vient principalement d’Afghanistan – 30% de son PIB est issu de la culture du pavot), ne peut plus emprunter ses itinéraires traditionnels et passe désormais par l’Afrique de l’Est, et plus massivement par le Kenya, en développant de nouvelles dépendances en chemin, autant sur le plan physique qu’économique. En Afrique, comme partout dans le monde, l’héroïne a d’abord séduit la classe moyenne inférieure, mais elle a pris l’ascenseur social en raison du prix qui augmente avec la demande, transformant les consommateurs en dealers afin de pouvoir s’assurer leur dose. Un marché en pleine expansion.
Au Kenya, la ville de Mombasa est surnommée «petite Colombie», en raison du terreau fertile progressivement créé par les bénéficiaires de ce trafic mortifère, d’un bout à l’autre de l’échiquier politique et judiciaire. Les autorités nient le problème, car elles trempent dedans, d’une manière ou d’une autre.

«Comprendre la manière dont les choses sont connectées entre elles est le seul moyen d’espérer pouvoir les changer», affirme Amaryllis Fox. C’est précisément ce que propose cette série-documentaire de six épisodes d’environ 40 minutes, chacun centré sur une des drogues.


La bande-annonce de la série

 

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@tonnio 01.08.2020 | 11h57

«Très bonne analyse, comme toujours et aussi une série que j'ai regardé»


À lire aussi