Actuel / Où commence le viol et où s’arrête-t-il?
Le film «Les choses humaines», sorti fin 2021, met en scène le procès pour viol d’un jeune homme qui semble apprendre que la relation sexuelle en question n’était pas consentie. Yvan Attal aborde ainsi des thèmes aussi légitimes que complexes dans son neuvième film en tant que réalisateur.
La définition du viol est en cours de dépoussiérage dans le droit suisse, qui le caractérise actuellement par «une pénétration vaginale imposée à une femme par un homme». Mais la question du consentement fait débat. La Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats estime que la victime du viol devra avoir exprimé, de façon verbale ou non, son refus de l'acte sexuel, relatait Femina en février dernier. Jusqu’ici, la législation suisse ne considérait pas un rapport sexuel comme un viol sans preuve de violence, de menaces ou de pressions psychologiques.
Cette problématique du consentement, ainsi que le «flou artistique» qui l’entoure, est abordée avec brio dans le dernier film d’Yvan Attal, Les choses humaines, adapté du livre éponyme de Karine Tuil. L’acteur-réalisateur met en scène son fils, Ben Attal, dans le rôle d’un jeune homme accusé de viol.
Celui-ci se rend à une soirée avec la fille (Suzanne Jouannet) du copain (Mathieu Kassovitz) de sa mère (Charlotte Gainsbourg). Ils consomment de l’alcool et du cannabis, puis se rendent dans un parc. Une relation sexuelle a lieu dans un cabanon, après quoi le jeune homme s’en va avec la culotte de sa partenaire en guise de trophée. Pour lui, c’était une partie de jambes en l’air, pour elle c’était un viol.
Il est arrêté peu après et commence alors le procès et la narration des faits selon les deux parties. La jeune femme n’avait pas l’habitude de boire et n’était pas dans son état normal, selon elle. Elle n’aurait pas eu le courage de dire «non», car elle était effrayée, bien qu’elle ait suivi son agresseur présumé de son propre chef dans le cabanon. Ce dernier affirme n’avoir pas pris conscience de l’état de sa victime présumée et réfute vigoureusement l’idée selon laquelle il aurait pu la contraindre à quoi que ce soit. Dans le film, l’état de conscience altéré par les drogues de la jeune femme est utilisé à la fois par la défense et l’accusation. Dans le droit français, elle est une circonstance aggravante au crime. En Suisse, elle est plutôt une circonstance atténuante pour l’auteur, qui peut plaider la responsabilité restreinte. Là aussi, le «flou artistique» règne donc.
Dans le même genre, en moins ambigu, la mini-série Anatomie d’un scandale (avec Sienna Miller, Rupert Friend, Michelle Dockery) – diffusée sur Netflix – aborde la même question. Nous assistons notamment à une scène particulièrement troublante, lors de laquelle un jeune homme «se sert» d’une jeune femme dans un couloir pour son plaisir, tout en se livrant à des bavardages après coup et en la quittant sur une étreinte pleine d’empathie et de bienveillance. Là non plus, la victime présumée n’a pas exprimé son refus. Ni verbalement, ni physiquement.
Technologie contre-productive
Afin de mettre un terme au doute qui entoure le consentement, ou son absence, certains petits malins ont sauté sur l’occasion pour développer des applications pour smartphone censées régler la question.
En 2019, Libération faisait le listing de ces nouveaux programmes qui permettent à leurs utilisateurs de signer des contrats virtuels afin d’assurer de leur consentement. Selon les variantes, on peut préciser formellement notre accord, certifier de notre sobriété ou dénoncer un viol.
La plupart de ces applications ne sont pas disponibles sur l’AppStore ni le Google Shop pour cause de «contenu inapproprié», rapportent nos collègues français, car les experts du domaine sont nombreux à monter au créneau pour souligner leur dangerosité.
En voici les raisons:
1. Si une des deux personnes change d’avis au cours de l’acte, elle n’ose plus le faire, car elle se sent tenue par contrat de respecter l’accord.
2. Si une des deux personnes change d’avis, l’autre peut très bien faire la sourde oreille et considérer qu’un contrat signé l’autorise à exercer son «droit».
3. Si une des deux personnes change d’avis, mais que l’autre n’écoute pas, le viol ne sera pas dénoncé devant la justice. La victime se sentira coupable d’avoir dit «oui».
4. Si la victime porte plainte pour viol, le fait qu’elle ait d’abord consenti risque de discréditer son témoignage.
Confusion mentale
En cas de viol, notre compassion va naturellement vers la victime. Mais ces deux œuvres nous permettent d’en avoir également pour l’accusé, qui se découvre violeur. D’essayer de comprendre ses actes. Reste à savoir s’il pourrait nous prendre ensuite de les justifier. Là est toute la question.
«Ce que cette affaire nous enseigne, c’est que tout le monde peut, un jour, se retrouver du mauvais côté, commence l’avocat du personnage de Ben Attal, dans sa plaidoirie. Ici, il n’y a pas une vérité, mais deux perceptions d’une même scène.»
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@AndreD 13.05.2022 | 08h40
«Bonjour ,
La réalité dépasse la fiction (du film) avec une affaire récente jugée au TF.
(https://www.tdg.ch/le-tribunal-federal-rejette-le-principe-seul-un-oui-est-un-oui-289365477548)
La discussion au ConseilNational porte sur la différence entre le "oui c'est oui" et le "non c'est non"
A priori c'est pareil, mais c'est fondamentalement différent en ce qui concerne le fardeau de la preuve, pour des affaires pénales.
Pour simplifier, à gauche on est pour le "oui c'est oui" et à droite on est pour le "non c'est non"
Je ne peux pas aussi m'empêcher de penser à la votation sur le don d'organe (du 15 mai) pour constater que les positions sont totalement inversées: à gauche on est "contre le consentement explicite" et à (une certaine) droite, c'est "pour le consentement explicite, pour le "oui, c'est oui". Mais peut-être que comparaison n'est pas raison entre une personne vivante et une personne décédée.
»