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Actuel / Les dégâts et les chances

Jacques Pilet

16 mars 2020

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Dans la tempête émotionnelle ambiante, entre colères, peurs, affolements et appels frénétiques de toutes parts, pas facile de s’y retrouver. Les camps se durcissent. Les uns: «Faites-en plus, et plus pour nous protéger! » Les autres: «On se calme! On ne va pas arrêter de vivre!» Cela donne aussi à beaucoup l’envie de ne plus écouter les infos, de ne plus surfer sur le net affolé dans tous les sens. Mais il faut bien voir les choses en face, garder sa propre capacité de jugement, il est temps peut-être d’imaginer sur quoi pourrait déboucher la crise demain et au-delà. Pour le pire et pour le meilleur.



Un mot d’abord à Mesdames et Messieurs qui détenez le pouvoir et l’exercez là tambour battant, pour une fois sans les lenteurs habituelles de la démocratie, ce qui, entre parenthèses, doit secrètement vous plaire. Vous prenez des mesures, très bien, la plupart paraissent raisonnables. Mais cessez de voir dans les doutes et les contestations une désobéissance civique, un mépris de la vie humaine! Par exemple, il se trouve plusieurs infectiologues qui estiment la fermeture des écoles peu utile, qu’elle entraînera maints autres maux si elle se prolonge. Et puis cessez de prendre des mines d’enterrement, des voix de grands prêtres apocalyptiques. Un peu d’humilité, s’il vous plaît. Il y a tant d’aspects de cette maladie que l’on ignore, tous les spécialistes le rappellent. Enfin, n’imitez pas Mme Merkel qui perd les pédales et va jusqu’à évoquer les millions de morts que pourrait causer la pandémie. Les gouvernants ont déjà assez à faire avec le présent, qu’ils ne jouent pas sur le conditionnel. Rien n’interdit d’envisager le pire, de s’y préparer si possible. Mais le brandir comme une quasi certitude, c’est semer la panique.

Il serait utile aussi que les spécialistes replacent le phénomène dans un contexte historique, tentent des comparaisons avec d’autres pandémies, maîtrisées ou non, qu’a connu et connaît encore le monde. Histoire de prendre un peu de recul. Ainsi quid des enseignements de la lutte contre la grippe saisonnière Influenza ? Elle fait entre 400 et 1000 morts par an en Suisse. On n’en parle plus mais elle continue de sévir. Bien que la dernière vague ait été moins virulente.

Enfin tentons de réfléchir à l’avenir. Que restera-t-il dans nos têtes de cette expérience inouïe de la mise en veilleuse de nos sociétés? Des voix se font entendre ici et là pour dire qu’elle sera bénéfique au bout du compte. Non seulement nous nous laverons plus souvent les mains mais nous ne sauterons plus dans un avion à la moindre tentation, nous préférerons les produits locaux, les entreprises se dégageront de la dépendance des fournitures chinoises. Nous apprendrons même la solidarité, ce beau mot qui surgit même dans les discours officiels. Il y a une chance réelle de modérer, faute d’y mettre fin, un consumérisme frénétique. Celle de voir naître soudain une société plus solidaire paraît plus illusoire. L’optimisme n’est pas de mise à voir le peu de cas que l’on fait aujourd’hui du sort des première victimes économiques de la pandémie, ces travailleuses et travailleurs précaires aussitôt licenciés pour cause de chute du chiffre d’affaires, ces familles modestes pour qui la fermeture des écoles pose un casse-tête, guère atténué par les promesses d’enseignement online.

Une chance, et un risque aussi. Celui de s’accrocher à une vision passéiste. Souhaiter le basculement du capitalisme forcené à la société idéalisée de nos ancêtres. Ce que le sociologue polono-britannique Zygmunt Bauman appelait, en 2016 déjà, le passage de l’utopie à la rétropie.

Que la mondialisation connaisse des excès, c’est l’évidence. La freiner par le protectionnisme comme le fait Trump, c’est le luxe des géants, c’est le germe de conflits qui pourraient être aussi meurtriers que la pire des grippes. Toutes les civilisations qui ont connu des périodes de prospérité furent ouvertes aux échanges. Aujourd’hui comme hier, c’est la dignité de l’homme de se frotter au monde plutôt que de s’enfermer au village.

Il est bien trop tôt pour dire ce qu’il adviendra de la tempête. Au fond des poumons et au fond de nos têtes. Dans les rues, sur les routes et dans les airs. En attendant, tentons d’échapper aux obsessions collectives. Il y a pour cela des livres et de bons films à voir chez soi. Et les amis, les vrais.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

10 Commentaires

@kadunaya 16.03.2020 | 08h55

«Je vais encadrer cet article, le broder, le taguer sur tous les murs... de chez moi bien sûr... je fais partie des "vulnérables", de peu, mais quand même, on ne rigole pas avec les chiffres! Et parlons-en, des chiffres: vous ne trouvez pas qu'on en a bien peu? Juste le nombre de "testés positifs" et les "confirmés". Si vous pouviez éclairer ma lanterne ce serait formidable: Combien de malades hospitalisés, par exemple? Les "testés" sont-ils tous malades? Pardonnez mon ignorance, qui vient probablement du fait que je ne lis plus les nouvelles et je regarde juste les titres des infos, pour voir s'il y a autre chose que ce fichu virus. Merci de nous parler d'autre chose!»


@jfduval 16.03.2020 | 13h28

«« Aujourd’hui comme hier, c’est la dignité de l’homme de se frotter au monde plutôt que de s’enfermer au village». Sur ce point, le problème c'est que le monde (la planète) et le village, c'est absolument kif-kif.»


@jjacot 16.03.2020 | 17h27

«Kadunaya, vous avez raison, l'article de J. Pilet doit être diffusé, je ne vais pas le faire sur les murs, mais à certains amis.
Au sujet des nombres, méfiez-vous en: mon expérience professionnelle m'a montré que si nous savons bien interpréter des données pour en tirer l'essentiel, en revanche, on dispose en général de chiffres et de données de mauvaises qualité dans toutes les circonstances et ici c'est pire. Pour le coranivurus, nous ne savons pas combien de personnes sont atteintes (on ne peut pas tester chacun tous les jours), qui en est au premiers jours de l'infection, qui réagit très bien, qui a des complications, on ne sait pas qui est déjà guéri, les seules données assez justes sont celles de ceux qui sont lourdement atteints et à l'hôpital. Il semble que la plupart d'entre-eux supportent déjà d'autres atteintes à leur santé, donc on ne peut rien prédire de leur guérison et si cela tourne mal, il seront dans la statistique sous le coronavirus comme seul responsable. Il faut parfois accepter que nous ne sommes pas en mesure de prédire ce qui va réellement se passer. Dans le doute appliquons les mesures proposées et voyons après 2 ou 3 semaines si nous comprenons mieux la situations et comme vous le dites, parlons d'autre chose.»


@joly.tramelan 17.03.2020 | 08h52

«Excellent article. Point de vue original. Comme toujours.»


@Qovadis 17.03.2020 | 17h02

«L'idéogramme chinois signifiant crise est formé de deux caractères. L'un représente le danger, l'autre l'opportunité. En voici une illustration, tirée de Wikipédia:

En janvier 1665, Isaac Newton obtient un titre de bachelier ès arts et envisage de préparer la maîtrise. Cette année-là, l'Angleterre subit une épidémie de peste noire, si bien que l'université ferme ses portes à l'été 1665 et renvoie les étudiants chez eux. Newton part pour Woolsthorpe, c'est là qu'il progresse fortement en mathématiques, physique et surtout optique. Lorsqu'il en revient, il a fortement révolutionné la science de l'époque. Il démontre notamment que le lumière blanche est composée de 7 couleurs.

Ah , l'arc-en-ciel, symbole d'espoir.»


@SylT 17.03.2020 | 19h27

«Tout à fait d'accord. A une question de journaliste sur le manque de chiffres réels des patients COVID-19 hospitalisés, combien aux sooins intensifs, et parmi eux combien nécessitant un respirateur, la réponse a été que les chiffres changent chaque jour tellement vite qu'il est inutile de les donner (??!!) Ne serait-ce pas plutôt que les chiffres sont heureusement encore bas aujourd'hui et que les mesures de semi-confinement sont là pour tenter de limiter une croissance exponentielle possible. Hier aux HUG: 50 patients COVID-19 hospitalisés, parmi eux 10 en soins intensif, parmi ces 10 malades aux soins intensif, 7 sont intubés et nécessitent un respirateur.»


@Gio 18.03.2020 | 14h04

«Merci pour votre article, je vous lis toujours avec intérêt, mais relativiser est justement l’erreur qui permet la propagation du virus. Je suis confinée dans un appart-hôtel en Espagne ; à 100 mètres, 9 Américains qui avaient contracté le coronavirus sont isolés au dernier étage de leur hôtel ; il n’y a plus de places dans les hôpitaux et pas assez d’appareils de ventilation. Les familles des morts ne peuvent pas dire un dernier adieu à leur cher-chère. Nous ne savons plus rien de ces Américains, leurs amis sont sans nouvelles. Ma fille vit au Japon où le nombre de malades n’a pas augmenté, mais nous savons que les Japonais sont bien plus respectueux que nous des règles et du respect de l’autre. Nous nous croyons invincibles, mais peut-être un peu moins chaque jour, au rythme de ceux qui s’en vont. »


@Eggi 19.03.2020 | 22h35

«La différence entre gouvernants et journalistes, c'est que les premiers doivent prendre des décisions et les deuxièmes peuvent les commenter; mais aussi avec humilité! L'auteur de l'article ici apprécié par nombre de lecteurs (enfin, n'exagérons rien: 7) semble bardé de convictions, par rapport à une situation inédite et rapidement fluctuante...»


@hermes 27.03.2020 | 11h04

«Le coronavirus a brutalement changé nos vies à court terme et précipite dans la mort des dizaines de milliers de citoyens. La meilleure façon d’honorer leur mémoire est de prendre le temps d’une réflexion qui logiquement devrait changer durablement notre vision du monde.
Cette crise sanitaire succède à la crise financière de 2008 et à la crise migratoire de 2015 alors même que nous subissons la crise climatique. Toutes ces crises ont des points communs : elles sont violentes, elles ne connaissent pas les frontières, les pays pris individuellement sont incapables de les résoudre et à chaque échec de leurs dirigeants la défiance des citoyens grandit à leur encontre et engendre des extrémismes qui menacent la démocratie.
Au sujet du continent qui nous concerne, l’Europe, il est tout de même hallucinant d’apprendre que ce continent le plus riche du monde dépend du bon vouloir de la Chine, de l’Inde et des USA pour ses fournitures de matériel médical et pharmaceutique. Comme il est tout aussi hallucinant qu’il soit l’objet de chantages de la part d’Erdogan en matière d’immigration ou de Trump en matière financière et fiscale. Tout cela à cause des gouvernements qui refusent de déléguer par le haut certaines compétences pourtant nécessaires à la résolution efficace des crises majeures.
L’heure est donc nécessairement venue pour les citoyens européens de chasser du pouvoir tous les partisans d’une mondialisation débridée comme ceux d’un nationalisme éculé et d’y porter les défenseurs d’une Europe forte. Non pas d’une Europe bureaucratique et du laisser-faire, mais d’une Europe qui protège et défend ses citoyens en leur donnant les armes pour combattre les crises à venir.
Si le coronavirus permet cette prise de conscience, alors tous ces morts n’auront pas servi à rien.
»


@Qovadis 30.03.2020 | 11h07

«Avec le Covid-19, nous découvrons que nous n'avons pas de réserves suffisantes de certains médicaments de première nécessité et pire encore que nous n'avons plus la capacité de les fabriquer. Nous dépendons de la Chine parce que les fabriquer là-bas, c'est moins cher.

Et pour notre sécurité, allons-nous continuer à faire confiance aux moyennes puissances qui nous entourent ? »


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