Actuel / Budapest bascule à gauche
Les élections municipales hongroises de dimanche dernier ont vu s’imposer la coalition d'opposition menée par la gauche dans la capitale. Gergely Karácsony est élu maire de Budapest et son parti remporte une majorité de districts. Ailleurs dans le pays, cependant, le Fidesz conserve son hégémonie. Une nouvelle ère démocratique s’ouvre pour la Hongrie, avec son lot de défis.
En direct de Budapest
Jusqu’au dernier moment, les médias pro gouvernement et leurs sondages présentaient leur candidat, Istvan Tarlós, comme invincible. Vers 23 heures dimanche, celui-ci a reconnu sa défaite et a affirmé ne pas être déçu: après deux mandats, il était «le candidat qui avait le moins à perdre.» Son principal concurrent, Gergely Karácsony remporte la mairie de Budapest avec plus de 50% des suffrages contre 44% pour Tarlós. «Nous allons ramener Budapest au coeur de l’Europe», a-t-il déclaré dimanche soir devant ses supporters. «Budapest sera verte, et libre!»
L’opposition remporte également 7 grandes villes : Miskolc, Érd, Tatabánya (où sont situées les usines de construction automobile), Pécs, la deuxième ville étudiante du pays, Szombathely, Dunaújváros et Eger, ces deux dernières revenant au parti nationaliste Jobbik. Le parti socialiste conserve Szeged pour un cinquième mandat.
Le retournement de situation est spectaculaire pour la gauche. On la disait moribonde après sa défaite aux municipales de 2014, son score plus encourageant aux européennes de mai dernier ne permettait pas beaucoup plus d’espoir.
Fort de sa majorité au conseil municipal de Budapest, Gergely Karácsony devra cependant composer avec les différentes formations de la coalition à qui il doit sa victoire; donner des gages aux uns et aux autres, des écologistes jusqu’au Jobbik, qui avait rompu son alliance avec le Fidesz pour se ranger aux côtés de l’opposition.
Du côté du Fidesz, on tempère cette défaite. Le Premier ministre Orbán souligne la victoire de son parti à l’échelle du pays: «nous pouvons compter sur les campagnes hongroises, les campagnes hongroises peuvent compter sur nous.» Le Fidesz se dit prêt à coopérer avec la gauche de la capitale, une première depuis 2010. Une nouvelle forme d’exercice de la démocratie, qui présente plusieurs défis. Comme nous l’avions rappelé, le chiffre de la participation aux élections municipales (moins de 50% dimanche) est inférieur à celui de la participation aux législatives. De là à ce que les adversaires virulents de Karácsony l’attaquent sur sa faible légitimité, il n’y a qu’un pas. Et la violence de la campagne a laissé des traces.
Par ailleurs, le paysage politique hongrois présente désormais une fracture nette entre villes et campagne; on peut même parler de «Budapest et du désert hongrois». L’intégration européenne et la mondialisation ont, ici comme ailleurs, leurs gagnants et leurs perdants.
Les étrangers
Ce n’était pas un argument de campagne du maire sortant, mais Budapest est bel et bien une ville cosmopolite. Sur 140 000 résidents non-Hongrois en Hongrie, 90 000 sont installés dans la capitale, dont une majorité originaire de l’Union Européenne, et quelques milliers de réfugiés.
Aux élections locales et municipales, les résidents permanents ont le droit de vote, à condition de posséder la Lakcímkártya (la carte de résident) pour les ressortissants de l’UE, assortie, pour les autres, d’un visa ou d’un contrat de travail. Cette réserve électorale n’est pas négligeable: dans certains districts du centre de Budapest résident près de 15% d’étrangers.
À quatre jours du scrutin, un collectif de citoyens hongrois et non hongrois avait organisé une soirée de débats pour sensibiliser les résidents à l’importance de leur voix. Vincent Liegey, un Français installé depuis 17 ans à Budapest, insiste: «tout se joue dans le réinvestissement de l’échelle locale. Beaucoup de résidents étrangers ignorent qu’ils ont le droit de vote aux élections de dimanche. La plupart ne sait même pas qu’il y a des élections...»
Au Szimpla, un ruin bar du quartier d’Erzsébetváros, 3 candidats locaux de la coalition de gauche étaient présents et ont participé à plusieurs tables rondes. Vie nocturne, durabilité, écologie, agriculture, logement, droits des minorités ... le but était de libérer la parole et de faire connaître le programme de l’opposition.
La soirée "Vote for Budapest" au Szimpla, mercredi 9 octobre. ©Bernard Lebrun.
Si le nouveau maire Karácsony entend «ramener Budapest en Europe» (à supposer qu’elle ne s’y trouve déjà), il ne faut pas négliger que le mouvement de globalisation et l’exercice local de la démocratie sont des forces antagonistes. Ne pas rester bloqué dans le passé, participer à la mondialisation, tout en conservant l’identité propre de Budapest et de la Hongrie? Ce n’est pas un défi insurmontable, mais la tension est particulièrement présente dans un pays tenaillé par l’angoisse de disparaître et très fortement attaché à son identité et à ses particularités.
Nous observerons donc de près la Hongrie ces 5 prochaines années. Ce funambule de l’Union Européenne sera l’illustration de l’un des enjeux majeurs de la démocratie dans la mondialisation.
Reste, pour la gauche libérale, à ramener non seulement Budapest, mais la Hongrie et les Hongrois vers l’Europe.
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