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Actuel / De l'encre, pour écrire sa vie

Priska Rauber

3 juillet 2017

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Le corps est la première propriété de l’individu. Mais aussi la représentation du soi social. Et si le tatouage a perdu son caractère transgressif, il demeure stigmatisant, osbserve la Fribourgeoise Gwendoline Sottas, qui regrette toutefois sa démocratisation.



Elle s’estime «vieux jeu». Quand on parle démocratisation du tatouage, Gwendoline Sottas, alias Gwen Spleen, affiche son irritation. «Le tatouage est de plus en plus considéré comme un accessoire de mode, comme un sac à main!»

Elle, elle n’a pas encré ses jambes, ses bras, son torse, ses flancs, une partie de son ventre, le bas de son dos, un coin de son cou et ses phalanges pour suivre le mouvement collectif. Sur son corps, c’est son propre mythe qu’elle illustre. Avec les autres heavily tattoed (les très tatoués), elle partage la démarche personnelle. Une esthétique, pas une appartenance.

«C’est dingue, dans les années 1980 – donc il n’y a pas si longtemps – le tatouage était beaucoup plus marginal, quasiment l’apanage des tôlards ou des prostituées! Et aujourd’hui, les petits jeunes cherchent le tatoueur le moins cher qui acceptera de leur tatouer les mains ou le cou pour leur première pièce. Ils ne se rendent pas compte que ça leur fermera des portes, socialement et professionnellement. Ça craint.»

Si le cliché associant le tatouage aux seuls tôlards ne peut décemment plus opérer aujourd’hui, la stigmatisation demeure, plus subtile. «Beaucoup de gens pensent encore que les tatoués sont des déviants, mal dans leur peau, mauvais. Alors, on doit sourire deux fois plus pour prouver qu’on n’est pas méchants! Faire son job deux fois mieux pour prouver qu’on n’est pas moins compétents. Ou élever ses enfants deux fois mieux, pour prouver qu’on est capable de ne pas enfanter un futur délinquant.»

Camoufler sa personnalité? Surtout pas

Gwen, 30 ans, a dû essuyer quelques refus à cause de son apparence, pour trouver un appartement par exemple. «Mais les bailleurs n’ont pas besoin de te dire en face que c’est la raison.» Pas de quoi regretter ses tatouages pour autant, parfois peut-être quand elle voit «le chemin que ça prend». «Tous ces tatoueurs sans formation, qui n’ont pas été apprentis chez un artiste tatoueur, qui bossent pour pas cher à domicile ou dans un shop de fortune, avec tous les risques sanitaires que ça implique. On voit de plus en plus d’offres sur internet, pour des dermographes, de l’encre produite Dieu sait où… Ils décrédibilisent leur boulot. Et ceux-ci, trop souvent, ne vont pas avoir l’éthique de prévenir leur client d’un choix inapproprié, du motif ou de son emplacement, qu’il pourrait regretter. Ah! mais ça me tue quand je pense à ça!»

Davantage que quand elle songe aux stéréotypes malveillants. Face à la tendance générale de cataloguer les personnes tatouées comme des détraqués, ces dernières ont finalement deux choix: cacher leurs tatouages pour priver autrui d’émettre un jugement, ou accepter d’être jugé et de devoir faire ses preuves.

Gwen n’a pas envie de camoufler sa personnalité sous des cols roulés et des manches longues en été. Elle et ses tatouages ne manquent de respect à personne.

«C’est ainsi, mais c’est fou de voir mes qualités humaines ou professionnelles remises en cause parce que j’ai de l’encre sur la peau. C’est seulement de l’encre, c’est pas grave! Alors s’il y a un bon côté à la démocratisation du tatouage, c’est qu’on avance un peu dans la voie de l’acceptation. Surtout au niveau du travail, j’aimerais bien. En Angleterre où je vais souvent, des cadres supérieurs sont tatoués. Ici, je ne crois pas...»

«Parce que vous, les tatoués, vous travaillez?»

La jeune femme a pour l’instant eu de la chance. Engagée pour un job d’étudiant au Musée Giger, à Gruyères, elle y est restée et a grimpé les échelons jusqu’à devenir coadministratrice. Parfaitement à sa place. «Puis mes heures ont baissé, alors je m’étais inscrite partiellement au chômage. Je n’avais pas mis ma photo sur mon C.V.…»

Un jour, peut-être, ses tatouages deviendront-ils un peu plus lourds à porter. Jusque-là, tant pis pour ceux qui s’arrêtent à son look. Les regards insistants dans la rue, elle ne les remarque pas. Elle se souvient par contre d’un moment de stupéfaction. «En dessus de l’appart que je partageais avec mon mec, aussi tatoué, ils faisaient une grosse fête, en semaine. On est montés râler. «On travaille demain!» Et là, avec son polo et son pull sur les épaules le gars me dit: «Vous? Vous avez un travail?» (avec l’accent de château). Non mais franchement! Je dois dire que les plus jeunes semblent être ceux qui jugent le plus. Combien de petites mémés dans la rue m’ont dit "mais comme c’est joli toutes ces couleurs!" (avec l’accent des campagnes).»

Polie, drôle, délicate, maligne, Gwendoline Sottas continuera de porter haut ses tatouages. Jusqu’à la mort et au-delà.


Une limite: le visage

Gwendoline Sottas avait 18 ans tout juste quand elle s’est fait tatouer pour la première fois. «Premier tattoo, mauvais choix!» Il est aujourd’hui recouvert. Voilà donc douze ans qu’elle se fait piquer régulièrement.

La jeune femme assiste à de nombreuses conventions, notamment en Angleterre. Dans ces réunions de tatoueurs venus parfois de loin, c’est l’occasion d’offrir une partie de sa peau comme une toile à un artiste qu’elle connaît et dont elle aime le style. «A partir de là, je peux le laisser faire. Je sais que ce qu’il va me dessiner me plaira.»

C’est le spirit comme elle dit, des heavily tattoed, l’esprit des ultratatoués. Ils choisissent un artiste, son style, pas uniquement un tatoueur. Ils peuvent aller loin pour le trouver. Ils savent que le travail pas cher n’est pas du bon travail et que le bon travail est cher. Et puis, leurs tatouages sont personnels. «Je n’aime pas quand on me demande leur symbolique. C’est un truc qui interloque les gens. Mais entre tatoués, on ne se pose jamais cette question. On se demande plutôt qui l’a fait!»

S’il lui reste encore un peu de place dans le dos, sur le ventre et sur les jambes, elle sait que jamais elle ne touchera à son visage et sans doute non plus à ses mains. «J’ai des lettres sur les doigts, oui, mais elles ont un moindre impact qu’une pièce sur le dos de la main. J’ai aussi un tattoo sur le cou, mais il peut se faire discret sous mes cheveux.» Des cheveux à moitié rouges.


Frédz, le tatoueur qui sait dire non

Frédz Florey tatoue depuis neuf ans. Gérant du studio Noir Tattoo, à Fribourg, il a formé deux personnes. L’on peut certes se définir tatoueur dès le premier trait au dermographe sur une peau, mais un bon tatoueur est bien un tatoueur qui a été coaché par un autre, expérimenté. De l’hygiène, de la technique et de l’éthique.

Frédz, personnellement, ne tatoue personne avant 18 ans. «C’est sans condition.» Il ne tatoue pas non plus sur les mains, le cou ou le visage, «sauf cas exceptionnels». Et sur les avant-bras, seulement après discussion.

N’est-ce pas un peu liberticide? «Les barrières sociales et professionnelles que peuvent représenter un tatouage visible sont encore présentes, même si elles sont aujourd’hui davantage dans le non-dit. Si la vision qu’ont les gens du tatouage a beaucoup évolué ces vingt dernières années, ses origines demeurent dans les esprits.»

Le tatoueur fribourgeois concède que s’il n’est plus totalement associé au banditisme, il reste, dans l’inconscient collectif, une marque de vie dissolue, de violence, de marginalisation et, de manière générale, de mauvaises mœurs. «Même si personne ne le dira à haute voix.» Les conséquences sont alors sans appel, prévient-il. Des barrières se posent.

Pour éviter ces déconvenues, Frédz conseille de «se tatouer intelligemment et de manière progressive». Soit en commençant par les parties les moins visibles et, peu à peu, si c’est envisageable par rapport à sa situation, de déborder sur les zones visibles. «La responsabilité d’une tel agenda est partagé entre le tatoueur et le client.»

Raison pour laquelle, lui comme Gwen déplorent l’essor important des salons de tatouage «de fortune», qui proposent des pièces bas de gamme et à prix réduit. «Tout le monde peut aujourd’hui acheter du matériel et pratiquer en dehors de tout contrôle, du milieu du tatouage ou de l’Etat. Les codes de conduite, qui se transmettent entre tatoueurs, ne sont pas dans toutes les enseignes des valeurs importantes. Du coup, les tatouages très visibles – et de qualité variée – fleurissent sur un public de plus en plus jeune.»


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