Actuel / Crise de nerfs à Londres, coma à Berne
La Grande-Bretagne souhaite sortir de l’UE tout en continuant de profiter de ses avantages. Chaos au Parlement entre les pour, les contre et les tout au contraire. L’incertitude est totale quant à l’avenir. La Suisse souhaite rester éloignée de l’UE, tout en espérant, elle aussi, profiter au maximum de l’espace commun. Le parallèle des deux dilemmes est patent. Mais d’un côté, outre-Manche, le débat fait rage. De l’autre, chez nous, il est enfoui, ignoré, repoussé. L’impasse n’est pas moins grande.
Nul besoin de s’étendre sur les affres de Theresa May, de son parti divisé, des manoeuvres politiciennes britanniques. Les médias en font des tonnes. Non sans raison.
En Suisse, en revanche, on nage dans la confusion. Rappel des faits: l’UE souhaite un accord-cadre qui permette d’actualiser les ententes existantes, qui prévoit un règlement des différends. Après des années de discussions, les négociateurs suisses et européens ont abouti à cet accord. Or, le Conseil fédéral qui s’est ainsi impliqué renonce à défendre ce texte. Il en appelle à un large débat, jetant ces pages ultra-spécialisées dans le public, sans mise en perspective, sans explication politique. L’échec est programmé. Les isolationnistes ont trouvé un allié de poids pour tout bloquer: la gauche et les syndicats, mécontents de certaines dispositions.
Résultat? L’UE fait savoir qu’aussi longtemps que nous n’aurons pas dit clairement oui ou non, tout s’arrête. Plus de nouveaux accords. Ceux qui prévalent aujourd’hui ne sont pas «guillotinés» mais gelés. Plus de mises à jour. Or les conditions d’accès au grand marché évoluent. Cette discrète mise à l’écart peut avoir des conséquences considérables pour un pays qui doit sa prospérité à l’exportation, principalement vers les partenaires européens (58%). Sans parler des effets sur la recherche qui serait aussi peu à peu marginalisée.
Et pourtant, nulle alarme! Les conseillers fédéraux se taisent ou lorsqu’ils parlent, enfument le sujet et se contredisent. Les partis en disent aussi le moins possible, obsédés par la perspective des élections de l’automne. La transmission en direct, l’autre jour, d’un débat de la commission des affaires étrangères avec des experts était désolante. Aucun des négociateurs suisses qui avaient élaboré le texte discuté n’avait été invité. Quelques professeurs empêtrés dans les détails, un ex-ambassadeur, un ex-juge international, un représentant fumeux de l’économie… Cela volait bas. Personne pour dégager, au-delà du foisonnement des alinéas, la perspective politique ! Quant aux parlementaires présents, on les sentait soucieux soit d’enterrer le projet, soit de le repousser après les élections. Pas glorieux.
Les médias? Ils sont assoupis, eux aussi. La RTS préfère programmer un ixième show sur l’affaire Maudet. C’est plus rigolo. On finira par croire que cette péripétie genevoise engage le destin national. Pour être juste, il faut noter qu'en Suisse alémanique, NZZ et Tagesanzeiger en tête, traite régulièrement et sérieusement de la question.
La certitude d’être si malins, si riches, si indispensables aveugle les Suisses. Ils doivent se décider maintenant. Prolonger le bilatéralisme avec ses avantages et ses coûts. Ou s’isoler. Ou, peut-être, ce ne serait pas forcément le plus sot, rejoindre l’Espace économique européen (rejeté en 1992!). La Norvège, l’Islande et le Liechtenstein qui se sont ainsi rattachés à l’UE ne s’en plaignent pas. Dans tous les cas, il y aura une forme de satellisation. Puisque c'est ce que nous préférons, paraît-il. En la couvrant, avec hypocrisie, de l'étiquette «souveraineté».
On se réveille quand?
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
11 Commentaires
@Cocotte 18.01.2019 | 13h36
«Cet état "comateux" du Conseil Fédéral et des médias me met très mal à l’aise. J’ai regardé le débat entre les experts et les parlementaires: vous mettez les mots exacts sur ce que je ressens.»
@Astoria 19.01.2019 | 01h06
«Tout juste Jacques , comme disait Michel Souter “Les suisses vont à la gare mais ne prennent pas le train”»
@joly.tramelan 19.01.2019 | 08h47
«Bien vu ! »
@Giangros 19.01.2019 | 09h31
«E la bave va !!!0»
@Lagom 20.01.2019 | 12h05
«Il faut inventer un nom spécifique pour définir le journalisme partisan. Il est un peu dommage que vos écrits sont seulement à charge contre la politique suisse. L'empressement de l'UE à obtenir l'accord cadre avec la Suisse, rappelle une publicité de la télévision française pour la vente d'une voiture seconde-main qui perdait de l'huile à même la chaussée, quand le vendeur disait à l'acheteur: faites vite !»
@7stone 20.01.2019 | 16h11
«Très bien dit »
@nano 22.01.2019 | 17h56
«Le moment où l'économie se mettra à genou pour que la Suisse adhère à l'UE se rapproche inéluctablement ... Le Brexit profile les contours des conséquences de l'isolement ; les patrons de PME commencent à lorgner de l'autre côté de la frontière pour pouvoir poursuivre leurs activités et exporter dans l'UE ... Enliser ou, pour le moins, péjorer la voie bilatérale sonnera le retour d'un pragmatisme de la raison. L'égoïsme a des limites, le beurre et l'argent du beurre aussi, surtout quand pour les nourrir on prend les autres pour des imbéciles.
Stéphane Rossini »
@Orgétorix 22.01.2019 | 20h08
«Excellente analyse. Malheureusement, aveuglés par la propagande nationaliste d'un certain parti, trop de Suisses croient que "y en a point comme nous" et que le monde entier doit, et va, se plier à nos desiderata. Et en particulier que l'on va nous accorder le beurre, l'argent du beurre, et les faveurs de la crémière en plus! Les Anglais sont déjà en train de sérieusement déchanter des promesses mensongères faites au moment du vote sur le Brexit, et j'ai bien peur que notre tour arrive très vite aussi. La Suisse finira par adhérer à l'UE, ou au moins à l'EEE, mais en tirant la langue alors qu'elle aurait pu le faire la tête haute et en position de poser certaines conditions. »
@hermes 23.01.2019 | 01h56
«A tout bien considérer les choses, on nous prend vraiment pour des idiots. Le Conseil Fédéral démontre depuis longtemps sa totale incompétence à régler la question européenne. De même que les parlementaires, à quelques notables exceptions près. Et tout cela pourquoi? Parce que, dans un pays où on a laissé se répandre le sentiment anti-européen, il est plus confortable de s'occuper de son avenir personnel que de celui de son pays.
Et pourtant, dans les chaumières, commence à sourdre un sentiment qui pourrait faire vaciller nos élites politiques de leur fauteuil: le sentiment d'injustice fiscale. Un sentiment partagé dans tous les pays, notamment européens, et dont même le WEF semble avoir pris conscience cette année. Quel rapport avec l'Europe? Combattre efficacement l'injustice fiscale ne peut pas se faire pays par pays, il faut une force de frappe continentale que seule l'UE serait en mesure de déployer. Les national-populistes ne veulent pas et d'ailleurs ne pourraient pas régler ce problème puisqu'ils ne s'intéressent qu'à leur propre pays. Il y a donc fort à parier que le peuple, après s'être fait abuser par les national-populistes, comprendra que ces derniers sont en fait les parrains de l'injustice fiscale.
Mais, avant le peuple, ne peut-on pas attendre des forces progressistes de ce pays- et des autres- qu'elles se saisissent du problème,nationalement et internationalement? Joli programme qui aurait en Suisse le mérite de s'attaquer à l'injustice fiscale tout en débloquant le dossier européen par une perception de l'UE devenue soudainement utile et plus sociale.
L'erreur à ne pas faire serait de continuer à nous prendre pour des idiots.»
@Ancetre 23.01.2019 | 07h26
«D'accord avec vous. Néanmoins vous ne faites pas allusion aux causes de notre situation avec l'UE. Pour moi elles sont â rechercher en priorité chez nous. Dans un monde globalisé continuer à parier sur un système politique de milice s'apparente lentement mais sûrement à un déni de réalité et/ou à un suicide collectif. Nos parlementaires semblent croire que nous pouvons nous comporter comme une grande puissance...de 8 Mio d'habitants !. Pathétique.
Et que dire de l'élection du Conseil fédéral. Les critères de choix s'apparentent à un loto et la répartition des départements entre les élus obéit â des règles qui prennent en considération, non pas leurs compétences, mais leur ancienneté !
Je suis très inquiet pour l'avenir de la Suisse. Non pas à cause de l'intransigeance de L'UE. Mais à cause de la myopie et l'inefficacité de nos responsables politiques qui s'accrochent à un modèle qui certes à fait ses preuves mais est aujourd'hui totalement depassé et parfaitement inefficace »
@Lagom 23.01.2019 | 16h13
«LA raison principale du BREXIT était "le contrôle de l'immigration". Si Bruxelles avait accepté d'aménager les anglais en modifiant très légèrement les règles pour "la libre circulation" le BREXIT n'aurait jamais existé. La Suisse est déjà en situation "d'Open Bar" pour tous ceux qui veulent nous prendre la place, mais pour l'UE ça ne suffit pas, ils veulent que l'on prennent en charges les chômeurs frontaliers, et ils veulent moins de règles sur les salaires et moins de contrôles des entreprises européennes qui viennent nous piquer les chantiers. L'UE nous menace de ne pas mettre à jour les bilatéraux à partir de juin 2020 ce qui montre bien qu'ils traitent avec nous comme si on étaient leurs ennemis. suis étonné que le nouveau Conseiller fédéral M. Cassis ait paraphé cet accord-cadre. Elle était où sa lucidité politique. »