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Culture

Culture / L’éditeur qui cultive le deuxième degré

Jacques Pilet

17 novembre 2018

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Marc Lamunière, grande figure de la presse romande, l’éditeur qui a construit – avec son cousin architecte – la tour de l’avenue de la Gare où se trouve aujourd’hui l’usine à journaux lausannoise de TAmedia. Il est le père de Pierre qui développa puissamment le groupe en Suisse et à l’étranger avant de le vendre. Le vif retraité aime peindre, jouer de la batterie et écrire. Il sort un recueil de nouvelles dont le titre dit tout de son esprit: «Deuxième degré». Des moments d’humour d’exception.



Ceux qui l’ont côtoyé dans l’ascenseur ne l’oublient pas: haute stature, regard indifférent que les plus avisés déchiffraient, car le patron montrait aussi parfois son talent de pince-sans-rire. Les lecteurs du Nouveau Quotidien se souviennent aussi de sa chronique, tenue en alternance avec François Nourissier: des histoires légères et cocasses, pimentées d’impertinence.

Quel personnage! Il faut le voir aujourd’hui, droit comme un i, à la rhétorique sobre et soignée, le visage sérieux, toujours en attente de révéler un sourire inattendu. Détail: Marc Lamunière va entrer dans sa 98ème année. Le secret de cette belle longévité? Il le révèle dans une moue hésitante: «Je me suis toujours efforcé de me tenir droit…» Faut-il se tourner vers la généalogie? Evoquer sa mère russe d’Odessa et son père autodidacte, Jaques sans c, qui jeta les bases de l’entreprise avant-guerre? On peut plutôt ajouter que cet homme a toujours aimé le bon vin, les voyages, le jazz, la peinture – qu’il pratique encore -, les livres et les femmes.

En fait de livres, il a dû beaucoup lire Maupassant. Car ces nouvelles très actuelles répondent aux lois du genre. Avec une chute drôle et surprenante à chaque fois. En quelques pages, tout un monde, des personnages crédibles. Même lorsqu’ils sont assez fous, comme ce débutant dans une entreprise de chasseurs de têtes qui ramène ses trophées découpés sur les cadavres. Le type était brouillé avec la notion de métaphore. L’une des figures du livre s’inspire de la réalité et des fantasmes de l’auteur.

Le professeur Lacaze (tiens, tiens, le pseudo du NQ…) est décrit ainsi: «Un homme de quatre-vingt-deux ans, grand et mince. Il portait encore beau, bien qu’il ne parût pas se préoccuper de cet aspect des choses, si ce n’était un effort constant pour garder le dos droit. Les cheveux poivre et sel, un peu longs et frôlant le col, marquaient une tendance un peu artiste, quoique de nature indéterminée. Il flottait légèrement dans ses vêtements, qui semblaient avoir été choisis au hasard. A vrai dire, les tissus étaient de qualité et le tout, écharpe, cravate, gilet, exprimaient ce côté un peu négligé et hasardeux, bien que savamment recherché, qui est la marque de la véritable élégance. Il était en cela plus britannique qu’hexagonal. Impression renforcée par son laconisme et un humour aussi régulier et constant que sa respiration.» Un autoportrait. Ledit professeur est un spécialiste des sirènes. Il accourt à Monaco où arrive un bateau d’explorateurs ramenant des îles Marshall une extraordinaire découverte: des sirènes vivantes et joueuses qui pataugeront dans un bassin ad hoc de la principauté jusqu’à un sombre dénouement bien sûr. Quoique cette espèce s’en sort toujours…

Un trait commun à toutes ces histoires: on y trouve à chaque fois des femmes attrayantes, sûres d’elles qui, d’une façon ou d’une autre, se jouent des hommes… Le plus souvent pour leur plus grand plaisir. Et puis aussi, dans plusieurs de ces nouvelles, un regard ironique sur les puissants. L’une d’elles, un régal, raconte, entre autres péripéties piquantes, la rencontre d’un type farfelu et débrouillard avec un président de la République française, François Méandre. Autant dire François Mitterrand. Savoureux portrait du virtuose de la politique qui apprend, grâce à son éphémère conseiller hors-norme, à se servir de Wikipedia pour coller ses ministres qu’il tient en piètre estime! Là, on se dit que Marc Lamunière se serait drôlement bien entendu avec son personnage si proche de la réalité. On peut imaginer qu’ils seraient tombés d’accord sur la conclusion d’un des dialogues: en cas de crise, plutôt que de décider à la hâte, il importe de savoir ne rien faire.

Qui cherche une lecture élégante et drôle, à déguster à petites lampées, trouve là ses délices. Et en prime, apprend à sourire à la vie avec une légèreté bénéfique. 


 Deuxième degré, Marc Lamunière, Ed. Pierre-Marcel Favre, 320 pages.



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