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Actuel / Le scandale de blanchiment qui vient du froid

Yves Genier

24 octobre 2018

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L'affaire de blanchiment d'argent qui secoue profondément la Danske Bank danoise a ses ramifications jusqu'en Suisse, soupçonnent les enquêteurs scandinaves. La Finma est chargée d'éclaircir le rôle effectif joué par les banques helvétiques. Juste au moment où les Chambres devront se pencher sur un nouveau projet de durcissement de la Loi sur le blanchiment d'argent. Un nouvel exercice de vérité financière et politique.



C'est un scandale de blanchiment d'argent de premier ordre, et pourtant il a à peine fait parler de lui en Suisse. Pour une fois, ce n'est pas une banque helvétique qui est au centre de l'affaire, mais le plus grand établissement commercial du Danemark, la Danske Bank. Graduellement mise au jour depuis mars 2017, ses chiffres font tourner la tête: plus de 200 milliards d'euros, essentiellement en provenance de Russie et d'Asie centrale, sont suspectés d'avoir, en partie, été blanchis. Après des mois de révélations au compte-goutte, un rapport d'enquête a finalement été publié le 19 septembre, entraînant le jour même la démission du directeur général Thomas Borgen.

Ce scandale n'est pas centré sur la Suisse, certes, mais il ne l'évite pas non plus. Il suscite du reste de grandes interrogations du côté de la Finma, le gendarme de la finance, qui s'est mis en chasse de fonds douteux qui auraient transité par des institutions financières suisses. Selon le rapport d'enquête, établi par le cabinet d'avocats danois Bruun&Hjelje, les montants ayant transité par la Suisse atteindrait 6% des fonds impliqués. Soit quelque 12 milliards d'euros, et donc quelque 13,5 milliards de francs. Ce simple chiffre classe cette affaire parmi celles de première magnitude: l'an dernier, le MROS (le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent), a examiné des transactions douteuses pour 16,4 milliards de francs en tout, qui lui avaient été communiquées par les banques, les avocats, les sociétés financières et tous les autres intermédiaires financiers par le biais des organes d'autorégulation. Cela dit, aucune indication ne permet de dire quelle part des fonds ayant transité par la Suisse est effectivement d'origine criminelle. L'enquête de la Finma devra livrer des éclaircissement sur ce point.

Banques suisses potentiellement impliquées

Elle devra aussi indiquer par quels canaux ces fonds d'origine criminelle ont circulé dans le système financier helvétique. Le journaliste Lukas Hässig, qui anime le site Insideparadeplatz, cite deux banques éventuellement concernées: Credit suisse et Vontobel. La première en raison de l'existence d'un compte détenu par un client suspect de Danske Bank. La seconde du fait de l'embauche d'un ex-cadre d'une filiale de Danske impliquée dans le scandale. Les deux établissements estiment ne rien avoir à se reprocher. Là aussi, la Finma devra apporter les réponses à ces interrogations.

Cette affaire aux proportions inconnues mais potentiellement énormes en Suisse aussi survient alors que la Loi sur le blanchiment d'argent en est à sa énième révision. Celle-ci, exigée par le Groupe d'action financière (GAFI) de l'OCDE (dont la Suisse est membre), prévoit de durcir les conditions de surveillance des avocats et gérants de structures offshore (trusts, sociétés, fondations, etc.). Mais sa portée est déjà jugée moindre que les normes internationales, selon le Centre de droit bancaire et financier (CDBF) de l'Université de Genève. Les résultats de la procédure de consultation, close fin septembre, ne sont pas encore publiés. Qui sait si les développements en Suisse de l'affaire Danske ne vont pas provoquer un sursaut lors de l'examen à venir de cette révision aux Chambre fédérales?

Surveillance défectueuse

Mais comment en est-on arrivé là? En 2007, Danske Bank achète la filiale estonienne d'une banque finlandaise, Sampo, sans vraiment réaliser le risque qu'elle prenait. Présente en Estonie depuis le début des années 1990, cette filiale avait accepté toutes sortes de clients de l'ex-URSS sans se montrer trop regardante ni sur leur identité réelle, ni sur la provenance effective des fonds. Plusieurs examens des autorités de surveillance estonienne et danoise ont certes souligné les risques que faisaient prendre cette clientèle, mais sans que personne n'investigue suffisamment loin.

Il a fallu la dénonciation d'un lanceur d'alerte, en 2014, pour que les autorités prennent la mesure des manquements, tant auprès de la banque que ceux des organes chargés de sa surveillance. Et c'est là que le pot-aux-roses s'est graduellement dévoilé pour révéler une vérité que personne, en Europe du Nord pas plus qu'ailleurs, n'aime découvrir: les mécanismes qui ont fait de cette banque, que personne ne suspectait particulièrement d'actes criminels, une vaste blanchisserie.

Structures offshore

Les comptes concernés étaient détenus par quelque 6200 clients. Certains étaient domiciliés dans la région de Moscou et les enquêteurs ont nommé leur filière «la blanchisserie russe». D'autres provenaient d'Azerbaïdjan et se sont vus affublés du surnom de «blanchisserie azerbaïdjanaise». enfin, des fonds provenant de la fraude commise lors de l'affaire Magnitsky (corruption et fraude fiscale commise par des proches de Vladimir Poutine) ont été inclus dans l'affaire par les enquêteurs. De nombreux comptes étaient détenus non pas par des personnes physiques, mais par des entités offshore, notamment chypriotes, des Îles Vierges britanniques, de Belize, etc. Qui dit qu'elles n'étaient pas dirigées depuis la Suisse?

Les enquêteurs ont établi que, une fois blanchis en Estonie par la filiale locale de Danske Bank, la plupart des fonds sont ressortis. Et où sont-ils allés? Principalement dans les Etats baltes (pour 29% des montants), mais aussi en Chine (7%). La Suisse arrive, dans cette douteuse compétition, au cinquième rang, avec 6% des fonds, juste devant la Turquie. En revanche, ce que ce rapport ne dit pas, c'est le montant effectif des fonds ressortis de la banque incriminée, la destination précise de ces fonds et la nature de entités concernées. En clair, si cet argent a atterri en Suisse, notamment, où est-il allé, et par quel canal?

Telle est la question posée à la Finma. Et s'il apparaît que ces fonds sont effectivement d'origine criminelle et qu'ils sont passés au travers des mailles du filet tendu par la Loi sur le blanchiment d'argent, il sera difficile aux Chambres de ne pas durcir cette dernière pour la rendre, au moins, équivalente aux standards internationaux.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

3 Commentaires

@Lagom 25.10.2018 | 08h11

«L'oeuvre de quelques personnes salit la réputation d'une banque, d'un pays, voire d'une région. Cependant, le froid du nord invite à la discrétion et à la confidentialité. Pour cacher son argent il ne reste que le temple de la finance, les USA.»


@volovron 30.10.2018 | 11h36

«Malheureusement,et l'expérience le démontre,encore une fois UBS et Crédit Suisse seront belle et bien au courant de ce scandalle et dans le "noyau" comme correspond au plus gros gérant de "fortune" mondial
Mais,comme bien dépeignait Chapatte dans son dessin à l'égard du procès UBS en France,tous les deux jouissent de la faveur tant du Conseil Fédéral,du Parlament,de la Fimma (à quoi bon?)et,aussi,de la population Suisse pourvu qu'ils ne fassent pas ses escroqueries en Suisse»


@Lagom 01.11.2018 | 13h22

«@volovron je pense que le dessein de Chapatte accusait le peuple suisse, pas la Finma ni le parlament ni le CF. A mon avis son oeuvre est la plus moche dont il a été capable jusqu'ici. Par ailleurs, votre attaque contre nos banques est gratuite est sans fondement. Meilleures salutations»


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