Média indocile – nouvelle formule

Culture

Culture / Bon pour les oreilles

Yves Tenret

7 juin 2018

PARTAGER

Vient de paraître à Lausanne, à la Bibliothèque des Arts, un recueil d’interviews réalisés par Myriam Tétaz, l’ancienne chroniqueuse musicale du quotidien vaudois «24 heures» qui, au cours de sa longue carrière, a rencontré 21 musiciens des plus célèbres au plus discrets, tous nés entre 1908 et 1935 et donc principalement actifs dans la deuxième partie du XXe siècle.



La musique dite contemporaine, c’est élitiste, destiné à peu de gens et on ne sait pas où cela s’écoute, pensez-vous. Détrompez-vous! Ces temps là sont finis. Il suffit de taper sur You Tube le nom d’Arvo Pärt – il est le compositeur du genre le plus joué dans le monde actuellement – pour constater qu’il obtient facilement entre 2 et 3 millions de vues pour ses Te Deum et autres Stabat mater.

Et si les morceaux de l'excellent musicien bernois Klaus Huber totalisent rarement plus de 3 000 vues, György Ligeti en a plus de 600 000 pour son morceau destiné à 100 métronomes, et John Cage en a 740 726 pour Ocean of Sounds et 3 700 000 pour une version de 4’33'', les si fameuses minutes de silence.


Une odyssée de l’écoute: Ligeti & Stanley Kubrick

D’ailleurs, György Ligeti vous le connaissez tous car c’est son Lux Aeterna, ce chœur à 16 voix, qu’a choisit Stanley Kubrick pour donner une atmosphère si inquiétante au voyage vers le monolithe du Dr Floyd dans 2001, l’odyssée de l’espace. C’est aussi lui qui, dans sa magnifique adaptation en opéra de la pièce de théâtre de l’auteur belge Michel de Ghelderode, Le Grand Macabre, multiplie l’utilisation de sons inhabituels: klaxons, sonnettes, boîtes à musique, sirènes de bateau, harmonicas, pin-pon des pompiers et traite les voix de toutes les manières possibles, depuis le cri inarticulé jusqu’au chant le plus savant.

Messiaen

Le livre s’ouvre par un entretien avec celui qui fut au départ de bien des choses, le professeur de Boulez, Xenakis, Stockhausen et de tant d’autres: Olivier Messiaen, musicien de génie, entrant à 11 ans au Conservatoire de Paris, et en sortant avec un Premier prix de composition en 1930, à l’âge de 22 ans. Notre intervieweuse a eu la grande chance de le rencontrer deux fois.

«Sa musique ennoblit celui qui l’écoute», lui dit-elle, ce à quoi il lui répond «Ma musique, ce sont des psaumes, des poèmes terribles qui chantent, qui prient, qui hurlent, qui déclament, qui tonitruent, des poèmes fracassants.»

Les Italiens

Les deux musiciens qui me paraissent à moi les plus riches en musicalité dans cette génération, sont italiens tout deux, Luigi Nono, austère et exigeant, aussi intransigeant et violent que doux et fragile, communiste italien, solidaire de toutes les luttes de son époque, le plus avant-gardiste des musiciens en live electronic de son époque et Luciano Berio qui se veut à la musique, ce qu’est le flux de conscience de Joyce à la littérature, qui compose comme Picasso peignait, et qui, comme Godard au cinéma, pratique en musique un art très maitrisé du collage.

Le débat

Le débat fondamental de cette génération a eu lieu entre Pierre Boulez et John Cage et il concerne l’emploi du hasard. L'aléatoire est au centre de la musique de Cage car pour lui, il fallait libérer les sons, comme les individus. Pour Boulez, seul un travail très exigeant est à même de libérer à la fois le compositeur, l’auditeur et la musique elle-même. Le hasard par inadvertance de Cage repose sur l’adoption d’une philosophie teintée d’orientalisme qui masque, pense Boulez, une faiblesse fondamentale dans les techniques de composition. Cage embrasse tous les possibles et il est bien connu que qui trop embrasse mal étreint…


L’interview de Boulez 

Boulez, cordial et pudique pour les uns, machiavélique et glacial pour les autres, face à Myriam Tétaz, est tout simplement extrêmement sympathique, ne cherchant nullement à l’impressionner et dénué de toute agressivité. Leur rencontre a lieu à Bâle, en 1984, et le lendemain, il y a la création mondiale de Répons, la plus séduisante de toutes ses œuvres et opus pour lequel il a travaillé avec une machine électronique, un processeur 4 X, des programmeurs, et cela le passionne, car il lutte pour que ce ne soit pas la machine qui domine l’homme mais l’homme qui domine la machine, et cela donne donc ce si génial Répons

Les moins connus

Il y a bien sûr, des gens moins connus et ceux là aussi sont passionnants. Par exemple, ce Gian Carlo Menotti dont on n’entend plus jamais parler et qui était le compositeur d’opéra le plus joué dans les années 1950-60 ou le français Henri Dutilleux qui avait tant de peine à composer et qui a travaillé toute sa vie à la tête du service des illustrations musicales à l’ORTF.

Bref, un livre à ne pas manquer par tous ceux qui aiment la musique contemporaine et par tous ceux qui aimeraient la découvrir…


Myriam Tetaz-Gramegna, Au cœur de la création musicale, Bibliothèque des Arts, 2018.


VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

0 Commentaire

À lire aussi