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Comme les héroïnes américaines de «Call Jane», leurs consœurs françaises d’«Annie Colère» sont des femmes qui se constituent en réseau clandestin en attendant la légalisation de l'avortement. Un film emballant, avec une formidable Laure Calamy.



Cela n'aura échappé à personne, les films de femmes se font de plus en plus nombreux et variés ces temps-ci, première retombée visible des efforts pour rétablir l'équilibre en leur faveur. Ce qui nous vaut aussi le traitement tardif de sujets tels que la lutte pour le droit à l'avortement, bizarrement «oubliée» pendant 50 ans! Le mois dernier, l'excellent film américain Call Jane de Phyllis Nagy (avec Elizabeth Banks et Sigourney Weaver) racontait ainsi le réseau des Janes qui organisait des avortements clandestins sécurisés avant le fameux arrêt «Roe v. Wade» de janvier 1973, soit au moment même où celui-ci était renversé par la Cour suprême! Par une autre étrange coïncidence, ce film trouve aujourd'hui son équivalent français en Annie Colère de Blandine Lenoir, qui raconte exactement la même histoire avant la loi Veil de janvier 1975 – heureusement pas remise en cause celle-là.

Il convient aussi de rappeler que ces deux films ont été devancés par L'Evénement d'Audrey Diwan, chronique saisissante d'un avortement clandestin dans les années 1960 d'après Annie Ernaux qui remporta le Lion d'Or de du festival de Venise en 2021 tandis que l'écrivaine recevait le Prix Nobel cette année. Pourtant, personne ne s'est concerté! Il y a des tirs groupés comme ça qui sont dans l'air du temps, celui-ci clairement lié au mouvement #MeToo et à l'urgence pour contrer une réaction d'extrême droite qui gagne du terrain. Mais on apprécie d'autant plus quand les films sont vraiment bons, comme c'est le cas ici. Et Annie Colère ne démérite en rien: plus résolument «grand public» que les autres, il a tout pour plaire, à commencer par un élan contagieux.

L'IVG libérateur

A la place de la petite bourgeoise de banlieue de Call Jane, Annie est une ouvrière de province, employée dans une fabrique de matelas. Par ailleurs mère de famille avec deux enfants, elle n'a guère le temps ni l'envie de se mêler de militance syndicale ou politique. Et lorsqu'elle tombe à nouveau enceinte, c'en est trop: avec la bénédiction de son mari, elle opte pour l'avortement, même si celui-ci est encore illégal. Elle découvre alors, au fond d'une librairie, l'action du Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception (MLAC), un réseau de femmes et de médecins alors en plein essor (on est en 1974). Accompagnée de manière exemplaire, tout se passe bien pour elle, au contraire d'un voisine qui meurt un peu plus tard de n'avoir pas eu d'assistance (une coïncidence qui compte comme le seul gros point faible du scénario).

C'est alors qu'Annie décide de s'engager, à l'insu de sa famille, jusqu'à apprendre à pratiquer elle-même l'avortement, exactement comme sa consœur américaine. Un choix tenable jusqu'à un certain point, son mari se révélant là aussi moins tolérant et progressiste que prévu. Mais sa révolution intime est lancée, qui passe par l'apprentissage de tout ce qu'elle ignorait de son corps et le désir que les choses changent pour toutes les autres femmes, à commencer par sa propre fille.

Le pouvoir de la sororité

On le voit, les deux films sont tombés par hasard sur des scénarios très semblables. Mais là où Call Jane se montrait soucieux de sa reconstitition d'époque et finement psychologique, Annie Colère carbure plutôt à l'énergie, à la pédagogie et à l'émotion. Son grand atout se nomme Laure Calamy (Antoinette dans les Cévennes, A plein temps, L'Origine du mal), comédienne à fleur de peau ici absolument irrésistible. Mais elle est aussi parfaitement entourée par un casting féminin qui joue a fond la carte de la sororité (mention à la chanteuse Rosemary Standley pour ses débuts à l'écran et à Pascale Arbillot en grande bourgeoise militante). Et côté masculin, Yannick Choirat, en mari imprévisible, et Eric Caravaca, en médecin compréhensif, ne sont pas moins bien choisis.

Ce qui achève toutefois d'emporter l'adhésion, c'est l'intelligence avec laquelle le récit se déploie, d'un cas individuel à un autre, qui démontrent collectivement l'injustice flagrante de l'interdiction encore en vigueur. L'archive d'une prise de parole de Delphine Seyrig à la télévision apporte elle aussi sa pierre à l'édifice. Et quand sonne l'heure de la victoire, elle se teintera aussitôt d'inquiétude quant à ce qui attend à présent les femmes dans des structures hospitalières froides, bien loin de l'accueil chaleureux des antennes du MLAC.

Sur la base de ses films précédents, Aurore (2017, tragicomédie de la ménopause avec Agnès Jaoui), et Zouzou (2014, comédie du sexe à travers trois générations de femmes), jamais on n'aurait soupçonné Blandine Lenoir capable d'un film aussi bien balancé que cet Annie Colère. Là encore, le collectif au féminin aura joué à plein, avec l'apport de la cinéaste Axelle Ropert (La Prunelle de mes yeux, Petite Solange) au scénario et la lumière chaleureuse de Cécile Bozon (Félicité, Vous ne désirez que moi) à l'image. Une saine colère, assurément.


«Annie Colère» de Blandine Lenoir (France, 2022), avec Laure Calamy, Yannick Choirat, Zita Hanrot, India Hair, Rosemary Standley, Eric Caravaca, Pacale Arbillot. 1h42

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