Culture / Peindre des forces, pas des formes
«Sur la peinture», Gilles Deleuze, Les Editions de Minuit, 352 pages.
Il n’est pas besoin d’être passionné par la peinture pour lire avec grand intérêt ce livre que viennent de faire paraître les Editions de Minuit, mais il vaut mieux s’intéresser à la construction des concepts philosophiques. De 1970 à 1987, Gilles Deleuze a donné des cours à l’université de Vincennes puis de Saint-Denis. Ce sont huit séances de 1981, entièrement consacrées à la peinture, que David Lapoujade a retranscrites et annotées ici. Deleuze (1925-1995) ne s’intéresse pas particulièrement à l’esthétisme, aux écoles de peinture, aux périodes, aux tendances… Il cherche des concepts, comme d’habitude, des concepts qui puissent éclairer un peu la nuit dans laquelle nous tournons en rond en nous consumant. «Il y a dans l’acte de peindre le moment du chaos, puis le moment de la catastrophe, et quelque chose en sort: c’est la couleur.» Deleuze parle du visible et de l’invisible, cite Paul Klee: «L’art ne reproduit pas le visible: il rend visible» et demande: «Il s’en faut de quoi pour que l’invisible soit capté ou non, c’est-à-dire rendu visible?» Il parle de la lutte contre les clichés, contre «la forme intentionnelle». Il parle de peindre le cri plutôt que l’horreur («Un cri ne ressemble pas à l’horreur qui fait naître ce cri, pas du tout.»). De la ligne qui ne trace aucun contour. «C’est quoi peindre un large dos d’homme? Ce n’est pas peindre un dos, c’est peindre des forces qui s’exercent sur un dos ou des forces qu’un dos exerce. C’est peindre des forces, ce n’est pas peindre des formes.» Ce formidable livre emmène le lecteur au-delà de la peinture, c’est fort.
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