Culture / Le cinéma français à l'heure de nouvelles peurs
Deux films actuellement sur nos écrans, «Acide» de Just Philippot, avec Guillaume Canet, et «Le Règne animal» de Thomas Cailley, avec Romain Duris, sonnent l'arrivée d'une nouvelle génération de cinéastes qui s'emparent du fantastique pour évoquer nos peurs actuelles, éco-anxiété et méfiance croissante envers la différence.
Quand les grands auteurs arrivent gentiment au terme de leur carrière et les simples réalisateurs vendent plutôt leurs services au petit écran, quel avenir pour le vrai-cinéma-sur-grand-écran qu'on aime encore? Entre blockbusters et films pour festivals, existe-t-il encore une place? Heureusement, il y en a toujours qui essaient, comme cette nouvelle génération française cinéphile et biberonnée aussi bien au cinéma fantastique américain qu'au film d'auteur européen. Pour elle, le mot d'ordre paraît justement de réussir cette hybridation. Après les filles – Julia Ducournau avec Grave et Titane, Léa Mysius avec Les Cinq diables – voici les garçons, Just Philippot avec déjà La Nuée et aujourd'hui Acide suivi de Thomas Cailley avec Le Règne animal. Deux films assez étonnants et qu'on a donc envie de défendre, sans pour autant tomber dans les dithyrambes d'une critique parisienne au régime du chef-d'œuvre hebdomadaire.
Pour ces jeunes cinéastes, il ne s'agit plus simplement de flirter avec le fantastique de manière poétique comme nombre d'aînés, mais plus non plus de donner dans la vulgaire horreur qui tache, comme certains précécesseurs. Plutôt d'assumer crânement le genre, avec les effets spéciaux nécessaires à sa crédibilité et une conscience de son grand potentiel métaphorique. On observe d'ailleurs une tendance semblable dans le cinéma nordique récent (Thelma de Joachim Trier, Gräns/Border d'Ali Abbasi, Lamb de Valdimar Johannsson) alors que les Espagnols, plus gros pourvoyeurs européens du genre ces dernières décennies (Amenabar, de la Iglesia, Balaguero, Bayona & co.) commencent à marquer le pas.
Relations et pluies corrosives
Dans Acide de Just Philippot, il s'agit clairement de traduire à l'écran notre éco-anxiété croissante liée au dérèglement climatique. Le film s'ouvre sur une fausse piste, une scène de violence en entreprise à la manière de Stéphane Brizé (En guerre) qui n'est que le début des malheurs de son protagoniste, un syndicaliste qui a perdu son travail et sa famille. Recasé avec une amie belge, c'est alors le ciel qui lui tombe littéralement sur la tête, sous forme de pluies d'une acidité corrosive contre lesquelles même les autorités sont dépassées. Dans la panique générale, les parents se retrouvent pour retirer leur fille de son internat équestre mais se demandent ensuite où aller. Chez son frère à l'aise et donc mieux protégé insiste-t-elle, en Belgique pense-t-il. Mais tout ira de mal en pis, laissant bientôt le père et sa fille adolescente seuls pour en débattre.
En fait de fantastique, il s'agit là d'une sorte de film catastrophe concentré sur une longue fuite et réalisé avec un vrai talent. On pense à La Guerre des mondes de Steven Spielberg, voire à un film de zombies sans zombies. L'idée de l'eau transformée en danger mortel est particulièrement angoissante, certains plans à effets spéciaux d'une inquiétante beauté. Là-dessus, l'arrière-fond de violence économique et sociale (obscurément liée à la catastrophe écologique), un anti-héros pas immédiatement sympathique et le refus d'un scénario rassurant de retrouvailles familiales sont autant d'éléments à porter au crédit de ce film très efficace, qui parvient presque à faire oublier ses incohérences (une météo bizarre et l'acide qui semble épargner les pneus des véhicules, par exemple). Et pourtant, dès qu'on a compris que nos fuyards n'ont nulle part où aller, l'intérêt faiblit inexorablement et le film ne peut plus se terminer que de manière frustrante, un peu comme le récent En plein feu (de forêt) de Quentin Reynaud.
Humains et animaux
Dans Le Règne animal, Thomas Cailley (auteur du formidable Les Conquérants il y a neuf ans déjà, puis de la mini-série de science-fiction Ad Vitam), nous plonge sans plus d'explications dans un avenir où certains humains ont commencé à muter vers des formes animales. Ici, un père et son fils déménagent dans le Sud-Ouest pour suivre leur épouse et mère frappée par le mal qui doit y être transférée dans un centre de détention ad hoc. L'adolescent débarque dans un nouveau lycée tandis que son père se reconvertit en cuistot de gargotte, mais la camionnette qui transporte la mère n'arrive jamais à destination: suite à un accident, toutes les «créatures» à son bord se sont envolées dans la nature! Puis, tandis que le père reste obsédé à l'idée de la retrouver, le fils découvre qu'il commence lui aussi à présenter des signes de mutation...
Encore plus ici que dans Acide, on est emporté par le brio de la mise en scène, dès l'ouverture dans un immense bouchon routier qui finit par révéler un drôle d'homme-oiseau. On retrouvera ce dernier dans la forêt, approché par le fils tandis qu'une relation parallèle semble s'esquisser entre le père et une gendarmette de la région. Fausse piste là aussi: avant tout, il s'agira bien de renouer le contact avec la mère, irremplaçable, et de se dire adieu. Puis les locaux inquiets se liguent avec l'armée pour chasser/capturer les créatures et le fils doit fuir tel un vulgaire loup-garou vers un improbable sanctuaire naturel. Et là au plus tard, on doit déchanter un peu, le film n'ayant à l'évidence pas tenu toutes ses promesses. Autant le scénario a mis en place des tensions fortes, entre la société et ses transfuges, la famille tiraillée et la société, autant le film semble s'être quelque peu égaré en chemin.
Les limites du réalisme
Entendu, le fantastique est aussi délicat à manier qu'il peut paraître séduisant. La limite des deux films réside sans doute dans leur exigence, très française, de réalisme. Aussi réussie que soit l'intégration des effets spéciaux, l'affaire en devient plus prosaïque que poétique, amoindrissant son potentiel métaphorique. Dans Acide, on chercherait ainsi en vain un au-delà moral ou spirituel à la catastrophe écologique qui s'abat sur l'humanité. C'est à peine si l'autorité paternelle subit une remise en question tandis qu'une responsablité collective est vaguement suggérée. Et dans Le Règne animal, qui mêle bien plus de pistes (pandémie, part animale chez l'humain, peur de l'Autre, montée du fascisme, récit d'apprentissage adolescent, crise de la biodiversité), celles-ci tendent malheureusement à s'annuler. Le fait qu'on finisse par avoir plus envie de retrouver l'agente de police incarnée par Adèle Exarchopoulos que l'homme-oiseau Tom Mercier est en soi assez parlant.
Cela dit, les Anglo-Saxons ne font pas forcément mieux, loin de là. Même des spécialistes tels que M. Night Shyamalan ou Guillermo Del Toro se ratent une fois sur deux! Pour l'heure, sans doute Grave reste-t-il le film le plus cohérent et impressionnant de cette nouvelle vague française. Et Thomas Salvador (Vincent n'a pas d'écailles, La Montagne) son membre honoraire – il est un peu plus âgé – le plus méconnu: à privilégier encore le rêve et la poésie, ne serait-ce que faute de moyens, c'est en tout cas chez lui qu'on trouve le plus de vrai cinéma, là où de simples choix de mise en scène, de cadrage ou de montage, de couleur ou de son, peuvent emporter très loin notre imagination.
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