Culture / L’Ukraine autrement racontée
«L’internat», Serihy Jadan, Editions Noir sur Blanc, 272 pages.
Comment tenter de l’approcher hors des flux de nouvelles? Par la littérature. Un livre en dit plus que cent articles sur les débuts de l’abcès, à partir de 2014 dans le Donbass. De l’écrivain, du poète ukrainien Serihy Jadan, L’internat. Sans gloses politiques, au raz du quotidien, dans une ville déjà rongée par la guerre, lorsque nous n’y prêtions aucune attention. Un jeune professeur part à la recherche de son neveu, retenu dans un internat, dans une zone rebelle. Mais la ligne de front est floue. On entend des explosions ici et là, un chien errant qui hurle, des hommes éméchés. La ville est cassée, dans les murs et dans les têtes. Des proches, des passants, des vieillards un peu perdus, des inconnus qui tentent de refouler la peur sans s’afficher d’un bord ou l’autre. Mais les types qui arrêtent un instant Pacha essaient de savoir s’il parle l’ukrainien ou le russe. En fait, les deux, qu’il enseigne. Et il hésite car la fissure est précisément là. L’histoire du gamin qu’il faut ramener à sa mère prend le dessus. Avec rudesse, jamais de mièvrerie. Et le lecteur s’attache à cet homme libre, obstiné, qui ne se laisse pas troubler dans le chaos. L’auteur décrit sa course avec des notations si concrètes, sur les personnages, les rues, les maisons, les décombres, que l’on croit percevoir comment les boules d’angoisses se font et se défont. Le neveu sera retrouvé, il est en colère. Puis pas à pas, il entre dans une belle relation avec cet oncle qui ne se voit pas en héros. Dans la guerre à grande échelle d’aujourd’hui, beaucoup d’Ukrainiens ne cherchent pas non plus ce rôle, plutôt soucieux de survivre. Et de retrouver peut-être les mots simples, les mots du cœur. Ils ont besoin du poète. Nous aussi.
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