Culture / Corée alambiquée
Séduisant film noir salué par la critique à Cannes, «Decision to Leave» de Park Chan-wook raconte l'histoire d'un détective qui tombe amoureux d'une sorte de «veuve noire». Ce mélange d'inspiration très classique et de haute virtuosité, qui ne craint pas d'égarer le spectateur, valait-il pour autant le Prix de la mise en scène?
Chahuté de tous côtés par les séries tv, la publicité, le clip musical, le jeu vidéo et autres formats internet, le cinéma reste cependant le lieu par excellence de la mise en scène, cet équivalent visuel de l'écriture. Si nous restons attachés à ce qui fut un jour qualifié de 7ème art, c'est bien pour cette dimension-là. Une dimension qui, portée à son plus haut degré, signale la patte d'un auteur, traduit une vision du monde singulière. Il va sans dire que l'immense majorité des fabricants d'images, à commencer par ces réalisateurs qui se contentent d'illustrer des scénarios avec plus ou moins de savoir-faire, ne sont pas vraiment des auteurs. Et puis, il y a les purs stylistes, qui manient cette écriture avec un tel talent qu'ils peuvent créer l'illusion, alors même que ce qu'ils nous racontent manque de profondeur. Nous avons toujours soupçonné le Coréen Park Chan-wook d'être de ceux-là.
Chouchou des principaux festivals internationaux, en particulier de Cannes depuis son Prix spécial du Jury pour Old Boy en 2004 (merci Quentin Tarantino), ce Coréen de 58 ans a plus que jamais la cote: après un Prix du jury pour son film de vampires Thirst en 2009, le voici qui remporte donc celui de la mise en scène pour Decision to Leave, son 11ème long-métrage. Pourtant, son indéniable virtuosité s'est jusqu'ici déployée dans des films qui nous ont toujours laissé sur notre faim, que ce soit par leur violence et leur voyeurisme racoleurs, leur fantaisie forcée ou leur patine trop classieuse, indicateurs parmi d'autres d'un cynisme bien trempé. Maître Park aurait-t-il changé avec ce nouveau film qui joue soudain la carte d'un romantisme noir?
Femme mystère, femme perfide?
Plongé sans crier gare dans le quotidien secoué de deux détectives de la police de Busan, on commence en tout cas par se sentir assez perdu. Est-ce la langue, la difficulté à imprimer les visages, les affaires superposées ou plutôt... une mise en scène déjà en surrégime? En tous cas, il faut un bon quart d'heure pour ne plus accuser un retard de compréhension constant, pour distinguer un protagoniste, le quadragénaire Hae-joon (Park Hae-il) et un enjeu principal: sa fascination pour une belle veuve, Seo-rae (la Chinoise Tang Wei, 15 ans après le mémorable Lust, Caution d'Ang Lee), soupçonnée d’avoir tué son mari alpiniste amateur, retrouvé mort au pied d’une montagne. Elle avait une grande différence d'âge avec ce dernier, plus un passé familial compliqué entre Chine et Corée. Mais elle dispose aussi d'un alibi professionnel d'aide-soignante qui paraît a priori inattaquable. Surtout, elle tape dans l'œil de Hae-joon, qui souhaite bientôt la disculper à défaut d'oser espérer plus, lui-même étant marié.
Tout ceci n'occupe que la première partie du film, menée tambour battant avec un montage qui s'ingénie à nous désorienter. Entre informations tangentielles, flash-back intempestifs, points de vue subjectifs (où le cinéaste n'hésite pas à projeter Hae-joon dans des scènes où il n'est pourtant pas physiquement présent), il faut s'accrocher! Pour finir, c'est un smartphone, seul signe de modernité omniprésent, qui trahit la supercherie et l'erreur de jugement du héros, lequel s'en trouvera profondément démoralisé. Mais comme dans le fameux Vertigo d'Alfred Hitchcock, tout repart avec un deuxième acte. Quelques temps plus tard, dans une bourgade de province entre montagne et océan où Hae-joon a été muté, le voici qui retombe sur Seo-rae au bras d'un nouveau mari plus jeune, un homme d'affaires douteux. Pire, ce dernier finit bientôt assassiné dans sa piscine. Tout cela peut-il vraiment être le fait du hasard?
Le roi de la poudre aux yeux
Ce qui s'ensuit devient assez fascinant, il faut bien l'avouer. Avec le héros, on veut savoir ce que cache cette deuxième chance inespérée. Une occasion de recouvrer son estime de soi ou bien de gagner l'amour de cette femme insondable, à ses risques et périls? Peu à peu, les flash-back viennent combler les «trous» de la narration, ellipses et énigmes volontairement semées en chemin. Et lorsque le cinéaste abat enfin sa carte maîtresse, en ouvrant une fenêtre sur l'âme de la belle manipulatrice, on n'est en effet plus si loin des abîmes tragiques de Vertigo. Sauf qu'à jouer au plus malin jusqu'au bout, notre génial metteur en scène se montrera encore une fois plus amoureux de ses effets que réellement habité par ce qu'il raconte.
Bien sûr, ce sont là des choses qu'en son temps on a reprochées à Alfred Hitchcock lui-même. Puis à son disciple Brian De Palma. A tort. Mais ce qui gêne chez Park Chan-wook n'est pas vraiment de la même nature: c'est un véritable catalogue d'effets de mise en scène, disparate jusqu'au baroque; une volonté de rendre le moindre plan beau ou intéressant en soi, la moindre collure sujette à caution, avec pour résultat de nous tenir à distance des personnages et sans pour autant inviter à un regard plus critique sur l'action. Si son «message» est parfaitement recevable – à savoir qu'il est des amours rendues impossibles par des circonstances de vie trop différentes, voire que le désir masculin et le désir féminin ne coïncident jamais – le film s'avère bien incapable de nous percuter avec un ressenti profond. D'où son échec.
En réalité, le jury cannois s'est typiquement mis d'accord sur la mise en scène la plus... voyante. La meilleure du Festival, elle, restera plus secrète, dans un film dont la forme aura parfaitement su épouser le fond. Quant à la poudre aux yeux de maître Park, elle brille un moment mais s'estompe tout aussi vite.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Chan clear 02.09.2022 | 13h20
«Film vu récemment, visuel splendide et dépaysement garanti dans ces contrèes de Corée et l’intérieur des maisons d’un style particulier. A certains passages on s’y perd surtout qu’il faut évidemment lire tous les sous-titras..par contre il en vaut le détour vraiment, la classe !»