Culture / Ce qui emprisonne et ce qui libère
«La cour maudite», Ivo Andrić, Les Editions Noir sur Blanc, 208 pages.
Cette nouvelle traduction du roman de 1954 d’Ivo Andrić est une très bonne occasion de découvrir cet auteur yougoslave – oui, lorsqu’il est mort en 1975, la Yougoslavie existait toujours. La cour maudite est un conte, un récit historique aussi, dans lequel on ne se perd jamais bien que ne sachant pas où il mène, ni même s’il mène quelque part. Dans cette cour, celle d’une prison d’Istanbul à la fin du 18e siècle, les hommes se croisent, se parlent ou s’évitent, s’inventent ou se défont. Certains se confient à Fra Petar, un moine bosniaque attendant ici, comme les autres, sa condamnation à l’exil ou à pire que ça. Dans sa postface, par moment hégélienne, l’écrivain Lakis Proguidis explique que ce roman est «le mariage insolite entre une information historique, précise et véridique, et le bruit d’une humanité emprisonnée dans l’univers cyclique et répétitif de la survie. C’est l’union bizarre entre un arrêt sur image et le bavardage humain qui ne connaît ni début ni fin.» Voilà une bonne définition de notre condition humaine. A la fin de son texte, Proguidis se montre plutôt pessimiste: «Il n’y a plus, de nos jours, ni monastères, ni cafés, ni légendes, ni poèmes. Les gens ne se parlent plus. Il n’y a plus de peuples. Il n’y a que le bruit. Le cancan.» Sans lui donner tout à fait tort, il faut se souvenir que nous n’avons sans doute pas d’autre vie que celle-ci et qu’il s’agit de la vivre pleinement, comme le font les personnages de La cour maudite. Et qu’il reste, encore et toujours, de formidables récits, comme celui d’Ivo Andrić.
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