Culture / C’est quoi, un amour ordinaire?
«L’amour», François Bégaudeau, Editions Gallimard, 96 pages.
«Il s’agit d’une histoire d’amour ordinaire», ne cesse de répéter François Bégaudeau lorsqu’on l’interroge à propos de son dernier livre. Un livre largement apprécié dans l’entre-soi culturel et même par Frédéric Beigbeder qui en fait peut-être, dans Le Figaro, l’analyse la plus factuelle: «François Bégaudeau a réussi son coup, et ce qui est formidable, c'est que pour une fois, il ne pense pas (…). Pour une fois qu'il ne réfléchit pas trop et qu'il ne parle pas trop de politique, ça fait du bien.» C’est pour moi tout l’inverse: lorsque Bégaudeau – ou quiconque – ne pense pas, ça ne fait pas du bien. Pas du mal non plus en l’occurrence, juste un flop. L’auteur raconte – en 90 pages et ça passe pour un exploit littéraire – cinquante ans d’une relation conjugale, celle de Jacques et Jeanne, issus d’un milieu populaire. Ça commence au début des années 1970 et ça se termine avec la mort des personnages qui ne se sont pas quittés et ont vécu, selon l’auteur, une vie «ordinaire». C’est bien écrit mais ça ne dit rien, ça ne pense pas, ça ne réfléchit rien. Bégaudeau observe ses personnages comme un entomologiste observe des insectes. Il n’évolue pas dans le même monde et peine à imaginer que ces gens-là puissent avoir une vie, des amours, des émotions autres qu’«ordinaires». C’est très condescendant. «Encore un mystère, penserait Jacques s’il y pensait», écrit-il. Si ce n’était pas du Bégaudeau, ça pourrait passer pour du mépris de classe. Il n’y a pas de vies ordinaires, ou alors elles le sont toutes. «J’ai voulu raconter l’amour tel qu’il est vécu la plupart du temps par la plupart des gens: sans crise ni événement.» Quiconque a aimé ou vu aimer sait intimement que c’est faux: même si elles sont larvées, tues, refoulées, les crises sont là et elles créent des événements. Ce n'est pas parce que ces crises et ces événements ne sont pas spectaculaires qu'ils ne sont pas. L’auteur est plus pertinent lorsqu’il parle de son monde, la petite bourgeoisie culturelle, plus pertinent lorsqu’il pense, lorsqu’il réfléchit.
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