Culture / Attention, les enfants nous regardent
Dans la lignée des femmes cinéastes qui s'emparent désormais du genre fantastique, la Française Léa Mysius déroute avec «Les Cinq Diables». Ce film ambitieux présenté à la Quinzaine des réalisateurs cannoise offre à Adèle Exarchopoulos un nouveau rôle en vue à défaut de convaincre.
La fantastique intelligent reste une proposition trop précieuse pour qu'on passe sous silence une tentative comme celle-ci, même inaboutie. Nouvel opus de Léa Mysius, qui nous avait tant emballés avec Ava il y a cinq ans, Les Cinq Diables relève clairement de cette catégorie. Mais c'est aussi le type même du deuxième film problématique, qui pourrait coûter sa carrière à son auteur(e): un film plus théorique que pleinement réalisé, au risque de ne satisfaire personne. Et pourtant, avec son esthétique maîtrisée et ses pistes intrigantes, qu'est-ce qu'on aurait envie de l'aimer!
Il y a d'abord cette manière de poser un lieu, en l'occurrence un village proche de Grenoble (comme dans le récent La Nuit du 12 de Dominik Moll): un paysage plus mental que strictement réaliste de vallée coincée entre les montagnes, avec des villas, une école, une piscine, une caserne de pompiers, la forêt et un lac de barrage. La belle photo, aux noirs profonds et aux couleurs légèrement renforcées, vous met déjà dans l'ambiance, au-delà des limites d'un strict réalisme. Puis arrivent les personnages, une ex-lauréate d'un concours de beauté devenue maîtresse-nageuse, son mari en bel uniforme sur la photo de mariage qui n'est que soldat du feu, et leur petite fille qui s'enferme dans son monde centré sur un odorat surdéveloppé. Ah oui, on a omis de préciser qu'il s'agit d'une couple interracial et que la fillette métisse est la cible de harcèlement à l'école.
Le parfum des amours passées
En tous cas, c'est là une manière plus américaine qu'européenne de poser les choses. Très vite, on se rend compte qu'il n'y a plus d'amour entre Joanne et Jimmy, juste de la routine, et que la petite Vicky, maladivement attachée à sa mère, en souffre. A moins qu'elle n'en soit elle-même la cause? Débarque alors sa tante Julia (du côté paternel), venue se réfugier chez eux suite à des problèmes dont elle semble coutumière. Jimmy n'y voit rien que de très normal, au contraire de Joanne, qui voudrait la voir repartir, comme son vieux père médisant. De son côté. Vicky s'amuse à recréer l'odeur de Julia. En réalité, il s'agit là de bien plus que d'un simple jeu. Car au travers des odeurs, Vicky s'est découvert un pouvoir de visiter le passé des adultes et d'y découvrir des choses qu'on ne raconte pas aux enfants...
L'idée d'un film qui convoque celui des cinq sens le plus négligé par le cinéma pouvait paraître prometteuse, elle restera (inévitablement?) inaboutie. On comprend peu à peu que ce portail sensoriel qui ramène à la surface les secrets enfouis revient ici à dire: «attention, les enfants nous regardent». Autrement dit, toutes nos erreurs auront leurs conséquence sur la génération suivante, qui les découvrira tôt ou tard. Pas si bête. Sauf qu'au niveau narratif, cela devient déjà plus problématique, à partir d'une séquence dans les bois où Joanne est censée découvrir (si tard?) le don de sa fille. Puis c'est l'alternance des points de vue qui pose problème, entre Vicky qui se projette dans le passé et les autres qu'on suit en parallèle au présent. Cerise sur le gâteau, la tante Julia s'avère avoir été perturbée depuis longtemps par des apparitions de cette fillette qui l'observait... avant même sa naissance!
Trop élaboré, pas assez réalisé
Dans ce petit monde refermé sur lui-même, il s'agit bien sûr de l'éternel dilemme entre rester croupir ou s'enfuir. Puis on comprend qu'il y a eu autrefois une attraction entre Julia et Joanne, laquelle a fini par lui préférer son frère, «volé» à son amie Nadine. Et donc que l'enfant, mais aussi l'absence d'amour entre les parents, sont le fruit de toutes ces tâtonnements de jeunesse. Et d'où viennent donc ces traces de brûlures sur le visage de Nadine? Pourquoi Julia est-elle décriée comme une «pyromane»? Rien qu'avec ces éléments, on peut déjà voir se déplier un récit complexe qui fera la lumière sur le passé tout en essayant de débloquer le présent.
Le problème, c'est qu'en tant que spectateur, on a plus l'impression de suivre un scénario en train de s'illustrer que d'être vraiment happé par le récit. D'un côté, aucune des scènes-clé ne paraît réalisée de manière optimale (tel ce karaoké en duo sur le sublime «Total Eclipse of the Heart» de Bonnie Tyler, le spectacle de gymnastique annoncé), de l'autre, la plupart des pistes font long feu (les «visions olfactives», le thème racial ou le rôle du grand-père). Manque aussi cette scène de sexe qui venait électriser Ava, comme si cette fois, la cinéaste n'avait pas osé. Et malgré d'excellents choix musicaux, Léa Mysius cède ici à la tentation du trop-plein, là où un morceau électro magique avait suffi à propulser son premier opus. Même le casting s'avère problématique, avec Moustapha Mbengue (Jimmy) comme maillon faible tandis qu'Adèle Exarchopoulos (Joanne) domine les débats.
Problèmes de conception ou de budget, le résultat est là, assez frustrant. Dans la même veine, on reste loin du magnifique Thelma de Joachim Trier. De sorte que, lorsqu'arrive le plan final en forme d'énigme, sur une nouvelle fillette (noire ou métisse?) surgie de nulle part, bien peu seront ceux qui chercheront encore à comprendre. Retour inversé de Julia ou plutôt future demi-soeur de Vicky, il y a de quoi se perdre en conjectures, mais sûrement pas rattraper ce qu'on appellera un joli ratage.
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