Média indocile – nouvelle formule

Analyse


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La télévision alémanique a diffusé un débat sur le thème «Israël va-t-il trop loin?» entre deux anciens diplomates suisses et deux soutiens d’Israël. Les participants ont échangé leurs points de vue, parfois extrêmes, sans réussir à se mettre d’accord.



L’émission SonntagsZeitung Standpunkte, diffusée le dimanche 7 septembre par la télévision alémanique SRF, sous-titrée Geht Israel zu weit (Israël va-t-il trop loin?), a réuni, autour de l’animateur Reto Brennwald, quatre personnes. Didier Pfirter, ancien ambassadeur suisse, expert en droit international, ancien représentant spécial de la Suisse pour le Moyen-Orient; Jean-Daniel Ruch, ancien ambassadeur suisse, entre autres en Israël; Alfred Heer, conseiller national UDC à la tête du Groupe d'amitié parlementaire Suisse-Israël et président de la Fondation Audiatur; Markus Somm, historien, rédacteur en chef de Nebelspalter et chroniqueur à la SonntagsZeitung. Egalement invitée, Ruth Dreyfuss n’a pas pu venir en raison d’autres engagements.

«La première victime de la guerre est la vérité»

L’UDC Alfred Heer a ouvert le bal en déplorant le manque d’équilibre et d’impartialité dans les médias, tous trop gauchistes à son goût, et qui auraient succombé à la propagande des terroristes du Hamas. Tout comme les Palestiniens qui, après le départ des colons voulu par le gouvernement israélien d’Ariel Sharon en 2005, auraient tous rejoint les rangs du Hamas, ce qui a mené à l’horreur du 7 octobre 2023.

Jean-Daniel Ruch, lui, a expliqué que la première victime de la guerre était la vérité, noyée dans la propagande des parties en conflits. Pourtant, a-t-il affirmé, pour qui voudrait vraiment s’informer, il y a assez de ressources fiables et indépendantes, y compris dans la presse israélienne, à commencer par le journal Haaretz qui n’hésite pas à critiquer les décisions du gouvernement israélien. Pour l’ancien diplomate, il est clair que l’objectif du gouvernement Netanyahu n’est ni la libération des otages, ni le désarmement du Hamas mais l’expulsion des Palestiniens de la bande de Gaza pour la création de cette fameuse Riviera évoquée par Donald Trump, un plan déjà envisagé en novembre 2023. L’ex-ambassadeur raconte avoir été contacté à ce moment-là par une connaissance israélienne, un homme influant lié au Likoud, qui lui aurait dit: «Jean-Daniel, ça y’est, c’est le bon moment, nous pouvons enfin nous débarrasser des Palestiniens de Gaza avant ceux de Cisjordanie. Dis-moi, vous, les Suisses, vous pourriez bien accueillir 75 00 Palestiniens, non?» Voilà qui accrédite la thèse selon laquelle le projet de la Maison-Blanche n’est rien de plus qu’un rappel de cette intention de chasser les Palestiniens du territoire d’un futur Grand-Israël, rêve de l’extrême-droite suprématiste du gouvernement Netanyahu, qui assure le maintien de ce dernier au pouvoir.

La faute des médias?

Markus Somm a déclaré être, comme Alfred Heer, outré par l’attitude partiale des médias [alémaniques] qui, mis à part la Weltwoche et Nebelspalter, sont tous «contre» Israël. Alors que ce pays fait partie, dès sa création, de l’Occident, la gauche occidentale ne cesserait d’être contre l’Etat juif. Cette haine contre Israël répondrait à la haine générale de toutes les gauches du monde contre l’Occident et sa culture judéo-chrétienne.

Le médiateur a alors réorienté la discussion sur le traitement par les médias de la situation à Gaza, de la famine orchestrée et du génocide en cours. Didier Pfirter a fait remarquer que les journalistes, y compris ceux de la SRF, subissent les constantes pressions du lobby pro-israélien pour amoindrir leurs rapports sur les morts des civils à Gaza, contrairement aux informations assez fiables qui nous arrivent d’Ukraine.

Les intérêts de Netanyahu

Jean-Daniel Ruch a évoqué les récentes propositions de cessez-le-feu, acceptées par le Hamas, pour libérer les otages israéliens, mais refusées par Israël, Netanyahu ayant tout intérêt à poursuivre la guerre, ne serait-ce que pour se maintenir au pouvoir et éviter par la même occasion de répondre aux accusations de corruption dirigées contre lui. Pour l’ancien diplomate, le but du premier ministre israélien est clairement de nettoyer une fois pour toutes la bande de Gaza, puis la Cisjordanie, pour pouvoir annexer ces territoires enfin vidés de leurs indésirables habitants.

Un projet qui ne semble pas offusquer Markus Somm: tous les pays, a-t-il expliqué, ont à un moment ou à un autre été envahis et vaincus; il s’ensuit alors une réorganisation des frontières et des territoires qui doit être acceptée par les perdants. Or les Palestiniens, eux, n’ont jamais accepté les guerres perdues contre Israël. Il affirme que la communauté internationale fait erreur en défendant leur droit à un Etat palestinien au détriment d’Israël. Il critique également l’attitude d’anciens diplomates suisses: «Je trouve problématique qu’ils s’expriment sur le sujet dans un pays neutre. Ils n’ont rien dit sur la politique du IIIe Reich quand les nazis exterminaient les juifs. Ils n’ont rien dit pendant la guerre du Viêtnam. Ils ne disent rien maintenant sur la guerre en Ukraine. Ils n’ont jamais rien dit et là, ils protestent. C’est contre la neutralité de la Suisse et cela nuit à notre pays.»

Quid de la neutralité suisse?

«La Suisse n’est plus neutre puisqu’elle exporte des biens à double usage vers Israël, a rétorqué Jean-Daniel Ruch. Mais nous aimerions qu’elle le redevienne.» Didier Pfirter, lui, a rappelé que la Suisse, en tant que dépositaire des Conventions de Genève, avait pour devoir de défendre le droit humanitaire. Quant à la neutralité, elle ne s’applique pas dans le cas de crimes de guerre, comme en Ukraine par exemple, a-t-il expliqué, mentionnant les déclarations d’Ignazio Cassis et d’autres. Car toute agression est une violation des droits humains. A plus forte raison à Gaza où les victimes sont des enfants innocents, des femmes, de personnes âgées et des hommes désarmés. Selon Didier Pfirter, la Suisse peut rester neutre tout en agissant pour la défense des droits humains et du droit humanitaire. Quant aux anciens diplomates, en tant que citoyens d’une Suisse neutre et dépositaire des Conventions de Genève, ils ont le droit de dénoncer les crimes commis contre les populations civiles. C’est même là le devoir de la Suisse.

Comme de bien entendu, chacun est resté campé sur sa position et le débat n’a mis personne d’accord, comme ce qui se passe sur les réseaux sociaux.

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