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Analyse


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Les aléas actuels de la politique française et américaine portent un mauvais coup à la promotion de la démocratie dans le monde, dont l'Occident prétend être le champion. D’autant plus qu’à force d'avoir aligné démocratie et intérêts propres, les pays occidentaux ont fini par perdre leur légitimité à donner des leçons au reste du monde.



Le spectacle affligeant que donne à voir la vie politique des deux piliers de ce qu’il est convenu d’appeler «la communauté internationale», à savoir les Etats-Unis et la France, ternit non seulement leur image, mais également leur légitimité à donner des leçons de démocratie au reste du monde, et tout particulièrement aux pays dits du Sud. Cela amène sans conteste de l’eau au moulin des autocrates et autres présidents à vie qui s’attaquent sans répit à «l’arrogance occidentale» et à sa volonté d’imposer un système démocratique et des valeurs qui ne seraient, selon eux, qu’un moyen déguisé de servir leurs propres intérêts.

A force d’entendre Washington, Paris, Londres ou Berlin menacer, condamner, déplorer les aléas de leurs vies politiques – sans que jamais l’inverse ne soit envisageable – s’est répandu dans les pays du Sud un sentiment de rejet de l’Occident et de ses grands principes démocratiques, à géométrie variable. On ne dira jamais assez à quel point l’invasion de l’Irak, l’assassinat de Kadhafi, entre autres, ont laissé de traces dans l’inconscient collectif. Au nom de la démocratie, les pays occidentaux ont mis à mort les dirigeants de l’Irak et de la Libye, condamnant ces deux pays à un chaos dont ils ne sont toujours pas remis. Pourtant, durant des décennies, des dictateurs ont mené la vie dure à leurs compatriotes, sans que ni les USA, ni les pays européens ne songent à les déloger. «C’est un salaud, mais c’est notre salaud»: la formule qui eut son heure de gloire durant la Guerre froide conserve toute son actualité. Durant cette période en effet, les pays occidentaux soutinrent sans vergogne des autocrates sanguinaires, dont le seul mérite était de leur rester fidèles, sans céder aux sirènes de Moscou.

Deux poids, deux mesures

Depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie, c’est une sorte de retour vers le passé. Les pays du Sud sont sommés de choisir leur camp. S’ils refusent de condamner la Russie, favorisent ses intérêts au détriment de ceux des pays occidentaux, ils sont vite considérés comme «ennemis». Si les relations devaient encore se durcir entre les Etats-Unis et la Chine, les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine auraient également à choisir leur camp. Ce n’est donc pas le «bilan démocratique» qui primerait pour savoir si un pays est fréquentable, mais bien plutôt des considérations géopolitiques. C’est ainsi qu’en Côte d’Ivoire, pays fidèle à l’Occident dans un environnement régional qui lui est de plus en plus hostile, son Président n’a guère de souci à se faire s’il souhaite briguer un 4ème mandat en 2025 - même si cela serait contraire à la Constitution. Il y a fort à parier que, dans le contexte actuel, ni la France, ni l’Union européenne, ni les Etats-Unis ne lui en tiendraient rigueur.

Le sentiment du «deux poids deux mesures» ressenti par de nombreux pays s’est encore renforcé depuis l’invasion de l’Ukraine et la riposte totalement disproportionnée d’Israël dans la bande de Gaza. Pourquoi un traitement aussi différencié de la part de la «communauté internationale» à l’égard de la Russie et à l’égard d’Israël, qui piétine le droit international en toute impunité? Ce ressenti est en tout cas largement exploité par la Russie et la Chine pour convaincre les pays du Sud de les rejoindre dans leur croisade contre l’hégémonie occidentale. Et d’adhérer aux BRICS, ce regroupement politico-économique de pays dits émergents, qui ambitionne de faire contre-poids à la suprématie de l’Occident. Avec succès: aux membres historiques que sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud – dont la première lettre forme l’acronyme BRICS – sont venus s'ajouter en 2024 l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Ethiopie, l’Iran; le Pakistan devrait les rejoindre en 2025.

Un discours anti-occidental pour éviter les élections

Les pays qui composent les BRICS sont tous, peu ou prou, autoritaires, prompts à discréditer les systèmes démocratiques. C’est également le cas du Mali, du Burkina Faso et du Niger, où des militaires putschistes semblent peu pressés de rendre le pouvoir aux civils et d’organiser des élections, comme les en presse la «communauté internationale». Pour s’en débarrasser et bien marquer leur volonté de rupture totale, ces trois pays se sont regroupés au sein d’une Alliance des Etats du Sahel (AES) et se sont rapprochés de la Russie, de l’Iran, de la Corée du Nord – en gros, des pays mis au ban par les Etats-Unis et l’Union européenne. 

L’exemple du Niger est particulièrement éclairant. Lorsque les putschistes ont renversé le président Mohamed Bazoum, démocratiquement élu, dont ils supportaient mal les velléités d’améliorer la gouvernance et de lutter contre la corruption, ils ont repris à leur compte un discours anticolonialiste et anti-occidental pour expliquer leur geste, et séduire leurs concitoyens. Le Mali et le Burkina Faso les ont précédés sur la même voie. Mais le discours anti-occidental qui a fonctionné pendant un certain temps semble commencer à lasser les populations, dont les libertés sont réduites à néant, également en raison des attaques djihadistes dont ces pays sont victimes. Les gens sont de plus en plus nombreux à estimer que les diatribes contre l’Occident de leurs dirigeants arrivés au pouvoir par un coup d’Etat sont in fine un moyen de s’éterniser au pouvoir sans organiser d’élections. 

Reste que pour avoir trop fait coïncider la promotion de la démocratie avec ses propres intérêts, de manière arrogante et à géométrie très variable, la voix des pays occidentaux s’est dépréciée aux yeux des pays dits du Sud. Un sentiment encore renforcé par les aléas de la politique américaine et de plusieurs pays européens dont la France. Pourtant, pour ne pas laisser le champ libre à des autocrates, qui font fi des libertés individuelles de leurs concitoyens, une voix crédible, forte, est plus que jamais nécessaire au niveau international. Les pays européens ne doivent en effet pas abandonner les hommes et les femmes qui résistent en Russie, en Afghanistan, en Iran, en Chine, en Guinée, en Erythrée, en Biélorussie, en Birmanie, ainsi que dans de nombreux autres pays où les droits les plus élémentaires sont bafoués. Les pays occidentaux se doivent d’être eux-mêmes irréprochables, et de continuer à apporter un appui à des personnes qui se battent avec courage dans leurs pays, sur lesquels ont fait main basse des autocrates prédateurs.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Erwan 27.09.2024 | 13h27

«Qu'est-ce qui différencie ces autocrates des BRICS et consorts des dirigeants indéboulonnables occidentaux à la Von der Leyen, Draghi ou Biden/Obama/Clinton ? L'apparent respect du droit pour les seconds ? J'ai un peu l'impression que ce sont les mêmes et que seules les cultures locales sont différentes.»


@willoft 27.09.2024 | 17h27

«L'argentine avec son Président actuel, Javier Milei, avec sa tronçonneuse pour les services publics et ses selfies avec Elon Musk et Trump aura bien du mal à cadrer avec les autres BRICS...

Sans compter que ce pays, comme l'Uruguay, est a full pro Israël.»


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