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Analyse / Qu’est-ce que l’économie? Une vision anthropologique


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Les travaux de l’économiste français Timothée Parrique offrent un regard neuf sur l'économie, la considérant non pas comme une entité abstraite et financière, mais comme un processus social de contentement. De plus en plus d’économistes remettent aujourd’hui en question le système économique actuel, et soulignent l'importance de la satisfaction des besoins humains dans un cadre durable et collaboratif.



L’économie est souvent considérée comme une sphère abstraite, essentiellement financière, face à laquelle le citoyen est démuni. Cette image est incarnée par les marchés financiers sur lesquels s’échangent des produits dérivés en tout genre n’ayant que peu de lien avec la vie quotidienne, si ce n’est sous la forme de pression subie (inflation ou crises). Récemment, je me suis entretenu sur ma chaîne Antithese avec l’économiste français Timothée Parrique, spécialiste du concept de «décroissance». Sa réflexion, rafraîchissante à bien des égards, a l’avantage de remettre l’église au milieu du village lorsqu’il est question d’économie.

Qu’est-ce que l’économie, selon lui? Il s’agit de l’organisation sociale du contentement. Pour cette raison, il la considère comme une science sociale, voire même comme une sous-catégorie de la sociologie. En économie, le contentement recoupe le processus de satisfaction d’un ou de plusieurs besoins, via la mobilisation de ressources naturelles et sociales, la production et la distribution. L’économie est donc un processus intrinsèquement collaboratif, «une forme d’entraide»: «c’est faire ensemble ce que nous n’aurions pu accomplir seuls». Cette pensée va à l’encontre de la doxa néo-libérale, qui postule que la satisfaction des besoins est optimisée si les individus suivent leurs propres intérêts et sont en compétition sur le marché.

L’économie ainsi définie par Parrique comprend cinq grandes étapes pour satisfaire les besoins: extraction de ressources, production des biens et services, allocation de ces derniers, consommation et élimination des déchets. Mais comment circonscrire les besoins essentiels à une vie digne d’être vécue? N’est-ce pas une définition subjective, que chacun vit différemment selon son histoire et sa position sociale ? Pendant longtemps, les économistes ont défendu l’idée que les besoins humains étaient illimités, «justifiant le fantasme d’une croissance perpétuelle». Aujourd’hui, les limites biophysiques de notre planète montrent qu’une croissance matérielle infinie est une dangereuse illusion. Seuls les besoins intellectuels, voire spirituels, c’est-à-dire véritablement immatériels, peuvent croître de manière exponentielle.

Dans sa «matrice des besoins fondamentaux», l’économiste Manfred Max-Neef a répertorié neuf types de besoins humains: subsistance, protection, affection, compréhension, participation (sens), loisir, création, identité et liberté. La satisfaction de ces besoins ne repose pas uniquement sur l’accumulation d’un capital important, permettant de disposer d’un pouvoir d’achat important. C’est aussi une affaire de relation humaine, de quête de sens et d’identité, de partage d’émotions interpersonnelles. Autant de besoins que l’économie monétaire actuelle ne permet pas à elle seule de satisfaire.

Pour pallier la pression croissante de l’économie financière, l’économiste franco-suisse Michel Laloux soutient pour sa part que certains domaines ou secteurs d’activités ne devraient pas entrer dans la sphère marchande, c’est-à-dire être considérés comme des marchandises qu’il est possible de commercialiser (vendre ou acheter). C’est le cas, selon lui, de la terre ou du foncier, du travail, de la monnaie ainsi que du capital. Il détaille cette idée dans son livre Dépolluer l’économie, paru en 2014. Timothée Parrique abonde, notamment en ce qui concerne l’immobilier. Dans notre entretien sur Antithese, il souligne ainsi: «La marchandisation de l’immobilier rend l’accès au logement plus difficile pour les classes les plus défavorisées de la population. Par conséquent, les secteurs clés de l’économie (santé, éducation, logement, etc.) devraient être extraits de la sphère marchande. Dans ces secteurs, ce n’est pas la maximisation des profits qui importe, mais l’optimisation de leur valeur d’usage, c’est-à-dire de leur fonctionnement (ce que ne garantit pas la maximisation des profits).»

Sortir ces secteurs clés de la sphère marchande n’implique pas automatiquement leur «étatisation» ni l’abandon de la libre entreprise. L’histoire nous a montré que l’Etat, tel qu’il existe, est susceptible de se comporter de manière tout aussi tyrannique que les sociétés privées. C’est bien plutôt vers le développement d’une économie des communs qu’il faut tendre. Celle-ci envisage, au niveau local, une gestion partagée des ressources, gérées et maintenues collectivement par des communautés. Cette communalisation de l’économie présente de nombreux défis, mais ceux qui nous font face si le système économique actuel se maintient seront plus importants encore. En somme, il importe aujourd’hui, comme le dit Bruno Latour, de «faire barrière au monde d’avant1».


1Bruno Latour, Imaginer les gestes barrières contre le retour à la production d’avant-crise, AOC, 2020. 

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