Média indocile – nouvelle formule

Analyse

Analyse / Qu’elle est fragile, la liberté de parole!

Jacques Pilet

19 novembre 2019

PARTAGER

Nous vivons en démocratie. Les constitutions de nos pays européens garantissent la liberté d’expression. Mais les signes se multiplient: celle-ci peut être insidieusement grignotée. Par toutes sortes de biais qui, pris isolément, peuvent paraître anodins et dessinent néanmoins une menace montante. Petit journal des sujets d’inquiétude.



Deux nouvelles suisses trop peu remarquées. 

Le conseiller fédéral Parmelin (UDC) en charge de l’économie, de la formation et de la recherche, est allé à Zurich tirer les oreilles des chercheurs de l’Institut fédéral suisse des sciences et des technologies de l’eau (EAWAG). Mécontent d’un rapport qui pointe la pollution due aux pesticides utilisés dans l’agriculture. Tout indique que le texte sera modifié à la suite de cette intervention. Le ministre-vigneron estime que les personnes travaillant dans une institution fédérale n’ont pas à critiquer, même entre les lignes, la position du gouvernement. Les savants trop critiques n’ont qu’à se taire.

Autre petite information. Le WEF, la grande messe de Klaus Schwab, a interdit l’accès à sa conférence de presse l’hebdomadaire de gauche Wochenzeitung. En prétendant n’accueillir que les médias qui «collaborent» depuis longtemps. Collaborer? Ce serait le rôle des médias, plutôt que de relater et le cas échéant de critiquer? Doivent-ils faire allégeance à la cour du grand homme? Cette manifestation est puissamment soutenue par la Confédération qui dépense notamment des millions pour sa sécurité. Et son chef aurait le droit de dire qui peut en parler ou pas? L’éditorialiste Frank Meyer a raison de se fâcher dans le Sonntagsblick: «La république n’a pas à financer une cour et ses barrières

Les puissants ont toutes sortes d’outils pour réfréner les curiosités. Grande entreprises et administrations multiplient les postes de «chargés de communication», chargés en fait de faire barrage aux questions impertinentes, de les noyer dans la langue de bois. Pratiquer un journalisme libre et critique devient un parcours du combattant. 

En France, c’est différent, c’est pire encore. Là, c’est un «politiquement correct» de gauche, ultra-féministe et ultra-écologiste qui ne cesse de réclamer des censures. On se souvient de l’interdiction de parole qui a frappé la philosophe Sylviane Agacinski coupable de s’interroger sur la procréation médicalement assistée. Une pétition court ces jours pour réclamer l’interdiction de l’émission de Alain Finkelkraut sur France Culture, après une passe d’armes télévisée entre lui et la militante Caroline de Haas qui jugea sexiste une plaisanterie, douteuse ou pas, lancée dans l’énervement. La même mouvance vient d’obtenir la déprogrammation  du dernier film de Polanski au Théâtre national de Bretagne. Pour une accusation de viol présumé datant d’il y a 40 ans. 

Ces ukases se multiplient. Un groupe d’intellectuels prônait cet été le boycott des Rendez-vous de l’histoire de Blois en raison de la présence de l’historien Marcel Gauchet, qualifié de «ultra-réactionnaire»…  alors qu’il est vaguement socialiste. Son premier pourfendeur est un intello bardé de diplômes qui se dit «créateur de concepts», Geoffroy de Lagasnerie (38 ans). Il était, le 14 novembre, l’hôte de l’Université de Genève pour une conférence de haut vol. 

Ecouter ce penseur sur son site est une épreuve, son charabia pseudo-philosophico-politique est ardu. Mais il traduit en termes savants des pulsions de la rue qui secouent la République. Il lâche ainsi tout de go: «Il faut sortir de la démocratie, cette illusion!» Pour lui, «les lois sont là pour maintenir les privilèges», elles n’ont pas à être respectées. Un allumé d’extrême-gauche? Nenni, il réfute cette étiquette, il rejette tous les partis, tous les mouvements, toutes les formes d’organisation. Un anarchiste? Pas davantage, il n’en a ni la flamme ni l’ambition collective. C’est un rebelle mais un individualiste forcené. La révolution, il la voit au bout d’une explosion de révoltes personnelles. A la manière des Gilets jaunes, l’esprit communautaire en moins. 

Ces dérapages, pas trop menaçants dans l’immédiat, disent néanmoins quelque chose sur l’esprit du temps. Celui-ci est par ailleurs puissamment marqué par d’autres intolérances. Notamment dans le débat autour des réponses à apporter au réchauffement climatique. C’est une autre histoire. Nous la suivrons. 

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@gwperrin 20.11.2019 | 16h38

«Bonjour, pourquoi dois-je remarquer sur cet écran glacé ces "Deux nouvelles suisses trop peu remarquées" qui ne m'auraient que davantage consterné sur le papier noirci si bon pour ma tête; et qui nourrit avec élégance ma curiosité atavique depuis ma plus tendre enfance ?
Devrais-je souhaiter que les éditeurs continuent à "libérer" ainsi leurs meilleures plumes?!
Je salue ici le talent, le courage et votre liberté!
Georges Perrin
Que soit salué aussi le retour des poètes Romanens et Voisard! »


@yvesyjt 29.11.2019 | 09h54

«Le caporal de service Parmelin n'en finit pas de nous étonner.
Après sa carrière foireuse au sein de l'administration militaire et ses avions fantômes, il persiste à sévir dans les rangs du gouvernement.
Compte tenu des incertitude de notre époque, les politiques feraient mieux d'écouter les scientifiques qui tirent les sonnettes d'alarme à plusieurs niveaux. Mais leurs oreilles et leurs actes restent plus favorables aux discours des lobbies. Le "business as usual" a encore de beaux jours devant lui.
Notre silence et notre passivité me semblent être criminels pour les générations futures.
A quand une prise de conscience collective et une montée aux barricades ?»


À lire aussi