Analyse / Le président d'UBS dénonce un «échec retentissant» de la Finma
Dans une interview accordée au «SonntagsBlick», Colm Kelleher, président de l'UBS, explique pour la première fois et avec clarté comment la Finma a été beaucoup trop indulgente avec les patrons de Credit Suisse. Jusqu'à l'inévitable chute.
Lukas Hässig1, article publié sur Infosperber le 30 septembre 2024, traduit par Bon Pour La Tête
L'entretien du SonntagsBlick avec Colm Kelleher a fait l'effet d'une bombe. Le président de l'UBS, c'est-à-dire le capitaine de la toute-puissante banque suisse, fait pour la première fois des déclarations explosives. Il déclare que le gendarme bancaire de la Suisse, la Finma, a complètement échoué dans l'affaire Credit Suisse.
«Si j'avais reçu de telles avertissements de l'autorité de surveillance bancaire chez Morgan Stanley ou UBS, j'aurais dit: les gars, nous avons un énorme problème», affirme Kelleher au cours de l'entretien. «Le fait que le Credit Suisse ait reçu ces signaux et n'ait rien fait, ou trop peu, est inconcevable».
Cette déclaration contient tout ce qu'il faut savoir sur le fiasco du CS qui, au printemps de l'année dernière, avait conduit toute la Suisse au bord du volcan. La Finma et sa direction avaient laissé passer magouilles et malversations, même les plus grossières, sans inquiéter les maîtres de l'univers du CS accros aux bonus. Ces derniers maquillaient les comptes. La Finma le savait, mais ce sont les Etats-Unis qui s'en sont chargés.
Ils s'octroyaient des bonus de plusieurs milliards sans jamais faire gagner à la banque l'argent correspondant. La Finma a donné sa bénédiction.
Leurs subordonnés ont porté préjudice au Mozambique, pays pauvre en ressources, ont blanchi l'argent de la drogue de la mafia bulgare et ont pris des risques à hauteur de 10 milliards avec un Sud-Coréen au casier judiciaire chargé.
La Finma a réagi mollement. Tout comme dans le fiasco Greensill, avec lequel le CS a mis en jeu sa réputation auprès des plus riches parmi ses clients principaux.
La Finma n'est pas responsable de la plus grande faillite de tous les temps d'une entreprise suisse. Mais elle aurait pu finalement éviter la solution d'urgence nécessaire. C'est ce qui ressort des déclarations de Colm Kelleher. En tant que président du conseil d'administration de l'entreprise qui a repris le CS, celui-ci a accès à tous les e-mails, lettres et autres secrets.
«Depuis 2015, il était évident pour moi que le Credit Suisse ne serait plus viable en tant qu'entreprise indépendante», explique Kelleher au SonntagsBlick. «Son avenir résidait alors à mes yeux dans une fusion avec une autre banque. A partir d'octobre 2022, son avenir ne consistait plus, de mon point de vue, qu'en un sauvetage d'urgence».
Puis il ajoute: «Je ne comprends donc pas pourquoi on a attendu huit ans alors que les signes avant-coureurs étaient là dès 2015». Le président de l'UBS souligne surtout qu'il était «en premier lieu de la responsabilité du conseil d'administration et de la direction du CS» de «redresser radicalement la barre».
Mais ce qui est nouveau – et détonant – c'est la critique sans équivoque du topshot de Wall Street, qui commande en dernier ressort l'UBS depuis deux ans et demi, à l'encontre de la surveillance suisse.
Pendant que celle-ci écrivait des lettres d'avertissement, Kelleher se préparait à l'urgence. «Je suis arrivé à l'UBS en mars 2022. La première chose que j'ai faite a été de constituer un groupe de travail pour se préparer au cas du CS». Selon lui, il ne s'agissait pas de l'affaire du siècle. «Nous étions vraiment inquiets que quelque chose puisse arriver». «Alors, si nous étions inquiets, pourquoi pas d'autres? Une chute incontrôlée du CS aurait également coûté beaucoup d'argent à l'UBS».
Pourquoi personne d'autre ne s'est inquiété? Telle est la question au cœur du drame.
Personne d'autre, et surtout pas la Finma, dont les effectifs ont doublé depuis la grande crise de l'UBS en 2008, passant de 300 à 600 personnes. Pourquoi ne s'est-elle pas vraiment inquiétée du CS, et à temps? Son «arsenal» s'est développé au cours des années précédant la catastrophe du CS, avec Finig, Finfrag, Fidleg et toutes les innombrables nouvelles lois et réglementations.
«La Finma dit qu'elle n'avait pas les compétences légales pour sévir», rétorquent les enquêteurs du SonntagsBlick. Ce à quoi Kelleher répond: «D'autres autorités de surveillance m'ont dit par le passé: Colm, si tu ne mets pas de l'ordre ici, tu auras des problèmes. C'est ce que font les régulateurs».
Pas la Finma. Elle a écrit des lettres, les unes après les autres.
Et le 19 mars 2023, lorsque la banque Escher a disparu de la scène après 167 ans d'existence, l'autorité de surveillance bancaire a supprimé, sans crier gare, 17 milliards de dollars d'obligations convertibles. Sinon, l'UBS n'aurait pas pu réaliser l'opération comme elle le souhaitait, a déclaré Kelleher dans une précédente interview avec la NZZ.
Selon l'issue des procédures judiciaires en cours dans le monde entier, les 17 milliards de dollars pourraient encore conduire à une créance de plusieurs milliards contre la Suisse. Au final, Berne devrait payer - avec les économies de ses citoyens.
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