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Analyse

Analyse / Derrière le blabla habituel de l’UDC...

Chantal Tauxe

10 septembre 2020

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C'est un paradoxe des votations qui portent sur nos relations avec l'Union européenne, l'UDC nous propose de renverser la table, sans nous éclairer le moins du monde sur les conséquences de ce choix. Analyse de quelques uns de ses arguments...



Le 27 septembre, l’UDC nous propose une énième initiative mariant deux de ses obsessions: limiter l’immigration et couper les ponts avec l’Union européenne. La votation est abordée comme un remake de sa victoire de 1992 contre l’Espace économique européen. On nous dit que «l’UDC est seule contre tous», dans le genre Calimero aux côtés duquel il faudrait se ranger. Peut-être convient-il de revoir un peu le vocabulaire et l’analyse. Après tout, l'unanimité des prises de position contre le texte de l'UDC de la part notamment des milieux économiques, syndicaux, académiques, de la recherche, ou encore des cantons, signale, par delà toute considération politique, la vacuité  et l'irréalisme de la proposition. 


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En général, lorsqu’une initiative est soumise au jugement du peuple suisse, il appartient aux initiants de prouver que leur idée tient la route, et qu’il vaut la peine de tout renverser. Or, chaque fois que nous votons sur une problématique européenne, ce sont les partisans des accords bilatéraux qui sont acculés à défendre la situation actuelle, alors que les auteurs de l’initiative sont traités comme de doux contestataires, dont les agissements seraient sans conséquences.

Par exemple, l’UDC ne nous dit pas comment elle entend que le gouvernement agisse diplomatiquement avec nos partenaires européens. Bien que disposant de deux élus au Conseil fédéral, elle s’est bien gardée de revendiquer la direction du Département fédéral des affaires étrangères, lors des récentes rocades. Pourtant, en cas de oui le 27 septembre, ne vaudrait-il pas mieux que Guy Parmelin ou Ueli Maurer aillent «renégocier» avec l’Union européenne, puisque leur parti pense que ce serait tellement simple et facile?

L’UDC ne nous indique pas non plus quel solde migratoire serait acceptable pour elle, ni quel taux de croissance supérieur ou taux de chômage inférieur aux actuels nous pourrions espérer en cas de oui.

Croissance en berne

Dans leur argumentaire, les partisans de l’initiative dite «de limitation» minimisent les conséquences de la résiliation des accords bilatéraux, liés par la clause guillotine. Ils avancent que «la catastrophe prévue n’a pas eu lieu» après le fameux non à l’EEE de 1992. Ce faisant, ils omettent de préciser que:

1. les années qui suivirent la croissance suisse fut en berne, et qu’elle est repartie à la hausse grâce à l’entrée en vigueur des accords bilatéraux;

2. les autres pays de taille similaire à la nôtre englobés dans l’EEE (par exemple l’Autriche) ont connu une croissance supérieure;

3. l’écart de croissance entre eux et nous ne s’est jamais comblé.

Ils font comme si le Conseil fédéral n’avait pas agi et signé, après des négociations difficiles, deux paquets d’accords bilatéraux avec l’Union européenne, qui nous ont permis grosso modo d’obtenir les mêmes avantages que ceux promis par l’EEE.

Accord de libre-échange insuffisant

Visant la suppression de la libre-circulation des personnes (LCP) avec l’UE, les partisans du texte de l’UDC vont jusqu’à prétendre que la Suisse peut se passer des autres accords bilatéraux, dont la valeur pour les entreprises serait surestimée. Là encore, leur trou de mémoire est béant. La Suisse a vécu dans les années 1990 sans accords bilatéraux avec l’UE, sous le toit du seul accord de libre-échange signé en 1972 avec les Communautés européennes (et que l’UDC cite aussi beaucoup). Mais la situation a été jugée insatisfaisante par les milieux économiques, car depuis 1972, les flux économiques se sont beaucoup modifiés. Les accords bilatéraux ont été voulus par la Suisse et négociés pour nous mettre sur un pied d’égalité avec nos concurrents européens. Ils sont le plan B, imaginé après le refus de l'EEE. 

S'infliger une double peine?

Les partisans de l’initiative ne prennent pas non plus en compte les chaînes de valeur qui se sont créées au sein du marché européen, c’est-à-dire la part et le rôle des sous-traitants. Une automobile allemande comprend des pièces usinées en Italie, en Suisse,... et dans cette chaîne, il est crucial que les produits puissent passer les frontières sans obstacles. Sinon, l’entreprise en bout de chaîne se choisira d’autres sous-traitants. L’industrie suisse d’exportation subit déjà le poids du franc fort, pas sûr qu’il soit malin de lui infliger une «double peine» en faisant sauter l’accord sur la reconnaissance mutuelle des produits et en lui infligeant des complications et de la paperasserie supplémentaire.

Un des gros problèmes des partisans du texte de l’UDC est que la Suisse jouit en comparaison internationale d’une prospérité inouïe (en tout cas jusqu’à la pandémie du COVID19). Pourquoi changer les paramètres d’une économie qui gagne, placée dans le peloton des nations les plus innovantes?

Les initiants nous racontent donc que cette prospérité n’est pas partagée par tous, que la libre-circulation des personnes ne bénéficie pas aux catégories les plus précaires de la population. Il est vrai que la croissance du PIB par habitant n’est pas au mieux de sa forme depuis 2007, mais cela est dû aux effets de la crise financière de 2008 pas à la LCP ou à l’UE.

Surtout, si l’UDC veut se focaliser sur le pouvoir d’achat des plus faibles, beaucoup d’autres leviers existent, plus efficaces, que le bouleversement des conditions-cadre qui nous lient à nos principaux partenaires commerciaux. On pourrait agir sur les primes d’assurance-maladie, la politique salariale, la fiscalité,…  Autant de domaines où le premier parti de Suisse se distingue par son refus de toute mesure sociale.

La neutralité économique? Du vent

Pour convaincre, nos isolationnistes essayent également d’élargir la focale et de nous abstraire d’un continent dont nous sommes le centre géographique: la Suisse devrait, selon eux, privilégier le multilatéralisme et viser la neutralité économique. Ils font semblant d’ignorer que le système multilatéral est en panne, grippé par un Donald Trump qu’ils trouvent par ailleurs formidable. Il convient de leur rappeler que même quand le système multilatéral fonctionnait bien, dans les années qui ont suivi la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994, la Suisse a éprouvé le besoin d’avoir des accords bilatéraux privilégiés avec l’UE.

Quant à la neutralité économique, ça n’existe pas, ça n’a jamais existé, même pendant les guerres (chaudes ou froides) où la Suisse la proclamait haut et fort. Au surplus, cette posture fait fi de toute préoccupation éthique (ce qui compterait, c’est de commercer et pour le reste, on fermerait les yeux), une posture qui ne cadre guère avec notre rôle traditionnel de garant du droit humanitaire.

Dans le déboulonnage de l’UE, certains partisans de l’initiative de l’UDC enjoignent la Confédération de prendre ses distances avec une Union sous la coupe du couple franco-allemand. D’abord, il ne faut pas confondre pouvoir d'impulsion du couple franco-allemand avec domination. Les décisions sur le récent plan de relance européen montrent que parmi les 27, chaque pays compte et possède une sorte de droit de veto. Une UE où seuls les Allemands et les Français dirigeraient ne connaîtrait pas les débats et les tensions actuelles. Ces tensions démontrent a contrario que, malgré toutes les critiques, l'UE est un ensemble démocratique où l'on débat des solutions et où on fait des compromis. Enfin, toute notre histoire a été influencée par celle de nos deux plus puissants voisins. Imaginer réduire leur influence sur notre destin national est aussi irréaliste que présomptueux.

Fausse histoire

Derrière ces arguments qui tournent en boucle, il n’y a aucune alternative crédible.

L’UDC isolée nous ressasse toujours la même fausse histoire, celle d’un pays envahi et menacé, alors que notre paix sociale, notre stabilité politique et notre prospérité sont enviées. 

Elle se veut le parti de l’économie, mais l’économie combat de toutes ses forces son initiative.

Elle prétend défendre les travailleurs, mais elle ne vote jamais pour de meilleurs contrôles des abus.

Elle prétend défendre les chômeurs, mais elle fait tout pour réduire l’aide sociale.

Elle prétend vouloir protéger notre patrimoine naturel, mais elle réfute toute politique contre les effets du réchauffement climatique.

Elle prétend que l’on pourra renégocier sans soucis, alors que la puissante Grande-Bretagne avec des revendications du même ordre n’a encore rien obtenu d’avantageux.

Elle diabolise l'UE, alors qu'il s'agit de notre meilleur rempart contre l'arbitraire des Chinois ou des Américains. 

Elle adopte une posture de pseudo défense de notre indépendance, alors que son inspirateur Christoph Blocher vise avant tout un affaiblissement de l’Etat, quel qu’il soit, pour mener ses affaires à sa guise, et engranger un maximum de profits.

Avec son initiative dite de limitation, l’UDC ne nous offre aucune perspective autre que celle fumeuse des Brexiteurs, qui promettaient de «reprendre le contrôle» et qui depuis quatre ans n’ont repris le contrôle de rien du tout et n’ont su semer qu’une déconcertante incertitude. Désormais, plus de 57% des Britanniques indiquent vouloir rester dans l’Union européenne…

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

4 Commentaires

@Lagom 10.09.2020 | 10h54

«Madame Martullo-Blocher est parfaitement du même avis que l'auteure de l'article, elle ne veut pas abolir la libre circulation, pour maintenir la pression sur les salaires, elle est cheffe d'Entreprise. l'UDC a lancé cette initiative pour satisfaire la "chair à canon" du parti, car ce parti des milliardaires a failli à sa mission, et à dessein d'ailleurs, quand il n'a pas lancé un référendum en 2017 contre la loi d'application scandaleuse de l’initiative contre l'immigration de masse de février 2014. La concurrence de la main d'oeuvre locale est un "truc" de la droite que la gauche met en oeuvre stupidement partout. Georges Marchais était conscient de ce fait, et il était contre l'ouverture du marché français à la main-d'oeuvre européenne.

Quand elle a lancé cette initiative en 2018, Madame Blocher avait attaqué frontalement les mesures d'accompagnement qui protègent un peu les travailleurs, pour ne donner aucune chance à l'initiative. La gauche et la droite vont boire le champagne le 27 septembre chaque parti de son côté, seul le peuple ordinaire sera vaincu pour différentes raisons plus ordurières les unes que les autres.

Hier sur Infrarouge la Conseillère fédérale la plus appréciée s'est montrée d'une incroyable froideur. Quand elle parlait je l'imaginais marchant sur les têtes des chômeurs par prêter au secours du monstre, de l'UE. 11,2% de chômage à Genève ne fait même pas sourciller les politiques et la politique ultra-libéral. A part les métiers de journalistes et d'avocat qui nécessitent des connaissances très spécifiques, chaque emploi dans le secteur privé sera en question pour savoir si l'un des 20 millions de chômeurs européens ne pourrait pas l'occuper.»


@Enrique 11.09.2020 | 20h47

«Avec le semblant de "retrait" de Christoph Blocher, j'espérais (bien sottement, je l'admets) que nous allions enfin quelque peu refermer la page de pratiquement 30 ans d'obscurantisme politique, pétri d'arguments mensongers, de discrimination (voire d'ostracisation) des minorités, de xénophobie, de populisme crasse, d'homophobie, d'initiatives toutes plus fallacieuses et inutiles les unes que les autres, et j'en passe et des meilleures.

Il n'en est rien ! L'UDC nous défèque un mauvais remake du, oh combien déjà mauvais, film mettant en scène Jean-Marie et Marine Le Pen. Personnellement, cela me les BRISE MENU de penser que l'on va se taper cette guignolade politique d'extrême-droite pendant encore plusieurs décennies.

Le pire dans cette histoire ? Aucun intérêt, aucun bénéfice, nichts, nada. De la pure poudre aux yeux à l'attention des ignares qui se laissent encore berner par le concept, pourtant bien connu, du "keep it simple, stupid". Au lieu de faire intelligemment le constat de sa propre médiocrité, il est tellement plus simple de rejeter la faute sur l'autre, "l'étranger", n'est-ce pas ?

Et en arrière-plan ? C'est aux autres de gérer les conséquences dramatiques et de corriger les enfantillages de l'UDC qui, à chaque fois, se défile allègrement. Comme s'il n'y avait rien de mieux, ou de plus urgent, à faire.

Formidable, une digne représentation de l'humanité : pour 9 qui tirent la corde dans le même sens, on trouvera toujours un minable qui la tirera dans l'autre afin de servir ses propres intérêts, voire son ego dans le cas de ce cher parti démocratique "du centre".»


@hermes 13.09.2020 | 18h51

«Avant de décéder, mon père m'a dit: "Ecoute fiston, chaque fois que l'UDC te proposera de voter OUI, vote NON, car derrière chacune de ses positions se cache une entourloupe". Merci à Mme Tauxe d'avoir si bien illustré les propos de mon père à la fin de son article.
Combien d'années faudra-t-il encore pour que les brebis égarées qui suivent l'UDC réalisent qu'elle est pilotée par une droite milliardaire qui déteste l'UE qu'elle ne trouve pas assez libérale, qui rêve d'une Amérique à la Trump et qui se moque éperdument de la souveraineté réelle de notre pays et de la défense des salariés? Combien d'années leur faudra-t-il encore pour comprendre que l'exaltation de notre nationalisme cache en fait une détestation des autres peuples qu'elle pratique pour fidéliser tous les xénophobes du pays et pour éviter notre rapprochement à l'UE ?»


@bonpourmoi 02.03.2021 | 12h33

«Eh bien franchement je suis retraitée et pour tout vous dire cela bientôt 40 ans que je votais socialiste..eh ben zut..!
Cette année 2020 m'a fait changé d'avis, tellement déçue...L'UDC n'est pas pire...Et c'est la 1ere fois que je pense cela...»