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Lu ailleurs

Lu ailleurs / Quand les routes de la mondialisation sont menacées


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L’hebdomadaire «Marianne» publie une cartographie des principaux canaux et couloirs maritimes, naturels ou artificiels, devenus les verrous de la mondialisation. Piraterie moderne, conflits entre Etats ou encore dégâts dus au changement climatique les rendent aujourd’hui vulnérables, au risque de paralyser les économies.



Commençons par le plus proche de nous, le détroit des Dardanelles. Il relie la mer Noire à la mer Egée, et donc à la Méditerranée; un point chaud dans le contexte de l’invasion russe en Ukraine. En 1936, la Convention de Montreux a accordé à la Turquie la maîtrise du trafic sur le détroit. En vertu de cette Convention, le président Erdogan a bloqué toute circulation, y compris celle des navires de guerre, russes compris. Cette position géostratégique explique en partie le rôle de leader diplomatique de la Turquie, qui a conservé ses relations commerciales avec la Russie, dans la perspective d’une résolution du conflit.

Le canal de Suez, qui relie la Méditerranée à la mer Rouge, est lui considéré comme «le pouls de l’économie mondialisée». Cette route maritime constitue un raccourci remarquable puisqu’il dispense de contourner tout le continent africain. On se souvient du chaos provoqué dans le commerce mondial lorsqu’un navire s’est retrouvé bloqué dans le canal, en mars 2021, et des efforts considérables déployés pour l’en dégager et rouvrir la route. Cet incident a coûté entre 6 et 10 milliards de dollars par jour...

Marianne relève que le canal de Suez voit passer 10% du trafic maritime d’hydrocarbures, 20% du volume mondial des conteneurs et 10% du commerce maritime total. Mais il est aujourd’hui desservi par sa situation géographique. A l’instar du détroit de Bab El-Mandel (voir plus bas), Suez est la proie d’attaques des houthis yéménites. Le trafic est perturbé, la circulation ralentit; plusieurs multinationales ont choisi de ne plus y faire passer leurs navires.

Encore plus vulnérable au conflit yéménite, le détroit de Bab El-Mandel, «la porte des pleurs» en arabe. Situé au sud-ouest de la péninsule arabique, il sépare le golfe d’Aden de la mer Rouge. Il s’agit d’une des zones les plus militarisées au monde. Les Français (à Djibouti notamment), les Américains, les Japonais, les Italiens et les Chinois ont tenté de mettre un frein aux attaques de pirates venus de Somalie. Car ce détroit est crucial pour le commerce du pétrole: il représente 6,5 millions de barils quotidiens et 40% des échanges. La guerre civile au Yémen menace aujourd’hui grandement ce verrou de la mondialisation. «Les milices rebelles houthis au Yémen (...) alliées de l’Iran, ont récemment attaqué des navires, forçant plusieurs bâtiments à contourner cette zone et à emprunter le cap de Bonne-Espérance (à l’extreme sud de l’Afrique, ndlr)». Marianne ajoute: «les surcoûts par bateau d’un tel changement d’itinéraire oscillent entre 350’000 et 1 million d’euros». 

On pourrait imaginer que ce sont les tensions géopolitiques, historiques, entre les Etats-Unis et la Russie, qui menacent de perturber le trafic sur le détroit de Béring. Marianne nous apprend que ce n’est pas si simple. Près du cercle polaire arctique, ce détroit permet le passage entre l’extrême nord-est de la Russie, la péninsule Tchouktche, et l’extrême nord-ouest des Etats-Unis, l’Alaska. Il est normalement recouvert de glace une grande partie de l’année... Mais cela semble amené à changer. La glace fond. En 2020, le passage était libre de glace 160 jours par an au maximum. Ce laps de temps progresse désormais de 40 jours par an. Paradoxe de notre économie, la Russie profite de cette catastrophe climatique, ou de cette aubaine, pour accroitre les explorations du sous-sol de la région, qui contiendrait selon les estimations 25% du pétrole et du gaz non découverts. Moscou et Washington augmentent aussi leur présence militaire autour du détroit et avancent leurs bases au-delà du cercle polaire. 

Touché également par les aléas du changement climatique, le canal de Panama, reliant l’Atlantique au Pacifique. Il s’y trouve un lac, le lac Gatun, situé à 26 mètres au-dessus du niveau de la mer, et qui se remplit grâce aux précipitations. La sécheresse de l’année 2023, qui menace de se poursuivre cette année, a poussé les autorités à réduire le trafic sur le canal, à restreindre le transit à une trentaine de navires par jour, et à diminuer le tirant d’eau autorisé. Ces difficultés climatiques, si elles affectent le commerce mondial, en particulier entre la Chine et les Etats-Unis, grèvent aussi le budget de l’Etat panaméen, qui dépend des revenus générés par le trafic. Plus grave, le lac Gatun fournit en eau les habitants de la ville de Panama, soit la moitié de la population du pays.

Ce bref tour d’horizon est l’occasion de souligner que les guerres comme les effets du changement climatique ne sont en réalité jamais loin de nous. Car on n’échappe pas à la mondialisation des échanges, de même qu'à la mondialisation des catastrophes. Même en s’abstenant de commander sur Amazon ou sur les plateformes chinoises, les perturbations des couloirs maritimes peuvent nous affecter au quotidien: rupture d'approvisionnement en essence, rayons vides au supermarché, commandes de meubles, d’électronique ou d’automobiles retardées par manque de pièces ou de matières premières, hausse des prix des produits importés pour compenser les pertes... Tout est lié et relié.


Lire l'article original dans l'édition du jeudi 4 janvier de Marianne.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Chan clear 05.01.2024 | 09h37

«Très intéressant votre article, merci ! Les navires de marchandises sont certainement mieux adaptés à contrer des attaques de pirates des mers. Lors d’un convoyage de voilier ( 12 Mt) entre la Thaïlande et le Sri Lanka, nous avons été accosté au large de Sumatra par des pirates pêcheurs en longues pirogues à moteur… ça commence par vouloir nous vendre du poisson puis aimeraient monter à bord. Grâce à l’ingéniosité de notre skipper et notre surnombre ( 4) ils n’ont pris que les serviettes qui séchaient et avaient l’air contrarié…..en quittant les flancs du bâteau. C’était il y a 30 ans déjà»