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Lu ailleurs

Lu ailleurs / Les premières représentations du Conseil fédéral


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Les lithographies du gouvernement en 1848 visent à montrer que le pouvoir est désormais collégial. Il n’est plus personnifié.




Un article d'Olivier Lamon, de l'Université de Neuchâtel,

paru dans le mensuel romand d'histoire et d'archéologie Passé simple 


La guerre civile du Sonderbund en 1847 marque la fin des bouleversements politiques dans les cantons qui caractérisent les années 1830 et le début des années 1840. La Constitution du 12 septembre 1848 établit les principes de l’Etat fédéral suisse où la personnalisation n’a guère de place. Elle répartit les compétences entre Berne et les cantons. Elle instaure le bicaméralisme du parlement suisse. Et surtout elle établit le Conseil fédéral avec un fonctionnement collégial. L’autorité directoriale et exécutive supérieure de la Confédération est confiée à sept membres élus pour trois ans par l’Assemblée fédérale. Sont nommés en son sein, pour un an, un président et un vice-président de la Confédération. Reste à représenter cette nouvelle forme de gouvernement.

Le premier Conseil fédéral apparaît sur une lithographie publiée en 1848. Il est composé uniquement de radicaux. Vaincus lors de la guerre du Sonderbund, les conservateurs en sont exclus. Représentés en buste, de face ou de trois quarts, regardant ou non le public, les sept conseillers fédéraux sont agencés comme flottant dans l’air. Ils forment un ensemble sobre. Les portraits de groupes existent depuis longtemps, mais ils portent des messages différents. Nés aux Pays-Bas au XVIIe siècle, ils représentent d’abord des organisations caritatives, des confréries ou des gouvernements municipaux. Par leur mise en scène, ils visent surtout à montrer par l’image le dévouement civique et la réussite personnelle des figurants. La Ronde de nuit de Rembrandt, peinte en 1642, témoigne de cet usage.

Le régime helvétique de 1848 renoue avec une ancienne stratégie visuelle, mais l’investit d’un sens nouveau. Dans ce cas, cette esthétique sert à rompre avec le pouvoir personnel pour mettre en avant la collégialité. Les conseillers fédéraux apparaissent sur le même plan sans qu’aucune prééminence ne les distingue significativement. La composition de la lithographie suggère que tous sont égaux en droit, y compris le président, qui ne dirige que formellement les travaux du gouvernement.

Mais à y regarder de plus près, le premier président de la Confédération, Jonas Furrer, se démarque un peu. Il occupe la position centrale et il est désigné par le chiffre un. La légende spécifie en outre sa fonction présidentielle, tout comme elle précise le département de l’administration attribué à chaque conseiller fédéral. Toutefois, cette légende vise moins à mettre en lumière l’un des membres du collège qu’à identifier les sept sages.

En cette même année 1848, la France connaît une figuration très proche. Une lithographie de Jacques-François Llanta illustre aussi bien la collégialité que la «désincorporation» du pouvoir. Le texte se contente d’énumérer les noms des onze membres du gouvernement provisoire de la IIe République. Malgré la diversité des contextes, les deux portraits de groupes témoignent de la formation d’une esthétique spécifique aux régimes nés des révolutions du milieu du siècle.

Les apports du daguerréotype

Mis au point par Louis Daguerre en 1839, le daguerréotype arrive très vite en Suisse. Photographe ambulant originaire de Pologne, Jean de Humnicki ouvre ainsi dès 1841 un atelier à Berne spécialisé dans les portraits d’hommes politiques. Cette concomitance entre le développement du daguerréotype et l’arrivée au pouvoir d’un nouveau personnel politique issu des révolutions démocratiques est décisive pour deux raisons.

Premièrement, les lithographes peuvent dorénavant s’appuyer sur des photographies pour réaliser des portraits plus ressemblants. À cet égard, la lithographie française exécutée par Llanta indique que les portraits ont été lithographiés d’après des daguerréotypes «pris sur nature». Les portraits individuels des conseillers fédéraux sont également réalisés à partir de photographies.

Deuxièmement, si le daguerréotype produit une image unique sur une plaque métallique et ne se prête guère à la reproduction, la lithographie permet une large diffusion des portraits des hommes politiques dans l’espace public.

Les premières représentations du Conseil fédéral, dont il existe plusieurs variantes, sont ainsi de véritables outils de communication. Les portraits des membres du collège visent à faire connaître à la population helvétique la composition de son gouvernement. Distribuées largement dans l’ensemble des cantons de l’État fédéral, ces images de groupes contribuent aussi à légitimer le nouvel exécutif ainsi qu’à faire adhérer au principe de collégialité, l’un des fondements du nouvel ordre institué par les radicaux. Cette communication entend contribuer à panser les plaies béantes de la guerre du Sonderbund. Dans cette situation, il est notable que l’obédience des conseillers fédéraux n’est jamais indiquée dans les légendes. Pas plus qu’elle n’apparaît au XXIe siècle dans les photographies du Conseil fédéral réalisées annuellement par la Chancellerie fédérale. Héritières de la communication développée en 1848 par le jeune État fédéral. 


Pour en savoir davantage:

Gilles Bataillon, « Claude Lefort, pratique et pensée de la désincorporation », Raisons politiques, 56, n° 4, 2014, p. 69-85.

1848: le carrefour suisse. Le pouvoir des images, sous la direction de Philippe Kaenel, Lausanne, 1998.

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