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Lu ailleurs

Lu ailleurs / En Chine, Xi Jinping lance «l’opération assiette vide»

Marie Céhère

20 août 2020

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La dernière trouvaille des dirigeants de Pékin: s’immiscer jusque dans les assiettes. C’est ce que relate un article du «Guardian». Alors que l’économie du pays accuse le coup de la crise du Covid-19, le Président Xi pointe du doigt le gaspillage alimentaire et compte inculquer l’austérité et la modération aux amateurs de gastronomie qui auraient les yeux plus grands que le ventre.



Le «mukbang», habitude venue de Corée consistant à se filmer en train de se gaver de nourriture, vit peut-être ses derniers instants en Chine. Sur les plateformes numériques Douyin et Kuaishou, les vidéos de ce genre sont légion, et correspondent à une tradition fortement ancrée dans la culture chinoise, où l’abondance de plats et la surconsommation alimentaire sont socialement valorisées. 

La tradition chinoise exige qu’à table soient servis autant de plats qu’il y a d’invités, plus un. Il est d’usage, par politesse, de laisser à la fin du repas de la nourriture dans son assiette, pour signifier à son hôte que l’on a mangé à sa faim. Au restaurant, il est très mal vu, voire défendu, de commander un plat pour deux ou une demi-portion. 

La Chine a connu des famines dévastatrices à répétition jusqu’en 1976, dont la «grande famine» de 1958 à 1961 qui aurait causé la mort de 36 millions de personnes. Son décollage économique a entraîné une frénésie de surconsommation, en particulier alimentaire. L’Académie des sciences agricoles chinoise estime aujourd'hui à 35 millions de tonnes la quantité de denrées gaspillées chaque année, pour 1,4 milliards d’habitants. En comparaison et en proportion, ce n’est pas vertigineux. La France, et ses 67 millions d’habitants, gaspille 10 millions de tonnes de produits par an, et la Suisse, 2,8 millions de tonnes par an, suivant les chiffres de l’Office fédéral de l’environnement. 


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Mais la situation est assez sérieuse pour que le Président publie lui-même une «instruction», le 11 août dernier, enjoignant ses compatriotes à plus de modération. «C’est le gaspillage qui est honteux, la sobriété, elle, est honorable» a-t-il affirmé, voulant manifestement impulser un changement dans les mentalités. 

Selon le texte rapporté par l’agence officielle Xinhua, Xi Jinping a jugé bon de rappeler que toute nourriture arrive dans les assiettes au prix d’un dur travail, et que la crise du Covid-19 devait être considérée comme un signal d’alarme: la sécurité alimentaire du pays est cruciale. D’autant plus que la Chine est en mauvais termes avec la communauté internationale et en guerre commerciale ouverte avec les Etats-Unis, ce qui accentue la pression sur son économie. Entre 20 et 30% des céréales consommées en Chine sont importées. 

A Wuhan, une association de restaurateurs a lancé l’opération «N-1»: un plat par convive, moins un, pour tenter de renverser la tradition. Dans d’autres grandes villes, les menus des restaurants s’adaptent déjà, et proposent des portions réduites ou des plats à partager. 

Mais le gouvernement chinois compte probablement sur des mesures plus coercitives pour assurer au pays sa sécurité alimentaire: sur les réseaux sociaux, les comptes d’internautes postant des photos ou des vidéos d’eux en pleine orgie de nourriture seront immédiatement fermés.

Si les raisons d’une telle campagne sont légitimes, les moyens sont discutés. Des internautes ont protesté, suite à la publication d’articles sur le sujet, sur le réseau social national Weibo. Certains pointent du doigt un «deux poids-deux mesures»: «Ne peut-on pas commencer par limiter la quantité de nourriture des banquets officiels?», «Cette mesure paraît concerner la classe populaire, mais celle-ci fait déjà preuve d’austérité.» Il est bon, en effet, de rappeler que les chiffres cités plus haut sont une moyenne, et ne représentent sûrement pas les habitudes des classes défavorisées. D’autres dénoncent: «Alors comme ça, même le nombre de plats que l’on met sur la table fera l’objet d’un contrôle?!» 

La Chine nous a tristement habitués à ce genre de pratiques.


L'article du Guardian est à lire ici.

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