Actuel / Vietnam: entre le nord et le sud, la blessure de la mémoire
Entre le nord et le sud du Vietnam, l’histoire est plus compliquée que ne le disent les textes officiels. La commémoration de la victoire du «Vietcong» l’a rappelé. Récit.
Jean-Pierre Pilet
30 avril 1975 – 30 avril 2018, c’était il y a 48 ans, presque deux générations déjà, les chars nord-vietnamiens entraient dans la ville et les derniers rescapés étaient extraits du toit de l’ambassade américaine par une nuée d’hélicoptères. Ambassade rapidement démolie par les services américains pour effacer l’humiliation subie par l’Amérique. Aujourd’hui, c’est la fête de la réunification à Saigon. Fête peut-être, mais pas de joie et rien ne la signale si ce n’est de nombreux drapeaux rouges avec l’étoile jaune suspendus aux fenêtres et une immense estrade montée par des soldats.
Seuls les drapeaux laissent présager une ambiance festive. © 2018 Bon pour la tête. Jean-Pierre Pilet
Un peu avant la tombée de la nuit, une foule presque silencieuse s’installe derrière les bancs de l’estrade dont l’entrée est filtrée par les militaires. Il s’accroupissent derrière, sur le sol, avec leurs nombreux enfants. Des notables en civil défilent sur la scène et prononcent d’interminables discours entrecoupés de quelques danses folkloriques, Pas d’applaudissements, pas de rires, la foule est étrangement passive. La fête se termine vers 21h par un petit feu d’artifice et tout le monde reprend son scooter pour rentrer se coucher.
Non, la fête n’en est pas une. Pourquoi? Les Vietnamiens avaient alors chassé les américains et les «fantoches» comme toute la presse le disait alors.
Pas si simple. En interrogeant des Vietnamiens qui parlent très librement et en lisant les récentes publications, on se rend compte que l’image de la libération était tronquée.
Accroupie sur le sol, la foule est étrangement passive. © 2018 Bon pour la tête. Jean-Pierre Pilet
Après le départ précipité des Français du Nord Vietnam, de très nombreux réfugiés catholiques pour la plupart se sont installées dans le sud où une dictature catholique corrompue s’était installée. Les gens du sud, surtout bouddhistes, ne la supportant pas. Il est rapidement apparu des mouvements insurrectionnels de tous bords: bouddhistes, libéraux, catholiques, communistes. Rapidement, le Nord les a regroupés dans le Viêt-Cong communiste qu’il a structuré en envoyant des cadres et des troupes par la fameuse piste Ho Chi Minh. C’est à cette époque que le gouvernement sud-vietnamien qui perdaient pied a appelé les Américains à la rescousse. Dès lors ceux-ci ne soutiennent plus que la dictature et oublient toutes les autres tendances, livrant ainsi toutes les oppositions aux communistes. Plus d’un million de Sud-Vietnamiens durent, de gré ou de force, intégrer une gigantesque armée encadrée par les Américains. Ces soldats seront plus tard traités de traîtres par le nord, envoyés dans de sinistres camps de «camps de rééducation», leur famille et descendance sont encore discriminés aujourd’hui, s’ils ne se sont pas enfuis ou noyés comme boat people.
Il n’y a pas eu de réconciliation mais une vraie invasion du nord, ce qui se ressent encore aujourd’hui.
Le Viêt-Cong, qui regroupe tous les opposants à la dictature et à l’Amérique, est envoyé en première ligne par le gouvernement du nord. Lors de la très célèbre offensive du «TET», ils seront pratiquement anéantis par les Américains. Débarrassant le Nord Vietnam de toute structure crédible d’opposition au sud.
Dés leur arrivée, les troupes nord vietnamiennes sont très vite suivies de hordes de fonctionnaires qui prennent le pouvoir, ne laissant aucune marge aux gens du sud. Il n’y a donc pas eu de réconciliation mais une vraie invasion du nord, ce qui se ressent encore aujourd’hui. Aucun drapeau du Viêt-Cong lors de la fête, uniquement le drapeau du nord Vietnam. Il se dit qu’en vietnamien on écrit «Ho Chi Minh-Ville» mais que l’on prononce «Saïgon»
Cette immense métropole de 8,5 millions d’habitants étouffe dans ses structures coloniales qui ont peu changé, s’agrandissant de façon anarchique. Doublant sa population en vingt ans tandis que que la population vietnamienne passe de 28 millions à 87 millions en 60 ans. Pas de transports publics, si ce n’est quelques bus, une ligne de métro en construction depuis plus de cinq ans et qui ne desservira que les quartiers riches et seulement deux des 19 arrondissements de la ville. Malgré ces problèmes et grâce à l’extraordinaire esprit d’entreprise vietnamien, les quartiers de bidonvilles diminuent cependant. La circulation, essentiellement des deux-roues, se déroule étonnamment bien et les embouteillages n’ont pas l’envergure de ceux de Bangkok et des grandes villes chinoises. Incommensurable ressort d’un peuple.
Le deux-roues rencontre un franc succès sur cette partie du globe. © 2018 Bon pour la tête. Jean-Pierre Pilet
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