Actuel / Une grand-messe clérico-nataliste à Budapest
Le 3e «Budapest demographic summit» s’est déroulé jeudi et vendredi dans la capitale de la Hongrie, réunissant de nombreux représentants étrangers autour d’une colle: comment redresser la natalité en Europe centrale?
Article signé Corentin Léotard, initialement publié dans Le Courrier d'Europe Centrale
Les chefs religieux des principales Églises du pays sont montés sur scène pour bénir la grande conférence qui s’ouvrait jeudi matin, dans le cadre somptueux du Bazár, sous le château de Buda. Pour cette troisième édition de ce sommet sur la démographie, après celles de 2015 et 2017, le ministère des Ressources humaines et la secrétaire d’État à la famille, Katalin Novák, avaient vu grand, invitant le président serbe Aleksandar Vučić, le premier ministre tchèque Andrej Babiš, le premier ministre slovaque Peter Pellegrini, ou encore l’ancien premier ministre australien Tony Abbott. Sans compter une myriade de ministres et secrétaires d’État aux affaires familiales de pays tels que la Pologne, le Brésil, le Cap Vert et le Bangladesh.
«Je suis venu pour apprendre», a annoncé modestement le président serbe, premier invité à prendre le micro, pour décrire l’état déplorable de la démographie dans son pays. «Il y a une ville de 38'000 habitants qui se trouve à 240 kilomètres d’ici, dans le nord de la Serbie. Chaque année, le pays perd une ville de la taille Kikinda», a argumenté Aleksandar Vučić. «Malgré nos efforts, les résultats ne sont pas visibles. La fécondité est plus forte dans les régions pauvres, et plus faibles dans les régions les plus riches du pays, dans la région de Belgrade. Est-ce une question d’égoïsme et d’individualisme?» a-t-il interrogé. «Partout où je vais, je vois de plus en plus d’émigration et de moins en moins d’espoir». Et de donner des gages: «Mais nous allons faire tout notre possible pour que plus d’enfants naissent dans nos familles. Et je peux vous garantir que la Serbie est prête à coopérer avec la Hongrie et les autres pays d’Europe centrale car, pour notre bien à tous, Serbes, Tchèques, Hongrois, pour l’avenir de l’Europe centrale et du continent, nous devons apprendre les uns des autres.»
Puis ce fut au tour du chef du gouvernement de Tchéquie, Andrej Babiš, de faire profession de foi: «Moi-même j’ai quatre enfants et ce sont eux qui donnent un sens à ma vie». Andrej Babiš a insisté sur la nécessité de flexibiliser le travail des femmes pour mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, dans un pays où les femmes peuvent prendre jusqu’à quatre années de congé maternité (contre trois en Hongrie).
En troisième invité de luxe, l’ancien premier ministre australien Tony Abbott ne s’est pas montré avare de louanges lui non plus à l’endroit de son hôte, Viktor Orbán: «Le programme pro-famille de la Hongrie est unique au monde. Le gouvernement hongrois a beaucoup de courage d’encourager la population à faire des enfants. Son programme doit servir de modèle aux autres pays qui veulent œuvrer à la survie de leur nation». Dans son intervention placée sous l’angle de la géopolitique, il s’est inquiété du déclin de l’Europe.
Quant à Viktor Orbán, érigé en meneur de ce parterre clérico-conservateur, il a livré un discours attendu, réaffirmant que le redressement démographique passe par la natalité et en aucun cas par l’immigration.
Le «modèle hongrois» marche-t-il?
Reste à savoir si le «modèle hongrois», tant vanté au cours de la conférence, marche vraiment. Le gouvernement Orbán déploie les grands moyens pour tenter d’inverser le déclin démographique de la Hongrie amorcé depuis trente ans, doublant son budget alloué aux politiques familiales. Mais son chef en convient lui-même: «Nous avons beaucoup fait, mais nous n’avons pas encore réussi à enrayer le déclin et les résultats de notre travail ne sont pas encore irréversibles». Un léger rebond de la fécondité a pu être observé en Hongrie ces dernières années (de 1,2 à 1,5 enfants par femmes), mais des démographes se montrent sceptiques quant à un effet significatif des politiques natalistes. Il pourrait s’agir d’un simple effet de rattrapage après les années de crise économique, ou de l’arrivée à l’âge de procréation d’un plus grand nombre de femmes roms, plus fécondes.
En attendant, Viktor Orbán prodigue ses recommandations à ses partenaires: il faut selon lui doper les allocations familiales, les conditionner absolument à l’emploi, et graver les politiques familiales dans le marbre de la constitution pour les protéger des alternances politiques, d’ONG malveillantes… ou de l’Union européenne. Condition sine qua non du succès hongrois selon lui: le Christianisme doit se renforcer dans toute l’Europe «sans quoi la Hongrie restera un ilot solitaire». Comme si la société hongroise n’était pas en voie de sécularisation elle aussi…
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