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Actuel / Une alternance «apaisée» à la tête des Etats africains, mission impossible?


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Le Sénégal connaît à son tour un scénario pathétique, fort répandu sur le continent africain: les chefs d’Etat trahissent leurs concitoyens en recourant à toutes sortes de subterfuges pour justifier leur refus de quitter le pouvoir à la fin de leur mandat, au risque de plonger le pays dans le chaos. Le président sénégalais Macky Sall vient en effet de repouser de six mois des élections agendées au 25 février. Décrédibilisant ainsi encore davantage des processus démocratiques à la peine dans une région gangrénée par des coups d’Etat militaires.



Le plus frappant pourtant, lorsqu’on couvre des élections sur le continent africain, c’est le sens civique très développé des citoyens et des citoyennes, qui ont à cœur de s’acquitter de leur devoir électoral. A chaque élection présidentielle en effet, les gens se déplacent massivement, parcourant parfois des kilomètres pour se rendre dans leur bureau de vote; et attendre durant des heures, en file indienne, sous le soleil ou sous la pluie, de pouvoir glisser leur bulletin de vote dans l’urne. Avec, à chaque fois, l’espoir renouvelé que leur voix sera prise en compte; que le Président ou les députés élus amélioreront leurs conditions de vie, comme ils s’y sont engagés lors de leurs campagnes.

Prédation et désillusion

Las. La trahison intervient souvent dès la fermeture des bureaux de vote et avant la proclamation des résultats. Un trou noir temporel qui peut durer quelques heures ou plusieurs jours, durant lequel toutes sortes de tripatouillages, peu reluisants, sont possibles. Lorsque le nouveau Président entre en fonction, il est encore porté par ses promesses de campagne et l’enthousiasme des foules auxquelles il promet monts et merveilles. Puis, au fur et à mesure que le temps passe, on l’entend moins; les promesses deviennent diffuses, lointaines, non tenues, l’autoritarisme guette. Le pays entre alors dans une nouvelle ère de prédation au sommet de l’Etat, et de profonde désillusion pour les populations. 

Cerise sur le gâteau: en fin de mandat, les Présidents sortants s’accrochent le plus souvent à un pouvoir qu’ils refusent de quitter. C’est alors le début d’une période troublée, émaillée de manifestations au cours desquelles la population crie son ras-le-bol. C’est le scénario que vit actuellement le Sénégal, pourtant présenté comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest. Il y avait pourtant déjà eu des alertes l’année dernière, alors que le président Macky Sall faisait planer le doute sur ses intentions de briguer un troisième mandat, en violation de la Constitution. Histoire de tester ses concitoyens? Au vu de la violence des réactions, le président Macky Sall, forcé et contraint, avait annoncé renoncer; tout en désignant son Premier ministre, issu de son parti, comme son «successeur». Le 3 février dernier, coup de théâtre: il annonçait reporter de 6 mois l’organisation des élections présidentielles.

Coup d'Etat militaire ou constitutionnel?

La population sénégalaise se retrouve donc à son tour prise en otage par les appétits d’un Président pourtant démocratiquement élu, qui, sans état d’âme, rejoint la longue liste des chefs d’Etat ayant foulé aux pieds les institutions de leur propre pays. Dans le contexte ouest-africain où plusieurs pays sont désormais dirigés par des militaires arrivés au pouvoir par des coups d’Etat, ce coup de force de Macky Sall décrédibilise encore davantage les processus démocratiques à la peine dans la sous-région. A quoi bon en effet organiser des élections pour élire un Président qui, in fine, s’accroche au pouvoir grâce à un «coup d’Etat constitutionnel»?

C’est d’ailleurs un reproche adressé à la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et à l’UA (Union africaine): pourquoi ne pas avoir aussitôt condamné l’arrêt brutal du processus électoral au Sénégal, alors que les coups d’Etat militaires survenus au Mali, au Burkina Faso au Niger avaient fait immédiatement l’objet d’une condamnation unanime, assortie de sanctions économiques dévastatrices pour ces pays? Ces trois pays ont d’ailleurs annoncé le 27 janvier dernier vouloir quitter la Cédéao, menaçant ainsi la survie même de l’organisation. Reste que si les putschistes ont bénéficié à leurs débuts d’une forme d’état de grâce, un nombre croissant de leurs compatriotes commence à déchanter. C’est qu’à l’instar des Présidents démocratiquement élus, les militaires semblent eux aussi vouloir s’éterniser au pouvoir. C’est ainsi qu’aujourd’hui comme hier, dans tous les cas de figure, une alternance politique «apaisée» à la tête de l’Etat continue à relever, la plupart du temps, d’une mission impossible.

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