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Actuel / Symphonie en dope majeure

Bon pour la tête

26 novembre 2019

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Depuis quelques années, le monde scientifique entrevoit des liens entre deux domaines a priori très éloignés l’un de l’autre: le dopage et la musique. Le problème, c’est que la nature de ces liens est encore confuse.




Séverine André


Vous connaissez la musique: relaxante, stimulante, entraînante ou réconfortante, elle est la bande son de tous les moments forts de nos existences. Pourtant, de récentes découvertes mettent en perspective des aspects beaucoup plus sombres. Ce serait en fait une vraie saloperie! Tentative d’explication.

Théorie 1: le dopage et la musique seraient une seule et même chose

C’est en tout cas ce que semblent penser les responsables de la Fédération française d’athlétisme qui, en 2016, modifiaient le règlement en vue d’interdire «les aides apportées aux athlètes en compétition que ce soit par l’autorisation de certains matériels, règle F144.2 (b) prohibant radio, lecteur cassette ou CD, téléphone portable ou équipement similaire». A l’origine de cette décision radicale, plusieurs études établissant une corrélation entre la musique et une amélioration des performances sportives de l’ordre de 5 à 7 %. Concrètement, les fréquences sonores agiraient sur le cerveau. Douces, elles favoriseraient l’endurance. Rapides, elles atténueraient la fatigue et développeraient la coordination. En outre, l’écoute de chansons durant l’effort permettrait au corps de moins puiser dans ses réserves énergétiques. La FFA ne peut fermer les yeux sur un scandale d’une telle envergure. Réactive, elle rédige un amendement. Lequel témoigne d’une compétence scientifique accrue, et notamment en matière de technologie audio puisqu’il y est question de «lecteur cassette ou CD». Le fléau des baladeurs et autres walkmans a assez duré ! Le dopage naturel que constitue la musique est banni des manifestations hors stade (soit 10 km, semi, marathon et trail). Des voix critiques s’élèvent, qui mettent en cause le bien-fondé de cette décision. Un journaliste scientifique rappelle, à toutes fins utiles, que les humains n’ont pas attendu le baladeur pour se donner du coeur à l’ouvrage par la musique. Pour étayer son propos, il recourt à deux exemples très pertinents. Les esclaves et leurs «célèbres chants pendant les coups de pioches» et les Sept Nains, bien sûr, qui pour trouver de plus grosses pépites sifflotaient à qui mieux mieux. Mais la décision de la FFA est irrévocable. Les athlètes courront en silence. Et gare à celui qui fredonnerait Eye of the Tiger à l’approche de la ligne d’arrivée: l’exclusion lui pend au nez.

Théorie 2: la musique conduirait au dopage

C’est en gros ce que semble suggérer l’enquête du journaliste de sport François Thomazeau. Son papier, paru cette année dans La Revue Dessinée, a fait l’effet d’une bombe. L’auteur révèle que la moitié des musiciens classiques professionnels auraient recours à des substances considérées comme dopantes. Comme les tireurs à l’arc, les musiciens d’orchestre, solistes et autres chanteurs d’opéra se shooteraient aux bêtabloquants pour canaliser leur stress. C’est à n’y rien comprendre! Nous qui pensions que la musique avait un effet dopant sur les performances! Qu’elle favorisait l’endurance, atténuait la fatigue et améliorait la coordination! Seule hypothèse valable, la musique serait une drogue douce et, à ce titre, elle serait une porte d’entrée toute désignée vers les drogues dures. Prosaïquement, on commence avec le Lac des Cygnes de Tchaïkovski et on finit au propanolol1.

Théorie 3: la musique servirait à dissimuler des affaires de dopage

La rumeur remonte à cet été. Loïc Saulnier, journaliste à France Inter, consacrait une chronique au «premier rap d’une équipe professionnelle de cyclisme», ou «First Ever Pro Cycling Rap», de l’équipe Astana. Le journaliste interprétait cette tentative de créer le buzz comme une manière commode de dissimuler les nombreuses affaires ayant entaché l’image de l’équipe kazakhe. Une théorie fragile, qui ne résiste pas au visionnage du clip. Difficile, partant de tous ces éléments disparates, de tirer des conclusion définitives sur les effets réels de la musique. Sans compter que de nouvelles hypothèses sont formulées chaque jour. Au printemps, le magazine Futura Sciences (24.3) publiait un article traitant de l’effet de la musique sur le fromage. Suivant l’intuition d’un artisan suisse de Berthoud (BE), des chercheurs de la Haute école des arts de Berne aboutissaient à la conclusion que les meules de fromage affinées au hiphop étaient les meilleures. Un mode d’affinage qui, pour l’heure, n’est pas dans le viseur de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires.


1Non, il ne s’agit pas là d’un gaz hilarant. Vous confondez avec le propano-LOL. Le propranolol est un traitement contre l’hypertension que les musiciens utilisent pour limiter les tremblements.


Cet article est tiré du numéro 427 de Vigousse, publié le 22 novembre 2019. 

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Lagom 26.11.2019 | 18h37

«La FFA a dû s'inspirer de Daech qui décapitait les amateurs de pop. La prochaine étape serait de contraindre les sportifs, en courant, à penser en bien de cette Fédération et de ses dirigeants. Nous tutoyons là le summum de la stupidité qui semble gagner du terrain un peu partout. Au moins l'éventuel effet de la musique sur le fromage fait sourire ! La sur-organisation est une condition nécessaire pour soustraire à l'homme sa liberté, et par conséquent à l'asservir. Les sportifs concernaient n'oseront pas faire la grève et refuser cette tyrannie, pour ne pas offusquer peut-être leurs sponsors !»


@mpmerlin 27.11.2019 | 22h00

«Donc tous les étudiants qui bossent en musique dans leur chambre ou avec des écouteurs à la bibliothèque pour s'isoler un peu sont dopés ? Et ont-ils au final, un avantage sur ceux qui aiment travailler en silence ? A-t-on fait une exploration dans d'autres milieux que le sport ?»


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