Actuel / Inquiétante sanction des opinions d’Eric Zemmour
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel français a adressé un avertissement à la chaîne de radio RTL où le polémiste tient une chronique matinale. Ce n’est plus des propos haineux que le CSA veut interdire, mais bien des opinions qui, selon lui, ne peuvent être diffusées sans mise en perspective critique. Passée largement inaperçue, cette décision est inquiétante pour la liberté d’expression
Eric Zemmour vient d’être désavoué par le Conseil supérieur français de l’audiovisuel (CSA) pour l’une de ses chroniques matinales sur la radio RTL. Dans le creux de juillet, l’information est passée quasiment inaperçue. On a peu entendu les défenseurs de la liberté d’expression, et c’est dommage. Car cette «mise en demeure» prononcée par le gendarme de l’audiovisuel de la radio et de la télévision a de quoi faire réagir. Elle est inquiétante.
L’affaire remonte au 2 février dernier. Ce jour-là, l’animateur de la matinale, Yves Calvi, passe le micro à Eric Zemmour pour sa chronique régulière baptisée «On n’est pas forcément d’accord». Ce n’est pas peu dire: le polémiste prend le contre-pied de la quasi-totalité des analyses qu’on pouvait lire à ce moment dans la presse européenne, en saluant la désignation par Donald Trump d’un nouveau juge à la Cour suprême, le réputé ultra-conservateur Neil Gorsuch.
«L’idéologie progressiste née dans les campus californiens»
Cette nomination, prétend Zemmour avec un sens inné de la provocation, va à contre-courant de la tendance qui règne au sein de la Cour depuis les années soixante et qui a conduit les juges à imposer à la société américaine «l’idéologie progressiste née dans les campus californiens». En interdisant toute discrimination entre un Américain et un étranger, un homme et une femme, un hétérosexuel et un homosexuel, les juges «se sont substitués au législateur», ils ont, dit le polémiste, fomenté un «putsch judiciaire». «Cette bataille nous concerne», avertit Zemmour, car en France comme en Europe, les juges sont animés de la même idéologie. La même «machine à désintégrer la nation, la famille, la société» y est à l’œuvre. Résultat? La souveraineté de l’Etat est «en lambeaux», le pouvoir «parti ailleurs».
Tout cela est sans doute un peu trop simple et éminemment discutable, mais la question n’est pas là. Le propos d’Eric Zemmour peut être jugé caricatural, réducteur, tout ce qu’on voudra, mais en quoi ce type d’opinion mériterait-il d’être soustrait aux oreilles du public? Le pouvoir des juges dans les sociétés modernes pose de vraies questions et l’interprétation de la Constitution suscite aux Etats-Unis, y compris parmi les juristes, des débats virulents qui ne s’embarrassent pas toujours de nuances.
Les bonnes et les mauvaises opinions
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel avance que les attaques de Zemmour constituent «un éloge de la discrimination et la critique de toutes les institutions judiciaires qui contribuent à lutter contre celle-ci». Il faut pourtant écouter attentivement ce que dit Zemmour: il s’en prend moins au principe de non-discrimination lui-même qu’à l’interprétation extensive qu’en donnent les juges contre la volonté du pouvoir politique. C’est là le cœur de son propos, et la nuance est importante.
Mais ce qui paraît décisif pour le CSA tient au fait que les propos de Zemmour ont été diffusés sans «aucune contradiction ni mise en perspective à l’antenne». Si l’on comprend bien, de tels propos ne sont pas en soi inadmissibles mais doivent être contrebalancés par une opinion contraire ou une critique sous quelque autre forme que ce soit. Faute de quoi, une chaîne se mettrait en marge de la loi.
On ne rêve pas. Il y a donc, pour le CSA, de bonnes opinions qui peuvent être diffusées librement – et qui, reconnaissons-le, sont déjà très largement répercutées par les médias sans que les diffuseurs prennent beaucoup de peine pour les contrebalancer. Les autres opinions ne sauraient être livrées au public telles quelles. Non pas qu’elles doivent être purement et simplement proscrites parce qu’elles seraient haineuses, xénophobes ou racistes. Elles ne ne sont pas contraires à la loi, elles sont seulement mauvaises. Comme la cigarette, elles doivent donc être accompagnées d’un avertissement rendant le public attentif à leur nocivité.
Une police de la pensée insupportable
Cette conception de la liberté d’expression est débilitante. Il ne s’agit pas ici de défendre le point de vue d’Eric Zemmour, qu’on ne partage pas, en tout cas pas sous cette forme. Mais le CSA a cédé à une de police de la pensée insupportable dans son principe et totalement contreproductive dans ses effets. Quelle meilleure preuve pouvait-on aux offrir à ceux qui dénoncent la pensée unique et le poids du politiquement correct dans les médias ?
Zemmour était sans doute une cible toute désignée. Il a déjà été condamné en justice pour des propos islamophobes. Mais cela ne justifie en rien l’indignation très sélective du CSA, qui n’a par exemple rien trouvé à redire aux propos haineux adressés par Christine Angot à l’adresse de François Fillon durant la campagne, comme l’a relevé le philosophe André Perrin dans un entretien avec Le Figaro.
L’attitude des gardiens de la morale audiovisuelle repose en réalité sur une lecture biaisée de l’Etat de droit et des libertés individuelles. Paradoxalement, c’est dans les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme – cette Cour qu’honnit Zemmour et dont le CSA croit à tort prendre la défense – qu’on en trouve la condamnation la plus cinglante. A propos de la liberté d’expression, les juges de Strasbourg rappellent en effet que celle-ci «ne vaut pas seulement pour les informations ou pour les idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'y a pas de société démocratique.»
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