Actuel / Pourquoi Viktor Orbán gagnera (encore) les élections en 2022
L’union fait la force. C’est ce que semble avoir compris l’opposition au premier ministre hongrois Viktor Orbán, une année avant les élections législatives. A la tête d’une coalition vaste et disparate, le maire de Budapest, l'écologiste de centre-gauche Gergely Karácsony, fait figure de favori pour détrôner le leader illibéral au pouvoir depuis maintenant 11 ans. Mais la route est encore longue et semée d’embûches, pour certaines infranchissables.
Dès l’annonce de la formation de cette coalition d’opposition, en décembre dernier, le scepticisme était de mise, davantage que l’enthousiasme. Le Magyar Hang, hebdomadaire libéral-conservateur, avertissait: ne pas placer dans cette alliance des espoirs trop grands.
Médias indépendants contre football
D’une part, le «système Orbán» ne disparaîtra pas du jour au lendemain en cas de victoire
Le «système Orbán», comme l’appellent les détracteurs de la démocratie illibérale chère au dirigeant, consiste d’abord à placer aux postes-clés de fidèles et vieux amis, qu’un résultat défavorable aux élections législatives ne suffira pas à déboulonner. C'est d'autant plus vrai que, en prévision de la prochaine échéance électorale, le Premier ministre place plusieurs secteurs du pays, comme les universités, la culture ou la recherche, sous le contrôle de fondations affiliés à son parti (Fidesz).
C’est aussi un contrôle de plus en plus drastique des médias. Les récentes fermetures de médias indépendants (on retient récemment le sabordage d'Index, un site d'informations menacé par la prise de contrôle des proches du Premier ministre sur sa rédaction) ont montré que, plus que jamais, les voix d’opposition sont inaudibles. La société hongroise ne vit pas avec des œillères, loin s’en faut, les anglophones notamment ont accès à toutes sortes de sources sur le net, les échanges sur les réseaux sociaux vont bon train, mais même dans la capitale hongroise, comme nous en avions fait l’expérience, il reste difficile, par exemple, de se procurer la presse étrangère. A cela s’ajoute une politique nationaliste, anti-migrants, eurosceptique (on l’a vu avec le départ fracassant du Fidesz du groupe PPE au Parlement européen) et socialement conservatrice: incitations fiscales au mariage et à la natalité, non reconnaissance des couples homosexuels et interdiction d’adopter pour ces derniers, difficultés faites aux personnes transgenres et barrières à l’accès à l’IVG.
Heureusement, les fans de football sont comblés par la construction d’innombrables stades et par la perspective des matches de l'Euro 2021, qui auront lieu, a déjà annoncé le gouvernement, sans limitations du nombre de spectateurs.
D’autre part, le bloc d’opposition à ce «système» reste faible, et ce pour plusieurs raisons. En tête, la toujours grande popularité du Premier ministre, dont le parti détient une majorité des deux tiers au Parlement.
Malgré les récents scandales, qui s’ajoutent à d’autres, plus anciens, d’enrichissement personnel de Viktor Orbán, de ses proches ou de sa famille, sa popularité ne se dément pas.
La crise du coronavirus aurait pu sonner le glas de son règne sans partage sur la Hongrie. Peu préparé à faire face à une telle crise, le système hospitalier hongrois n’a pas tenu le choc. De très rares images (car les journalistes y sont interdits) d’hôpitaux vétustes, mal équipés et submergés de malades ont filtré. Les chiffres sont là: avec près de 300 décès pour 100’000 habitants, la Hongrie détient le triste record européen de la mortalité.
Dans le même temps, le pays de 9 millions d’habitants s’est aussi hissé à la première place européenne en terme de vaccination, avec plus de 40% de sa population vaccinée. Cela grâce aux commandes passées auprès de la Chine et de la Russie, de vaccins non approuvés par l’autorité sanitaire de l’UE, mais qui semblent porter leurs fruits. Viktor Orbán, par ailleurs, n’a pas manqué de se faire photographier aux côtés de la scientifique d’origine hongroise Katalin Kariko, installée aux Etats-Unis depuis les années 1980, à qui le monde doit la découverte et la mise au point des vaccins à ARN messager.
Dilemme et alliances contre-nature
Face à un Premier ministre sortant posant en héros, la marge de manœuvre de l’opposition est limitée. Et plus que jamais, l’unité paraît indispensable.
Gergely Karácsony, maire de Budapest, figure de proue de la gauche écologiste, a annoncé à la mi-mai qu’il prenait part à la primaire destinée à désigner le candidat unique d’opposition à Viktor Orbán.
La primaire, qui se déroulera en septembre et octobre prochains, devra départager Karácsony et quatre autres candidats d’horizons très divers: un conservateur modéré, un libéral, un membre du parti Jobbik, l’ex-extrême-droite dédiabolisée, ainsi que l’épouse de l’ancien dirigeant socialiste Ferenc Gyurcsany. Le seul point commun de toutes ces voix dissidentes? La volonté de remporter l’élection face au Fidesz de Viktor Orbán. Et cette absence d’unité de fond leur est vivement reprochée, notamment par les conservateurs. Comment peut-on imaginer, pointent ces derniers, que Gergely Karácsony, puisqu’il est favori, pourra tenir à lui seul une alliance aussi disparate? Son parti, trop jeune et trop faible en nombre, ne dispose pas des structures nécessaires pour gouverner, poursuivent les partisans du Premier ministre. Le message de l’opposition, au-delà de sa qualité d’opposition, est également peu lisible pour les électeurs. Quelle politique mènera une coalition d’écologistes, d’anciens militants d’extrême-droite, de libéraux et de socialistes?
Le dilemme, pour les élus et les acteurs politiques d’opposition, est insoluble. D’un côté, présenter des candidats en ordre dispersé, et prendre le risque d’un éparpillement des voix; de l’autre, présenter une candidature unique mais à la légitimité fragile, et se voir reprocher leur éclectisme. Le Fidesz et les médias qui y sont affiliés prennent d'ailleurs un plaisir malin à dénoncer l'alliance des écologistes avec un parti (le Jobbik) qui n'a que très récemment rompu avec sa tradition nationaliste et antisémite.
Lors de sa déclaration de candidature, Gergely Karácsony a affirmé vouloir «réunir la Hongrie». Il lance pour cela un mouvement à vocation fédératrice, «Kilencvenkilenc», soit «Quatre-vingt-dix-neuf», pour les 99% de Hongrois dont il entend défendre les intérêts, face aux 1% les plus riches. Un slogan efficace et de bonne volonté, pas très programmatique.
Les prochaines élections législatives hongroises, prévues pour se tenir dans une année, sont selon l’opposition la dernière chance de «stopper la révolution de droite» et ramener in extremis la Hongrie au sein de l’Europe démocratique. Les derniers sondages donnent le Fidesz au coude à coude avec ses opposants, avec une légère percée de ces derniers. Si la stratégie d’union a fonctionné dans la capitale lors du scrutin municipal de 2019, le pays, où la fracture entre villes et campagnes (ou, schématiquement, entre libéraux et conservateurs) est très marquée, est-il prêt à changer de cap?
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