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Actuel / Armes: ce que dit la Constitution américaine et ce qu’on lui fait dire

Denis Masmejan

16 octobre 2017

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«Le deuxième amendement est l’un des piliers de notre Constitution et il doit être protégé», a osé répéter la conseillère de Donald Trump Kellyanne Conway après la fusillade de Las Vegas, la plus meurtrière qu'aient connu les Etats-Unis. Mais ce fameux texte, qui garantit aujourd’hui aux Américains le droit de porter des armes à feu, a longtemps été interprété dans un sens complètement différent. Ce n’est qu’en 2008 que la Cour suprême a tourné le dos à la conception traditionnelle qui ne voyait dans le 2e amendement qu’un reliquat d’une époque lointaine où les Etats de l’Union s’étaient vu reconnaître le droit d’armer leurs citoyens dans un but de défense collective.



La tuerie qui a fait 58 morts et plus de 500 blessés à Las Vegas au début de ce mois a réactivé, sans surprise, le débat sur le port d’armes aux Etats-Unis. On connaît, ou croit connaître, les données du problème. Le droit de disposer d’une arme est réputé cher au cœur de beaucoup d’Américains, qui y voient un symbole de liberté. Ce droit est au surplus protégé par la Constitution, et le puissant lobby des armes, la National Rifle Association (NRA), a l’oreille du camp républicain. Bref, on pense toucher, avec les armes, à la sociologie permanente de l’Amérique.

L’histoire juridique dément cependant les a priori. La Constitution n’évoque pas le droit des individus de porter des armes pour se défendre eux-mêmes, mais seulement pour former une milice destinée à protéger la collectivité. C’est en 2008 seulement que la Cour suprême a érigé le port d’armes en droit individuel d’auto-défense garanti par le 2e amendement de la Constitution. Elle avait dit le contraire en 1939. Entretemps, le lobby des armes s’était pris de passion pour ce 2e amendement et avait fait de son interprétation un enjeu déterminant de son combat.

Une syntaxe déroutante

«Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, il ne saurait être porté atteinte au droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes», dit le 2e amendement («A well regulated Militia, being necessary to the security of a free State, the right of the people to keep and bear Arms, shall not be infringed.»)

La ponctuation est bancale, la syntaxe déroutante et inhabituelle pour un texte juridique. Au lieu d’énoncer clairement une règle et une seule, la phrase commence par une considération générale dont le sens a rendu perplexes des générations de juristes. Que veut-elle dire? Que les Etats de la fédération ont le droit d’entretenir des milices armées sur leur territoire et pour cela de distribuer des armes aux citoyens, ou bien que chaque individu peut détenir et porter des armes pour son usage privé?

Ce flou a débouché sur une querelle d’interprétation digne de certaines disputes théologiques sur le sens d’un passage de la Bible ou du Coran. Le lecteur non prévenu penchera probablement pour la première signification, celle qui voit dans le 2e amendement le droit des Etats d’armer leurs citoyens à des fins de défense collective. On ne comprendrait pas, sinon, la mention d’une «milice armée» comme condition «nécessaire à la sécurité d’un Etat libre». Ce sens, au surplus, a une racine historique: la résistance armée des colons face aux Britanniques.

Les fusils à canon scié pas protégés

C’est bien cette interprétation du 2e amendement qui s’est imposée dans un premier temps sous le nom de «collective rights theory», comme l’explique l’encyclopédie juridique en ligne de la Cornell Law School. Dans cette acception, le droit de porter des armes ne se définit qu’en rapport avec des activités militaires.

La Cour suprême a fait sienne cette approche dans un arrêt de 1939, United States v. Miller. Elle a estimé que des lois restreignant l’acquisition d’armes à canon scié n’enfreignaient pas le 2e amendement parce que ce type d’armes ne faisait pas partie de l’équipement habituel des soldats. Le canon scié est prisé avant tout, on le sait, par le grand banditisme.

Cette jurisprudence a tenu presque 70 ans. L’activisme intense déployé par la NRA, surtout à compter des années 1970, a fini par en avoir raison. En 2008, dans l’affaire District of Columbia v. Heller, à 5 voix contre 4, la Cour a renversé son arrêt de 1939.

Qu'ont voulu dire les pères fondateurs?

Au cœur du raisonnement de la Cour, l’histoire. Pour le juge conservateur Antonin Scalia – celui-là même dont le décès, l’an dernier, a permis à Donald Trump de nommer un nouveau juge – l’histoire impose une conception «individualiste» du 2e amendement. Au moment de l’adoption de ce texte, en 1791, le droit de porter une arme ne pouvait se comprendre comme étant limité à des fins militaires exclusivement. Il couvrait nécessairement aussi des buts d’autodéfense individuelle.

Les juges conservateurs sont traditionnellement attachés à une interprétation dite «originaliste» de la Constitution: à leurs yeux, cette dernière doit garder le sens qu’on lui prêtait à l’époque de son adoption. En l’occurrence, on aurait bien sûr pu objecter qu’il n’y avait pas d’armes automatiques ni semi-automatiques à la fin du XVIIIe siècle et que le 2e amendement ne devait logiquement s’appliquer qu’à des fusils d’époque. Mais les juges de la minorité ont préféré ne pas tourner leurs collègues en ridicule. Pour la circonstance, ils ont adopté eux aussi un point de vue originaliste mais, se fondant sur d’autres sources historiques, ils ont tenté de démontrer que la thèse d’Antonin Scalia était fausse. Ils n’y sont pas parvenus. Il faut dire aussi que les progressistes n’ont plus, et depuis très longtemps, la majorité au sein de la Cour. En 2016, la Cour confirmait sa décision Heller dans une affaire Caetano v. Massachussetts.

Certes, le débat n’est pas définitivement clos. Car les juges ont reconnu que des limites au droit de porter des armes peuvent s’imposer en particulier à l’égard des délinquants et des personnes souffrant de déficience mentale, ou pour certains types d’armes particulièrement dangereuses. Mais Donald Trump n’a nulle intention de décevoir son électorat. Kellyanne Conway, sa conseillère en communication, l’a répété après la tragédie de Las Vegas:


 «Le deuxième amendement est l’un des piliers de notre Constitution et il doit être protégé».

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