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Actuel / Pologne: «Je ne suis pas celle que vous croyez»


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La fière Albion dans la pagaille… par manque de chauffeurs de camions polonais! Boris, le champion du Brexit, n’a pas l’air malin. Il propose en urgence des visas de travail de durée limitée aux Européens de l’Est dont il a tant besoin, sur les routes, dans les hôpitaux et ailleurs. Ceux-ci hésitent… aller là-bas pour se faire jeter à la première occasion? Beaucoup préfèrent aller ailleurs ou rester chez eux. La Pologne? Parlons-en.



Sa population (37,9 millions) est en légère diminution depuis quelques années. Notamment parce que deux millions de Polonais, estime-t-on, ont émigré vers l’Europe de l’Ouest dans les dernières décennies. Plus de 900 000 vers la Grande-Bretagne, où ils sont plus nombreux que la communauté indienne! Les agités du Brexit les ont traités de tous les noms pendant la campagne en dépit de leur excellente intégration dans le monde du travail. Mais depuis la rupture avec l’UE, ils quittent l’île par milliers, fuyant les nouvelles tracasseries administratives. Beaucoup, à leur retour d’exil, ne reconnaissent plus leur pays. Celui-ci est en pleine expansion économique, le chômage au plus bas (environ 5 %). Des soucis, certes, d’abord celui de l’inflation (+6% en un an, beaucoup plus pour certains produits de base), des salaires encore très bas, mais en progression, des coûts de logement qui grimpent dans l’effervescence immobilière. Mais l’humeur générale, cela frappe dans toutes les rencontres, reste plus que bonne. Même chez les opposants au pouvoir prompts à manifester dans les rues et à maudire le tout puissant Kaczinski et la bande de ses «mignons», comme ils disent. 

Partout des chantiers, des rénovations, des autoroutes...

Qui a encore en tête les clichés sur les «pays de l’Est», misérables et attardés, et se risque à une virée en Pologne, n’en revient pas. Partout des chantiers, des rénovations, des autoroutes, des trains performants, des centres-villes fringants. D’anciennes usines de briques rouges sont reconverties en centre de loisirs et de culture, en petits marchés. Avec un goût architectural remarquable, par exemple à Lodz ou à Praga, quartier populaire de Varsovie. Même dans les campagnes on note des améliorations spectaculaires, de bonnes routes, des maisons retapées, des machines agricoles modernes. Les centaines de milliards déversés par l’Union européenne ont porté leurs fruits. Ce n’est pas le cas partout. Mais surtout les Polonais ont été pris d’une fringale active. N’allez pas leur parler de décroissance. Ils vous riraient au nez et vous renverraient à vos états d’âme de bobos nichés dans le confort. 

L’imbrication de la Pologne dans le continent est spectaculaire. A l’entrée de la ville de Lodz, on voit sur des kilomètres des dépôts immenses où défilent des milliers de camions internationaux, chargés au départ et à l’arrivée de biens les plus divers. On les retrouve en files sur les autoroutes d’Allemagne, la proche voisine, mais bien au-delà, jusqu’à travers l’Europe du Sud. Les belle âmes qui s’en indignent ne mesurent pas l’intensité de ces échanges et à quel point ils nous profitent, ici et là-bas. 

Tous les Polonais vivent aujourd'hui beaucoup mieux

Et les pauvres, direz-vous, ils en profitent aussi? La Pologne connaît encore la pauvreté, bien sûr. Mais il faut dire que la politique du régime actuel, détestable à maints égards, l’a considérablement réduite. Avec des allocations de 500 zlotys (125 francs) par enfant. Dans une visée nataliste qui reste en réalité de peu d’effets à cet égard. Dans ce pays qui a connu tant de moments douloureux, notamment après la chute du communisme et du système social d’alors, tous, aujourd’hui, vivent beaucoup mieux. 

Les médias ouest-européens évoquent souvent le discours ultra-conservateur et nationaliste du parti au pouvoir (PIS). Sur place on constate qu’il est effectivement rabâché partout mais les journaux et les canaux de TV indépendants se battent avec succès contre l’emprise gouvernementale et judiciaire. La parole reste libre. Et elle contraste avec les rengaines anti-européennes. «Pas plus de dix à quinze pour cent de la population souhaite vraiment une sortie de l’Union, un Polexit», estime le politologue Piotr Lukasiewiscz. Les Polonais voient tous les jours les avantages de cet ancrage. Mais il est vrai qu’ils redoutent l’immigration étrangère. A l’exception de celle dont le pays a grand besoin: à commencer par les Ukrainiens qui seraient plus d’un million. Ils sont partout, dans la construction, les services, dans les hôpitaux. Bienvenus pour compenser un faible taux de natalité et le départ à l’étranger de tant de jeunes. Varsovie est une ville très internationale où se côtoient des de nombreuses nationalités. Notamment des Asiatiques recrutés dans les branches de l’informatique, qui soit dit en passant, dans la capitale comme à Cracovie et Wroclaw, sont florissantes et étroitement liées aux entreprises du secteur en Europe de l’Ouest. 

5000 soldats US stationnent en Pologne

Cela dit, cette étroite appartenance à l’Europe n’empêche pas les élites dirigeantes de sentir liées d’abord aux Etats-Unis en matière de défense. Elles s’appuient sur eux bien plus que sur les Européens en pensant à une prétendue menace russe. Quelque 5000 soldats US y stationnent. Et l’armée, fort nombreuse, s’équipe surtout aux States. Mais là aussi, le tableau semble changer timidement. Le politologue Piotr Lukasiewicz, spécialiste des questions militaires, ex-ambassadeur à Kaboul, convient que le désastre afghan a produit un choc considérable chez les stratèges polonais, jusqu’au sein du parti au pouvoir. La fiabilité de l’allié américain a pris un méchant coup. De là à voir la Pologne adhérer à un concept ambitieux de défense européenne, il y a encore du chemin…

En attendant, les villes touristiques, comme Cracovie, aussi envahie que Prague, se réjouissent de voir revenir bientôt, après la parenthèse Covid, les Polonais d’Amérique. Plus nombreux à Chicago qu’à Varsovie! Ils visiteront les admirables musées historiques qui rappellent le destin si tourmenté et douloureux de ce peuple aujourd’hui en plein sursaut d’espoir.

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